tag:theconversation.com,2011:/fr/international/articlesInternational – The Conversation2025-11-04T16:21:00Ztag:theconversation.com,2011:article/2670662025-11-04T16:21:00Z2025-11-04T16:21:00ZCrimes contre l’environnement dans la guerre en Ukraine : que dit le droit ?<p><strong>Les atteintes à l’environnement sont multiples dans le cadre de la guerre en Ukraine. Peuvent-elles susciter des poursuites – et des indemnisations – en tant que telles ? Le droit international comporte de nombreuses dispositions qui permettent de répondre à cette question.</strong></p>
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<p>Dès l’été 2022, <a href="https://www.oecd.org/fr/publications/2022/07/environmental-impacts-of-the-war-in-ukraine-and-prospects-for-a-green-reconstruction_5e8f306f.html">l’Organisation de coopération et de développement économiques</a> (OCDE) et le <a href="https://courses.prometheus.org.ua/assets/courseware/v1/b5fb073eb2599edcdb465d05e836a17d/asset-v1:WWF+WF101+2023_T1+type@asset+block/environmental_impact_Ukraine_conflict.pdf">Programme des Nations unies pour l’environnement</a> (PNUE) ont mis en évidence les dommages considérables subis par l’Ukraine du fait de l’invasion à grande échelle de son territoire par la Russie qui avait été lancée quelques mois plus tôt.</p>
<p>Les dommages infligés à l’environnement étaient alors déjà très nombreux et ont encore nettement augmenté depuis. Ces rapports pointaient notamment les nombreuses contaminations aux produits chimiques en raison du pilonnage par l’armée russe des installations industrielles ; les dommages causés aux infrastructures de fourniture d’eau ; la destruction des forêts en raison des opérations ; la production de déchets militaires lourds ; ou encore la pollution de l’air, de l’eau et du sol.</p>
<p>Comme tous les conflits de haute intensité, la guerre en Ukraine a donc produit d’importants dommages environnementaux.</p>
<h2>Dommages intentionnels causés à l’environnement</h2>
<p>Lors de sa 62<sup>e</sup> session plénière en mars 2025, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat (Giec) a <a href="https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2025/03/IPCC-62-Decisions.pdf">rappelé le principe</a> selon lequel l’émetteur du carbone doit être tenu pour responsable des dommages qu’il cause.</p>
<p>Appliqué à la guerre en Ukraine, ce principe, qui est reconnu par de nombreux États et par le Giec, devrait conduire à une indemnisation par la Russie des dommages environnementaux observés en Ukraine du fait de la guerre.</p>
<p>Les dommages collatéraux provoqués à l’environnement en Ukraine à la suite de l’invasion russe sont donc des dommages de guerre et devraient être indemnisés à ce titre (pour une analyse générale des rapports entre le droit de la guerre et le développement durable, cf. Nicolas Ligneul, « Guerre et développement durable, la perspective du juriste », in <a href="https://www.fede.education/developpement-durable-education-et-entreprise/"><em>le Développement durable</em>, J.-L. Bischoff et C. Vivier Le Got (dir.), Connaissances et Savoirs, Paris, 2025).</a></p>
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<p>Depuis 2022, ces dommages environnementaux ont changé de nature. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de dégâts collatéraux accidentels. De nombreux dommages environnementaux constatés en Ukraine ont été délibérément infligés par la Russie. Mais bien qu’intentionnels, certains de ces dommages ne sont pas susceptibles d’être qualifiés de crimes de guerre, alors que d’autres peuvent donner lieu à des poursuites au nom du droit des conflits armés.</p>
<p>En conduisant des opérations militaires sur le territoire de zones protégées pour la défense de l’environnement, l’armée russe a intentionnellement causé des dommages environnementaux. À droit constant, si ces dommages sont justifiés par une opération militaire, ils ne sont pas constitutifs de crimes de guerre du point de vue du <a href="https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">statut de Rome</a> ou des <a href="https://www.icrc.org/fr/droit-et-politique/les-conventions-de-geneve-et-leurs-commentaires">conventions de Genève</a>.</p>
<p>Par exemple, <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/en-ukraine-la-centrale-nucleaire-de-zaporijia-est-devenue-une-base-militaire-russe-20230304_6L6RIK3L4N">transformer la centrale nucléaire de Zaporijia en camp militaire</a> comme l’a fait la Russie, et plus généralement miner ou bombarder des centrales nucléaires ne constituent pas des crimes de guerre, même si ces attitudes sont gravement irresponsables et dangereuses.</p>
<p>Les dommages environnementaux engendrés par ces comportements ne seront probablement jamais indemnisés.</p>
<p>Les instruments internationaux d’indemnisation des dommages environnementaux à l’occasion des conflits armés sont très insuffisants. Ainsi, la <a href="https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XXVI-1&chapter=26&clang=_fr">convention du 10 décembre 1976</a> relative à l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles prévoit la possibilité de déposer une plainte devant le Conseil de Sécurité de l’ONU si un État a commis une atteinte à l’environnement à des fins militaires. Bien qu’elle ait été ratifiée par l’Union soviétique (et est donc censée être appliquée par la Russie, qui a repris les engagements juridiques de l’URSS) puis par l’Ukraine une fois celle-ci devenue indépendante, sa portée est si limitée qu’elle ne risque pas d’avoir une influence quelconque sur les atteintes environnementales constatées en Ukraine.</p>
<p>C’est donc le droit commun des dommages de guerre ou le droit ukrainien, lequel <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/119128-barrage-kakhovka-ukraine-pionniere-poursuites-ecocide.html">reconnaît la qualification d’écocide</a>, qu’il faut mobiliser pour une telle indemnisation. Or, le droit ukrainien ne risque pas d’être imposé aux autorités russes.</p>
<p>Quant au régime des dommages de guerre, face à l’ampleur des dégâts, il ne permettra probablement pas de financer une reconstruction verte pourtant promue par les organisations internationales. C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ukrainiens et de nombreuses organisations non gouvernementales ont tenté de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/04/21/l-ukraine-entend-faire-reconnaitre-l-ecocide-commis-par-la-russie-et-en-demander-reparation_6170409_3210.html">faire reconnaître un « écocide »</a> en droit international et de créer un régime juridique spécifique d’indemnisation. À ce jour, ce projet n’a pas abouti.</p>
<p>Pour qu’il y ait une justice environnementale lors du règlement de la guerre en Ukraine, il faudra donc avoir recours aux qualifications de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. C’est donc vers les dommages environnementaux causés intentionnellement par la Russie susceptibles d’être qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité qu’il faut se tourner.</p>
<h2>La Cour pénale internationale peut-elle agir ?</h2>
<p>Certaines atteintes à l’environnement pourraient correspondre à la définition des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.</p>
<p>Le plus souvent, les accords environnementaux ne contiennent pas de réserves relatives à la guerre. Or, l’environnement naturel bénéficie d’une protection générale, comme tous les biens civils. Il bénéficie aussi d’une protection spéciale (Cf. articles 54 à 56 du <a href="https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/protocol-additional-geneva-conventions-12-august-1949-and">Protocole additionnel n°1 aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux</a>). Le droit international protège ainsi les ouvrages et installations contenant des « forces dangereuses », à savoir les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production d’énergie électrique – des installations dont la destruction causerait un préjudice important à la population civile.</p>
<p>Lorsque des installations ou ouvrages contenant des forces dangereuses sont présentes sur les théâtres d’opérations ou à proximité, elles bénéficient d’une protection prévue par le droit international conventionnel et coutumier. Elles ne peuvent pas être détruites. Cela causerait trop de risques pour la population et pour l’environnement. La protection de ces installations est toutefois limitée à l’hypothèse où ces ouvrages ne sont pas utilisés à des fins militaires. Dans le cas contraire, leur attaque devient conforme au droit de la guerre, à condition d’être strictement nécessaire et proportionnée.</p>
<p>Ainsi, lorsque l’armée russe a <a href="https://www.lemonde.fr/international/live/2023/06/06/guerre-en-ukraine-en-direct-la-destruction-du-barrage-de-kakhovka-nouvelle-consequence-de-l-invasion-russe-selon-l-onu_6176339_3210.html">détruit le barrage de Kakhovka</a>, ou <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/02/15/ukraine-la-centrale-nucleaire-de-tchernobyl-frappee-par-un-drone-russe_6547387_3210.html">bombardé la centrale nucléaire de Tchernobyl</a>, elle a porté atteinte à la protection spéciale reconnue par le droit international.</p>
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<p>La violation de la protection spéciale est susceptible d’être qualifiée de crime de guerre. De même, si les autorités d’un pays belligérant décident de bombarder les infrastructures énergétiques de son ennemi dans un plan d’ensemble pour faire mourir de froid une population entière, l’attaque peut être constitutive d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité.</p>
<p>C’est la raison pour laquelle une <a href="https://fr.euronews.com/2024/03/06/la-cour-penale-internationale-emet-des-mandants-darret-contre-deux-officiers-russes">procédure a été introduite</a> à l’encontre de plusieurs responsables russes sur ce fondement à la Cour pénale internationale (CPI). La CPI permettra peut-être de condamner les auteurs de ces crimes, mais la pratique de l’indemnisation des victimes des crimes de guerre et l’absence évidente de prise de conscience de ces phénomènes par les États occidentaux font craindre que l’indemnisation du dommage environnemental soit très insuffisante.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/267066/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Ligneul ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sols pollués, inondations provoquées, forêts détruites, possibles contaminations radioactives… En Ukraine, l’environnement est depuis des années une victime collatérale de la guerre.Nicolas Ligneul, Maitre de Conférences en Droit Public (HDR) à la Faculté de Droit, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2676862025-11-03T15:20:00Z2025-11-03T15:20:00ZL’Union européenne à la croisée des chemins<p><strong>La combinaison de son recul économique, de la dégradation du contexte international et du possible désengagement de Washington du Vieux Continent place l’UE devant une alternative : continuer à n’être qu’une plateforme commerciale et normative, sachant que les recettes néolibérales appliquées au cours des dernières décennies ont mécontenté de larges pans de la population, ou aller plus avant vers une intégration politique plus poussée.</strong></p>
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<p>Quand tout s’accélère sur le plan géopolitique, il est essentiel de relier les événements aux tendances structurelles qui les nourrissent. Depuis février 2025, l’inquiétude grandit en Europe : le président des États-Unis, qui affirmait pouvoir mettre fin au conflit russo-ukrainien « en un jour », se soucie peu de la souveraineté de Kiev. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/02/28/verbatim-l-escalade-verbale-entre-trump-vance-et-zelensky_6570416_3210.html">L’échange tendu du 28 février entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky</a>, de même que la <a href="https://theconversation.com/quand-donald-trump-deroule-le-tapis-rouge-pour-vladimir-poutine-263313">rencontre à tonalité très amicale d’Anchorage avec Vladimir Poutine le 16 août</a> ont montré que Washington pousse à un cessez-le-feu à n’importe quelle condition, quitte à sacrifier les intérêts de l’Ukraine.</p>
<p>Cette posture met en évidence la dépendance persistante de l’Union européenne à l’égard des États-Unis et oblige à repenser ses fondements. Après un rappel des fragilités de la construction européenne, il convient d’identifier les défis suscités par la politique américaine, puis de réfléchir aux opportunités qu’offre cette nouvelle configuration.</p>
<h2>Le rôle d’accélérateur de l’UE dans la généralisation des politiques néolibérales</h2>
<p>Le compromis social forgé après 1945 – droits sociaux, services publics, redistribution, sécurité de l’emploi – s’est progressivement érodé, laissant place à un <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/la-face-cachee-de-la-deregulation-europeenne-2149836">capitalisme dérégulé</a>. Le rôle joué par l’UE dans cette mutation, amorcée dès les années 1980, est souvent sous-estimé.</p>
<p>Dans un contexte de mondialisation, les élites économiques ont cherché à doter l’Europe d’un vaste marché intégré. Droite, centre et social-démocratie ont relayé cet objectif, conçu comme un moyen de rivaliser avec les États-Unis et le Japon. <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/l-acte-unique-europeen-1986/">L’Acte unique (1986)</a> et les traités de <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-traite-de-maastricht-1992/">Maastricht</a> (1992) et d’<a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-traite-d-amsterdam-1997/">Amsterdam</a> (1997) ont accéléré les transferts de compétences et favorisé une déréglementation sans précédent. Parallèlement, l’élargissement vers l’Europe centrale et orientale a accentué cette dynamique, permettant aux grandes entreprises d’opérer à l’échelle continentale.</p>
<p>Ces choix ont engendré, dans la quasi-totalité des pays de l’UE, des renoncements majeurs : <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/10/15/la-france-a-t-elle-perdu-sa-souverainete-budgetaire_4506808_4355770.html">perte de souveraineté budgétaire</a>, <a href="https://shs.cairn.info/revue-l-economie-politique-2002-1-page-85">affaiblissement de la protection sociale</a>, <a href="https://shs.cairn.info/revue-l-economie-politique-2004-4-page-75">recul des services publics</a>, <a href="https://www.vie-publique.fr/files/fiche_produit/pdf/3303330403945_EX.pdf">flexibilité accrue du travail</a>.</p>
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<p>L’orientation néolibérale de l’UE a nourri la défiance des catégories populaires et <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/29/la-montee-du-peril-totalitaire-d-extreme-droite-est-une-des-manifestations-de-l-entree-en-crise-du-regime-neoliberal_6420578_3232.html">contribué à la montée de l’extrême droite</a>. Sans rupture avec cette trajectoire, l’UE risque de perdre encore en légitimité et de voir croître les forces hostiles à l’intégration.</p>
<p>Pourtant, l’UE a acquis des compétences étatiques importantes – légiférer, négocier des accords commerciaux, développer une banque centrale. Elle s’est affirmée comme un <a href="https://theconversation.com/lavenement-de-letat-europeen-un-etat-baroque-unique-au-monde-143328">proto-État</a>, mais dont la vocation demeure largement économique. L’UE n’a pas encore trouvé le chemin d’un équilibre entre intégration économique et justice sociale, ce qui alimente sa vulnérabilité politique.</p>
<h2>Un contexte international difficile pour l’UE</h2>
<p>L’Europe reste une zone développée mais affiche une croissance atone : 1 à 1,5 % prévus dans la décennie, contre 3 % aux États-Unis et des niveaux supérieurs pour la Chine et l’Inde.</p>
<p>Cette perte de vitesse économique intervient à un moment où la guerre est aux portes de l’UE (rappelons que l’Ukraine est frontalière de trois pays membres : la Pologne, la Slovaquie et la Roumanie).</p>
<p>L’Europe a tardé à percevoir la nature agressive du régime russe. Géorgie en 2008, Crimée en 2014, Donbass ensuite : autant de signaux d’un impérialisme assumé que l’Union a eu tendance à minorer. L’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022 a contraint l’UE à réagir, non sans retard, et non sans divergences internes notables, dont la posture de Viktor Orban est la manifestation la plus éclatante. À ce stade, la mobilisation ukrainienne et l’aide militaire occidentale ont permis de contenir l’armée russe, mais environ 20 % du territoire restent occupés.</p>
<p>Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2025 a bouleversé les équilibres : <a href="https://euractiv.fr/news/face-a-une-ue-absolument-brutale-donald-trump-annonce-de-nouveaux-droits-de-douane/">relèvement brutal des droits de douane</a>, retrait d’accords multilatéraux (<a href="https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/01/withdrawing-the-united-states-from-the-worldhealth-organization/">OMS</a>, <a href="https://www.liberation.fr/environnement/climat/accord-de-paris-donald-trump-acte-le-retrait-des-etats-unis-du-pacte-sur-le-climat-20250129_DJ7T64AB5BCCFNRNJXPRW6DSB4/">accords de Paris sur le climat</a>), discours isolationniste et pressions sur l’Ukraine pour que celle-ci accepte de céder ses territoires. L’idée même d’une alliance atlantique « éternelle » <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/06/25/sommet-de-l-otan-donald-trump-accentue-le-doute-des-allies-sur-sa-solidarite-envers-l-alliance_6615708_3210.html">est remise en cause</a>, d’autant que l’UE a été contrainte d’accepter un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/07/28/droits-de-douane-un-accord-au-gout-amer-pour-l-ue_6624829_3232.html">accord commercial aux conditions très favorables aux États-Unis</a>.</p>
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<p>Cette rupture force l’Europe à réfléchir à son autonomie stratégique.</p>
<p>Faute de moyens militaires suffisants, elle pourrait promouvoir un compromis imposant la neutralité de l’Ukraine en échange d’un retrait russe partiel. Mais un tel scénario fragiliserait durablement Kiev et renforcerait l’insécurité des pays frontaliers, exposés à une éventuelle attaque russe sans disposer de défense commune solide. Dans le même temps, le retrait de Washington des institutions multilatérales, <a href="https://theconversation.com/donald-trump-et-le-groenland-quand-geopolitique-et-economie-sentremelent-247816">ses ambitions territoriales inédites</a> et son désintérêt pour le climat accentuent la nécessité d’un repositionnement global de l’UE. <a href="https://www.lagrandeconversation.com/monde/leffet-trump-en-europe/">La pression exercée par les États-Unis</a> pour que l’Europe assume seule ses responsabilités militaires place les gouvernements face à des choix budgétaires et diplomatiques de long terme.</p>
<h2>Une redéfinition nécessaire, mais peu probable à court et moyen termes</h2>
<p>L’UE se trouve à un tournant décisif : soit elle reste un grand marché régulé par la concurrence, soit elle se transforme en puissance politique. Trois paramètres seront déterminants.</p>
<p><strong>Les dynamiques politiques internes.</strong> En France, la dissolution de 2024 a plongé le pays dans une instabilité durable. Le gouvernement, privé de majorité, peine à assumer un rôle moteur en Europe, et se concentre sur un discours militaire ponctuel. En Allemagne, la victoire relative de la CDU en 2025 a permis l’émergence d’un chancelier pro-européen, Friedrich Merz, malgré la <a href="https://theconversation.com/allemagne-une-campagne-electorale-tumultueuse-249766">poussée de l’AFD</a>. La solidité institutionnelle allemande offre à Berlin la possibilité de relancer le projet européen, au moment où Paris se fragilise. Mais là encore, la marge de manœuvre dépendra de la capacité du nouveau gouvernement à construire des alliances solides et à répondre aux défis sociaux et économiques qui fragilisent sa légitimité interne.</p>
<p><strong>Les divergences entre États membres.</strong> Les pays d’Europe centrale et septentrionale (Pologne, États baltes, Suède, Finlande) militent pour une intégration sécuritaire renforcée. Mais la Hongrie d’Orban et l’Italie de Meloni bloquent toute évolution fédérale. L’absence de consensus entrave la capacité de l’UE à peser dans la reconfiguration mondiale, que ce soit en Ukraine ou au Moyen-Orient. Si le pacte Trump-Poutine venait à se fissurer, les membres de l’UE sauraient-ils dépasser leurs réflexes pro-américains ou pro-russes pour tracer, ensemble, une voie autonome ? La réponse demeure incertaine. La tentation, pour certains États, de privilégier des accords bilatéraux avec Washington ou Moscou persistera tant que l’UE n’aura pas affirmé un cap commun.</p>
<p><strong>Le rôle des peuples.</strong> Toute avancée vers un État fédéral ou confédéral suppose l’adhésion populaire. Or la légitimité de l’UE est entamée par des décennies de politiques néolibérales. Pour restaurer la confiance, il faudrait instaurer un véritable pouvoir constituant, renforcer le Parlement européen, multiplier les débats démocratiques transnationaux et rompre avec une logique purement économique. C’est une condition nécessaire pour qu’une défense commune et des compétences régaliennes soient acceptées. À défaut, l’UE risque de rester une construction technocratique perçue comme distante des préoccupations quotidiennes. Le défi est de transformer l’intégration européenne en projet mobilisateur, porteur de justice sociale, de transition écologique et de sécurité collective.</p>
<h2>Un choix stratégique</h2>
<p>En définitive, l’Union européenne se trouve face à un choix stratégique : demeurer un simple marché soumis aux rapports de force mondiaux, ou se transformer en puissance politique capable de défendre ses intérêts et ses valeurs. Une telle transformation suppose de surmonter ses fragilités internes, de marginaliser les forces nationalistes hostiles à toute intégration, et surtout d’associer les peuples à une véritable refondation.</p>
<p>À ces conditions, l’UE pourrait enfin s’imposer comme acteur autonome et redonner un sens au projet européen. Sans cette évolution, elle restera spectatrice des recompositions géopolitiques dominées par Washington et Moscou.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/267686/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Melchior ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’UE proclame son attachement à des valeurs communes, mais sa réalité est bien plus économique que politique. Cet état de fait peut-il subsister longtemps ?Jean-Philippe Melchior, Professeur des universités en sociologie, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2689192025-11-03T15:19:43Z2025-11-03T15:19:43ZNew York : l’élection municipale qui pourrait fracturer le Parti démocrate<p><strong>Le démocrate Zohran Mamdani, qui représente le courant le plus à gauche de sa formation politique, est bien placé pour être élu maire de New York ce 4 novembre. Sa campagne a mis l’accent sur les questions économiques, promouvant un programme ambitieux et difficilement réalisable, certains prérogatives en la matière n’étant pas directement du ressort de la mairie. Mais ce sont surtout ses positions tranchées sur le conflit israélo-palestinien qui ont été mises sur le devant de la scène, aussi bien par le camp républicain que par son adversaire démocrate Andrew Cuomo. Si Mamdani gagne, les conséquences sur son parti seront majeures.</strong></p>
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<p>L’élection du maire de New York, ce 4 novembre 2025, se présente comme l’une des consultations politiques les plus scrutées aux États-Unis. Bien au-delà de son enjeu local, ce scrutin cristallise les fractures profondes du Parti démocrate et pourrait redéfinir les équilibres de la politique nationale en vue des élections de mi-mandat de 2026. Et Donald Trump pourrait en être le premier bénéficiaire.</p>
<p>Trois candidats sont en lice : le démocrate et socialiste Zohran Mamdani, figure de la gauche radicale et favori des sondages ; Andrew Cuomo, démocrate concourant en indépendant, ancien gouverneur de l’État de New York (2011-2021) qui avait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/10/etats-unis-accuse-de-harcelement-sexuel-andrew-cuomo-le-gouverneur-de-new-york-demissionne_6091098_3210.html">démissionné alors qu’il était accusé par plusieurs femmes de harcèlement sexuel</a> ; et le républicain Curtis Sliwa.</p>
<p>Le maire sortant, le démocrate Eric Adams, inquiété pour des faits de corruption, a vu, en février dernier les charges pesant sur lui <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/04/02/a-new-york-l-affaire-de-corruption-visant-le-maire-eric-adams-a-ete-classee-sans-possibilite-de-relancer-des-poursuites_6589995_3210.html">abandonnées grâce à l’intervention de Donald Trump</a>. Il a donc pu se représenter mais a fini par renoncer fin septembre, faute de dépasser les 10 % d’intentions de vote. Dans une ville où les Démocrates sont sept fois plus nombreux que les Républicains, Mamdani, investi par le Parti démocrate après sa victoire à la primaire du mois de juin, a toutes les chances de l’emporter.</p>
<h2>Portrait d’un outsider : Zohran Mamdani</h2>
<p>À 34 ans, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/interception/interception-du-dimanche-02-novembre-2025-3495491">Zohran Mamdani</a> incarne une nouvelle génération politique. Né en Ouganda dans une famille privilégiée d’origine indienne – son père est professeur de sciences politiques à Columbia, sa mère une <a href="https://www.forbes.com/sites/alexandrabregman/2025/07/01/who-is-zohran-mamdanis-mother-mira-nair/">réalisatrice reconnue</a>, notamment récompensée par la Caméra d’Or au festival de Cannes en 1988 pour son film <a href="https://www.quinzaine-cineastes.fr/fr/film/salaam-bombay"><em>Salaam Bombay !</em></a> –, il a obtenu la nationalité des États-Unis, où la famille s’est installée quand il avait sept ans, en 2018.</p>
<p>Diplômé en études africaines du prestigieux Bowdoin College dans le Maine, il s’est essayé au rap sous le nom de scène <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DZ1OblYm5YY">« Young Cardamom »</a>, puis a travaillé comme conseiller en prévention des saisies immobilières auprès de familles surendettées, tout en militant au sein des <a href="https://www.dsausa.org/">Democratic Socialists of America</a> (DSA), principale organisation ouvertement socialiste du pays, qui revendique quelque 90 000 membres. Le terme « socialiste » est un marqueur très fort aux États-Unis. Il désigne la gauche de la gauche et est souvent utilisé par les Républicains pour dénoncer les excès de leurs adversaires.</p>
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<p>Les DSA jouent un rôle essentiel dans la trajectoire de Mamdani. Créée en 1982, l’organisation fédère alors des militants et des intellectuels de la gauche radicale, plutôt âgés, publiant des notes et organisant des conférences. 2016 marque un tournant. C’est la première fois qu’un candidat se déclarant socialiste se présente à une élection présidentielle : il s’agit de Bernie Sanders. Zohran Mamdani s’engage pour soutenir sa campagne. C’est aussi l’année de la première élection de Donald Trump. Le choc est un catalyseur : le mouvement se rajeunit, gagne en ampleur et devient une machine à produire des candidats, comme <a href="https://www.rtbf.be/article/qui-est-alexandria-ocasio-cortez-la-jeune-etoile-montante-du-parti-democrate-americain-11522990">Alexandria Ocasio-Cortez</a> ou Mamdani lui-même. Le soutien de DSA lui permet d’être <a href="https://nyassembly.gov/mem/Zohran-K-Mamdani">élu à l’Assemblée de l’État de New York</a> en 2020, son premier et seul mandat politique à ce jour.</p>
<p>Son appartenance aux Democratic Socialists of America donne une coloration particulière à la candidature du jeune Américain d’ascendance indienne. Il doit être anticapitaliste dans la capitale mondiale du capitalisme financier. Et il doit faire preuve d’un antisionisme radical dans la ville qui abrite le plus grand nombre de Juifs au monde et qui reste une place forte du soutien à Israël. Le tout en aspirant à tenir le gouvernail d’une mégapole au budget de 109 milliards de dollars (soit 94,7 milliards d’euros) et aux 300 000 employés, en n’ayant l’expérience que de la gestion d’un bureau de cinq personnes.</p>
<h2>Un programme ambitieux… mais réalisable ?</h2>
<p>Doublement du salaire minimum, crèches gratuites, bus gratuits, gel des loyers, supermarchés publics… autant de <a href="https://www.zohranfornyc.com/platform">mesures</a> qui changeraient la vie des milieux modestes. Dans un contexte d’augmentation du coût de la vie et dans une mégapole marquée par de criantes inégalités socioéconomiques, ces promesses résonnent. Le maire démocrate Bill de Blasio (2014-2021) avait déjà mis en place la maternelle gratuite pour les enfants de 3 ans et 4 ans, et gelé les loyers pendant deux ans. Seul problème pour Mamdani : le maire de New York ne dispose pas toujours des pouvoirs nécessaires pour les mettre en œuvre ou en assurer le financement.</p>
<p>Taxer les riches pour soutenir la redistribution : la ligne est fidèle aux ambitions de la gauche radicale. Mamdani envisage une augmentation de la pression fiscale sur les ménages et les entreprises les plus fortunés : + 2 % d’impôts sur les particuliers dont les revenus annuels dépassent le million de dollars (868 600 euros), et taux d’imposition de 11,5 % (au lieu de 7,25 %) sur les 1 000 entreprises les mieux loties (sur les 250 000 que compte New York). Mamdani a <a href="https://www.nbcnews.com/politics/elections/zohran-mamdani-says-dont-think-billionaires-rcna215821">déclaré à la télévision</a> : « Il ne devrait pas y avoir de milliardaire. » Les intéressés ont bien reçu le message. Vingt-six d’entre eux ont déjà <a href="https://www.businessinsider.com/list-of-billionaires-spending-stop-zohran-mamdani-new-york-2025-10">collecté près de 25 millions de dollars</a> (21,7 millions d’euros) pour alimenter les fonds de campagne pro-Cuomo et/ou anti-Mamdani. Leur premier contributeur n’est autre que Michael Bloomberg, maire (démocrate puis indépendant) de New York de 2002 à 2013.</p>
<p>Autre difficulté : la fiscalité relève de la compétence de l’État, pas de la municipalité. La gouverneure de l’État de New York <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/trois-choses-a-savoir-sur-katy-hochul-qui-succede-a-andrew-cuomo-comme-gouverneure-de-new-york-1340608">Kathy Hochul</a> est certes démocrate, mais centriste. Elle s’est déjà déclarée opposée à ces hausses d’impôt, au nom de l’attractivité de l’État. Elle n’ignore pas le <a href="https://fortune.com/2025/06/27/zohran-mandani-business-rich-reaction/">risque de délocalisation d’entreprises vers le Connecticut</a>, dont la première ville hub (Stamford) n’est qu’à une heure de train de Manhattan, et où le taux d’imposition sur les sociétés deviendrait plus attractif. La Californie a déjà fait les frais d’une fiscalité élevée avec <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/pourquoi-les-entreprises-et-les-patrons-americains-quittent-la-californie-1276121">l’exode d’une partie de ses entreprises dans le Texas</a> et de ses électeurs démocrates dans les États voisins.</p>
<p>L’augmentation du salaire minimum, même graduelle, se heurte au même obstacle. C’est l’État de New York qui décide, ce que Mamdani ne peut pas mettre en avant en pleine campagne. Les réticences à ce type de réforme sont connues. L’augmentation des salaires entraîne une augmentation des prix (donc réduit le pouvoir d’achat). La hausse du coût du travail incite aux réductions de personnel (donc nuit à l’emploi). Mamdani propose de réduire certaines charges sur les entreprises en contrepartie (amendes ou factures d’eau), mais cela est loin de compenser. La mesure pèserait, en outre, de manière disproportionnée sur les petites entreprises.</p>
<p>Qu’en est-il de la gratuité des bus ? La maire progressiste de Boston, Michelle Wu, a déjà <a href="https://commonwealthbeacon.org/transportation/wu-to-pay-8-4m-to-extend-fare-free-buses-2-more-years/">expérimenté une telle mesure</a>. À la condition expresse de compenser le manque à gagner par l’agence d’exploitation du réseau de transports en commun. À New York, cela représenterait une somme de 652 millions de dollars (566,4 millions d’euros) par an. Le réseau étant géré par la MTA, une agence d’État, le maire ne pourrait que négocier, et non imposer. Rappelons par ailleurs que le pilier des transports publics new-yorkais reste le métro, et les trains de banlieue pour les habitants les plus éloignés du centre.</p>
<p>Le gel des loyers pourrait s’appliquer aux 46 % de logements à loyer régulé de la ville. Le plafond de révision annuelle des loyers est déterminé par une commission de neuf membres, tous nommés par le maire. Il serait donc possible de composer habilement la commission, mais celle-ci resterait légalement tenue d’évaluer les coûts d’exploitation des propriétaires (impôts, énergie, rénovation). Un gel prolongé pourrait soit être contesté dans les tribunaux, soit dégrader l’état du parc locatif, soit inciter les petits propriétaires à retirer leurs biens de la location.</p>
<p>Punir les grandes fortunes et pratiquer la redistribution n’a donc rien d’évident dans une ville comme New York. Les démocrates d’Albany – la capitale de l’État – seraient les premiers sur le chemin d’un maire socialiste comme Mamdani.</p>
<h2>La question israélo-palestinienne : un piège politique</h2>
<p>Depuis le 7 octobre 2023, la question israélo-palestinienne est explosive au sein du Parti démocrate. D’un côté, il y a l’establishment du parti soutient Israël ; de l’autre, une jeune garde qui y est de plus en plus hostile. Les Democratic Socialists of America ont <a href="https://www.middleeasteye.net/news/largest-us-socialist-organisation-passes-resolution-supporting-palestinian-resistance">adopté une ligne antisioniste radicale</a>. Ils exigent de leurs candidats de se conformer à tous les critères suivants : soutien au mouvement « Boycott, désinvestissement, sanctions », interdiction de voyager en Israël, reconnaissance du « droit au retour » et du « du droit à la résistance », opposition à tout cessez-le-feu à la faveur d’une « libération totale » de la Palestine.</p>
<p>Cette position place le candidat dans une situation intenable. New York compte 1,1 million de Juifs, soit un quart du total de la population juive-américaine. La ville est le siège de groupes de pression, de médias et de grands donateurs pro-Israël. Vingt-quatre ans après le 11-Septembre, un candidat musulman <a href="https://www.nytimes.com/2025/10/16/nyregion/zohran-mamdani-islamophobic-attacks-hamas-gaza.html">qui refuse de condamner clairement les violences du Hamas</a> – organisation ouvertement antisémite selon sa charte de 1988 – soulève des inquiétudes considérables.</p>
<p>Mamdani a qualifié Israël d’<a href="https://www.nytimes.com/2025/06/25/nyregion/mamdani-gaza-israel.html">« État d’apartheid »</a> conduisant <a href="https://www.instagram.com/reel/DB1BcnZOpIC/">« un génocide »</a> à Gaza. On connaît les arguments invoqués par la gauche radicale : l’antisionisme n’est pas l’antijudaïsme, et il s’agit avant tout d’une lutte anticolonialiste. Mais on a aussi pu observer combien une telle posture, qui suscite régulièrement des soupçons d’antisémitisme larvé, a pu coûter cher aux leaders de la gauche, tel le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/04/03/parti-travailliste-britannique-jeremy-corbyn-a-la-peine-face-aux-accusations-d-antisemitisme_5279974_3210.html">travailliste Jeremy Corbyn au Royaume-Uni</a>. À la veille de l’élection, <a href="https://www.jpost.com/american-politics/article-872222">60 % des électeurs juifs de New York déclarent soutenir Andrew Cuomo</a>.</p>
<h2>L’« establishment » démocrate divisé, Donald Trump se frotte les mains</h2>
<p>La candidature d’Andrew Cuomo, 67 ans, est celle du camp centriste, acquis au consensus libéral, mais entravé par des casseroles judiciaires. Issu d’une dynastie politique – son père Mario fut gouverneur pendant trois mandats –, Cuomo a démissionné de son poste de gouverneur de l’État de New York en 2021 car il était accusé de harcèlement sexuel sur une douzaine de femmes. Fait documenté : il a également <a href="https://www.empirecenter.org/publications/cuomos-suspect-Covid-statistics/">manipulé les chiffres des décès dans les maisons de retraite pendant le Covid</a>, ce qui lui vaut une procédure judiciaire pour parjure devant le Congrès.</p>
<p>Malgré sa défaite à la primaire du Parti démocrate organisée le 24 juin dernier (avec 43,61 % des suffrages contre 56,39 % pour Mamdani au dernier tour de scrutin), il a décidé de maintenir sa candidature et de se présenter en tant qu’indépendant. Pas évident pour un camp démocrate qui prêche – tout spécialement depuis la présidentielle de 2020, qui reste contestée avec véhémence par le clan Trump – le respect du résultat des élections.</p>
<p>Baiser de la mort : Cuomo est soutenu par le maire sortant Eric Adams. Cet ancien capitaine de police a été inculpé pour corruption. Mais sur injonction présidentielle, un juge fédéral a abandonné les poursuites engagé contre lui il y a quelques mois. Adams a donc continué à faire campagne. En avril, il a retiré sa candidature à la primaire démocrate, et a concouru par la suite en indépendant, jusqu’à son abandon définitif fin septembre. Pendant ces quelques mois, il a contribué à une division de l’électorat démocrate entre sa candidature et celle de Cuomo, ce qui a favorisé Mamdani. C’était précisément le dessein du camp Trump.</p>
<p>Le président a beau jeu de présenter l’affrontement Cuomo-Mamdani comme un duel entre un ancien édile désavoué et un « communiste fou à 100 % » (c’est ainsi qu’il qualifie Mamdani), ce qui discrédite le Parti démocrate dans son ensemble. De par ses attaques répétées à l’encontre de Mamdani, il transforme l’élection new-yorkaise en guerre par procuration contre la gauche progressiste.</p>
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<p>Donald Trump n’espère pas voir un républicain gagner la mairie de New York, objectif quasi impossible en l’état actuel des forces. Sa stratégie consiste à utiliser la probable victoire de Mamdani comme laboratoire afin de fracturer le Parti démocrate au niveau national. Le camp des centristes gestionnaires est en lambeaux. Le choix est cornélien : soutenir un candidat anticapitaliste et pro-palestinien, en fidélité au parti qui l’a investi, ou défendre un candidat accusé – à raison – de parjure et de harcèlement sexuel.</p>
<p>Pendant que la gauche radicale se prend à rêver de victoires « du Maine à la Californie », l’anticapitalisme de Mamdani permettra à Trump de brandir l’épouvantail du « radicalisme de gauche » auprès de l’électorat modéré national. Chaque difficulté à New York sera imputée au « socialisme » du maire. Surtout, son antisionisme radical va être un détonateur dans le camp démocrate. Les leaders vont devoir prendre position en public et régler leurs comptes en interne. Barack Obama, lui, a déjà choisi. De passage en Virginie et dans le New Jersey pour soutenir en meeting les candidates démocrates, il n’a pas fait d’arrêt à New York. Zohran Mamdani a dû se contenter d’un <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/cet-appel-entre-mamdani-et-obama-a-trois-jours-des-municipales-de-new-york-veut-dire-beaucoup_256676.html">coup de téléphone de soutien de la part de l’ancien président</a>.</p>
<p>Au cœur de cette stratégie : le vote juif. Donald Trump a pris parti en faveur d’Israël comme aucun président avant lui. Cela lui a valu un soutien considérable dans le camp républicain. Maintenant, il veut fissurer encore davantage le soutien historique des Juifs aux Démocrates. Si les plus orthodoxes choisissent déjà de plus en en plus le vote républicain, les plus modérés restent encore à convaincre. Et si Mamdani décidait de se tempérer sur cette question, il perdrait le soutien de DSA. Alexandria Ocasio-Cortez en a déjà fait l’expérience.</p>
<h2>La difficile reconstruction du Parti démocrate</h2>
<p>Zohran Mamdani illustre un tournant important pour le Parti démocrate : la mise de côté des questions identitaires et de guerre culturelle, dans le cadre de laquelle la posture du parti a parfois été qualifié de « wokiste ». Le retour des questions matérielles, relatives au coût de la vie, est indispensable à de futures victoires électorales du parti de l’âne. Mais dans un contexte où la formation tente de se reconstruire après la défaite de 2024, la gauche radicale n’apporte peut-être pas que des solutions.</p>
<p>Les autres figures démocrates se tiennent à distance à distance du jeune Mamdani. Au mieux, elles lui apportent un soutien formel. Mais chacun se prépare. Kamala Harris vient de publier ses mémoires et <a href="https://www.lefigaro.fr/international/etats-unis-kamala-harris-pourrait-se-presenter-a-nouveau-a-la-maison-blanche-20251026">ne cache pas ses ambitions présidentielles pour 2028</a>. Le gouverneur de Californie Gavin Newsom, fervent anti-Trump, est à la manœuvre pour faire voter, ce 4 novembre la <a href="https://voterguide.sos.ca.gov/quick-reference-guide/50.htm">Proposition 50</a>, un redécoupage électoral partisan destiné à contrer une tactique similaire des républicains dans le Texas.</p>
<p>Le 4 novembre déterminera si New York devient le symbole d’une renaissance de la gauche radicale états-unienne ou le cadeau empoisonné qui divisera durablement le Parti démocrate, offrant à Donald Trump une victoire stratégique majeure pour garder le contrôle des deux Chambres aux élections de mi-mandat en novembre 2026.</p>
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<p>Élisa Chelle est l’auteure de <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/sciences-politiques/democratie-a-l-epreuve-du-populisme_9782415012694.php"><em>La démocratie à l’épreuve du populisme. Les leçons du trumpisme</em></a> (Odile Jacob, 2025).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/268919/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elisa Chelle a reçu des financements de l'Institut universitaire de France.</span></em></p>La probable victoire de Zohran Mamdani à New York devrait provoquer de profonds bouleversements au sein de son parti, dont il incarne le courant situé le plus à gauche.Elisa Chelle, Professeure des universités en science politique, Université Paris NanterreLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2687402025-11-02T07:56:39Z2025-11-02T07:56:39ZLes frappes des États-Unis contre des bateaux en mer des Caraïbes répondent-elles à une stratégie cohérente ?<p><strong>Une quinzaine de bateaux supposément remplis de drogue et de trafiquants ont été détruits par des frappes conduites par les forces armées des États-Unis au cours de ces dernières semaines. Des opérations illégales au regard du droit international, que l’administration Trump justifie en affirmant que le trafic de drogue relève du terrorisme. Alors que le Venezuela de Nicolas Maduro n’est qu’un acteur secondaire dans l’afflux de drogue vers les États-Unis, Washington affirme que le régime de Caracas organise sciemment ce trafic et laisse entendre qu’une opération de changement de régime pourrait être prochainement menée à son encontre.</strong></p>
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<p>« Je pense que nous allons simplement tuer les personnes qui font entrer de la drogue dans notre pays. D’accord ? Nous allons les tuer. Vous savez, ils vont être, genre, morts », a <a href="https://www.politico.com/news/2025/10/28/trump-counts-on-public-support-for-drug-boat-strikes-without-congressional-approval-00626065">déclaré</a> Donald Trump fin octobre 2025 à propos des frappes militaires américaines contre des bateaux dans la mer des Caraïbes, au nord du Venezuela.</p>
<p>À ce jour, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/30/les-etats-unis-coulent-un-bateau-presente-comme-lie-au-narcotrafic-dans-l-ocean-pacifique_6650226_3210.html">quatorze bateaux</a> ont été frappés, <a href="https://www.wola.org/analysis/facts-to-inform-the-debate-about-the-u-s-governments-anti-drug-offensive-in-the-americas/">ce qui a causé la mort de 43 personnes</a>. L’administration a affirmé, sans en fournir la moindre preuve, que ces embarcations étaient exploitées par des trafiquants de drogue.</p>
<p>Le 24 octobre, Washington a lancé un renforcement militaire de grande envergure dans la région. Le Pentagone a <a href="https://www.opex360.com/2025/10/25/lutte-contre-le-narcotrafic-les-etats-unis-deploient-le-porte-avions-uss-gerald-r-ford-dans-les-caraibes/">déployé</a> dans les Caraïbes le porte-avions <em>USS Gerald-R.-Ford</em> et une partie de son groupe aéronaval, ainsi que plusieurs autres navires de guerre, et a transféré à Porto Rico des avions de combat F-35. Il s’agit du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/28/deploiement-naval-americain-dans-les-caraibes-contre-le-narcotrafic-l-amerique-latine-s-interroge-sur-les-veritables-intentions-de-donald-trump_6649990_3210.html">plus important déploiement naval américain dans la mer des Caraïbes</a> depuis la crise de Cuba en 1962.</p>
<p>Selon la Maison Blanche, ce renforcement naval et les frappes contre des bateaux dans les eaux internationales <a href="https://www.cbsnews.com/news/what-we-know-us-strikes-alleged-drug-boats-caribbean/">s’inscrivent dans les opérations de lutte contre le trafic de drogue</a>. Les navires visés appartiendraient à des trafiquants de drogue vénézuéliens, bien que l’administration n’ait fourni aucune preuve de la présence de drogue à bord ni précisé de quelles drogues il s’agirait, Trump ayant seulement <a href="https://www.msnbc.com/opinion/msnbc-opinion/trumps-drug-boat-strikes-venezuela-rcna239354">affirmé</a> que du fentanyl pourrait être transporté par ce biais.</p>
<p>À plusieurs reprises, le président et certains de ses conseillers ont qualifié les exploitants et les occupants des bateaux de <a href="https://www.nytimes.com/2025/09/10/us/trump-drug-boat-venezuela-strike.html">« narco-terroristes »</a>. Mais ils n’ont jamais expliqué pourquoi ces personnes devraient être considérées comme des terroristes. Au-delà de la question de la lutte contre le trafic de drogue, Trump et son entourage ont également laissé entendre qu’ils cherchent à <a href="https://www.bbc.com/news/articles/c4gp2lxz75eo">renverser</a> le gouvernement de Nicolás Maduro au Venezuela.</p>
<p>Ancien <a href="https://dornsife.usc.edu/profile/jeffrey-fields/">analyste politico-militaire et ancien conseiller principal</a> au département de la défense, je peine à discerner dans l’action de l’administration Trump une stratégie ou un objectif cohérent.</p>
<h2>La lutte contre le trafic de drogue, une justification discutable</h2>
<p>Les bateaux qui ont été interceptés provenaient tous du Venezuela ou avaient des liens avec ce pays, et tous ont été interceptés <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2025/oct/28/latest-boat-strikes-caribbean-hegseth-trump">dans la mer des Caraïbes et dans le Pacifique</a> au nord de la Colombie, ce qui rend cette opération particulièrement déroutante.</p>
<p>Le Venezuela <a href="https://www.bbc.com/news/articles/c4gp2lxz75eo">n’est pas un grand producteur</a> de fentanyl ou de cocaïne. Les principales routes du trafic de cocaïne se trouvent <a href="https://english.elpais.com/international/2025-10-27/drug-boats-carrying-colombian-cocaine-to-the-us-use-pacific-route-more-than-the-caribbean-one.html">dans l’océan Pacifique, et non dans les Caraïbes</a>.</p>
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<p>En règle générale, c’est dans les eaux internationales que les garde-côtes états-uniens interceptent les navires soupçonnés de transporter de la drogue. En 2025, la garde côtière a intercepté une <a href="https://www.thecentersquare.com/national/article_fae20b33-c691-406a-97b3-e6d451b05cb8.html">quantité record</a> de drogues et de précurseurs chimiques dans les Caraïbes. Il est à noter que la quantité de précurseurs chimiques de la méthamphétamine interceptée <a href="https://www.thecentersquare.com/national/article_fae20b33-c691-406a-97b3-e6d451b05cb8.html">dépasse de loin</a> celle du fentanyl.</p>
<p>Après l’interception, les garde-côtes sont censés engager une procédure conforme aux contraintes légales, en interpellant l’équipage avant de le remettre à une agence états-unienne chargée de l’application de la loi.</p>
<p>Mais les frappes de Trump ont tué sans sommation la plupart des personnes se trouvant à bord des bateaux et ont vraisemblablement détruit toutes les drogues illicites présumées. De nombreux observateurs et experts juridiques estiment que <a href="https://www.reuters.com/world/americas/un-experts-say-us-strikes-against-venezuela-international-waters-amount-2025-10-21/">ces meurtres équivalaient à des assassinats extrajudiciaires</a>.</p>
<h2>Le Venezuela dans le viseur de Donald Trump</h2>
<p>Trump est obsédé depuis un certain temps par le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-incroyable-histoire-du-tren-de-aragua-le-gang-venezuelien-qui-fait-trembler-donald-trump-22-03-2025-2585367_24.php">gang vénézuélien Tren de Aragua</a>, ce qui renforce l’intérêt que son administration porte au Venezuela.</p>
<p>En janvier, Washington a <a href="https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/01/designating-cartels-and-other-organizations-as-foreign-terrorist-organizations-and-specially-designated-global-terrorists/">désigné Tren de Aragua</a> comme organisation terroriste, au même titre que plusieurs autres cartels de la drogue. Mais le communiqué de la Maison Blanche annonçant cette désignation ne mentionnait aucun comportement ou activité constitutifs de terrorisme. En effet, la législation des États-Unis définit le terrorisme comme un <a href="https://www.law.cornell.edu/uscode/text/18/2331">acte de violence à motivation politique</a>, visant généralement la population civile, dans le but de provoquer un changement politique.</p>
<p>La désignation d’un groupe, quel qu’il soit, comme <a href="https://www.state.gov/foreign-terrorist-organizations">« organisation terroriste étrangère »</a> présente l’avantage de permettre au gouvernement de prendre des mesures telles que la saisie des avoirs et l’imposition de restrictions de voyage à l’encontre des personnes qui y sont associées.</p>
<p>Il reste qu’accoler cette qualification à un gang criminel dénué d’idéologie et d’objectifs politiques clairs donne une image erronée de Tren de Aragua, et invite à s’interroger sur les motivations de la Maison Blanche.</p>
<p>Et puis, il y a eu l’étrange incident de l’opération secrète qui ne fut pas si secrète que ça.</p>
<p>Début octobre, le <a href="https://www.nytimes.com/2025/10/15/us/politics/trump-covert-cia-action-venezuela.html"><em>New York Times</em> a rapporté</a> que Trump avait donné son aval à des opérations secrètes au Venezuela et <a href="https://www.nytimes.com/2025/10/15/us/politics/trump-covert-cia-action-venezuela.html">autorisé la CIA</a> à mener des « frappes meurtrières » à l’intérieur du pays.</p>
<p>Étonnamment, <a href="https://apnews.com/article/trump-cia-covert-operations-venezuela-ecb477ac7f07d5beaf48d44dee75c5e5">Trump a confirmé qu’il avait effectivement donné son feu vert</a> à des opérations secrètes. Or, la caractéristique principale d’une opération secrète est normalement que le <a href="https://www.law.cornell.edu/definitions/uscode.php?width=840&height=800&iframe=true&def_id=50-USC-175183847-1584354847&term_occur=999&term_src=">rôle du gouvernement qui l’ordonne demeure caché</a>.</p>
<p>L’obsession de Trump pour le Venezuela remonte à son premier mandat, lorsqu’il avait déjà le régime de Maduro dans le collimateur. En mars 2020, son administration a <a href="https://www.nytimes.com/2025/10/06/us/politics/trump-cartels-venezuela-what-we-know.html">accusé Maduro d’être à la tête du Cartel de los Soles</a> – le cartel des soleils – un réseau criminel informel lié à de hauts responsables militaires vénézuéliens soupçonnés d’avoir organisé un trafic de drogue vers les États-Unis. Et en 2025, la Maison Blanche a affirmé que <a href="https://www.nytimes.com/2025/10/15/us/politics/trump-covert-cia-action-venezuela.html">Maduro contrôlait Tren de Aragua</a>.</p>
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<p>Des observateurs indépendants affirment que le leader de l’opposition Edmundo González Urrutia <a href="https://www.cfr.org/global-conflict-tracker/conflict/instability-venezuela">a facilement remporté</a> l’élection présidentielle de 2024. La commission électorale, contrôlée par le gouvernement, a toutefois déclaré Maduro vainqueur. Si la Maison Blanche entend favoriser un changement de régime au Venezuela, comme l’ont <a href="https://www.cnn.com/2025/10/24/politics/venezuela-cocaine-trafficking-routes-trump">suggéré</a> certains responsables anonymes, les récents propos de Trump ont sans doute incité Maduro à se préparer à une telle éventualité.</p>
<h2>Aspects juridiques</h2>
<p>Si l’objectif de l’administration est d’interdire les drogues dangereuses comme la cocaïne, la <a href="https://www.nytimes.com/2025/09/03/world/americas/venezuela-drug-boat-trump-us.html">Colombie est une source beaucoup plus importante</a>. Le Venezuela joue principalement un rôle de canal de transit mineur plutôt que celui de producteur.</p>
<p>En ce qui concerne l’atténuation des effets des drogues et des stupéfiants aux États-Unis, de nombreuses études menées au cours des dernières décennies ont montré que les mesures prises pour réduire la demande à l’intérieur du pays plutôt qu’à s’en prendre à l’offre <a href="https://www.wola.org/analysis/facts-to-inform-the-debate-about-the-u-s-governments-anti-drug-offensive-in-the-americas/">sont plus efficaces</a> en la matière.</p>
<p>En l’absence d’informations publiques suggérant l’existence d’une stratégie ou d’un objectif global, les problèmes juridiques liés aux frappes maritimes deviennent évidents.</p>
<p>Le secrétaire d’État Marco Rubio <a href="https://www.cnn.com/2025/09/05/politics/trump-weighs-strikes-targeting-cartels-inside-venezuela">a déclaré</a> que tout cela relevait d’« opérations de lutte contre le trafic de drogue ». Mais il est allé plus loin en affirmant qu’au lieu d’intercepter les bateaux, ceux-ci seraient détruits.</p>
<p>La méthode consistant à intercepter et détruire les bateaux et à tuer les personnes à bord pose de nombreux problèmes juridiques, notamment en ce qui concerne l’exécution de missions de maintien de l’ordre par les forces armées des États-Unis. Cela est interdit par la loi Posse Comitatus Act, <a href="https://policy.defense.gov/portals/11/Documents/hdasa/references/6_USC_466.pdf">qui interdit</a> clairement aux forces armées fédérales d’exercer des activités de maintien de l’ordre.</p>
<p>En ce qui concerne les mesures visant le Venezuela, Trump <a href="https://www.cnn.com/2025/10/23/politics/trump-drug-traffickers-congress-venezuela">a affirmé</a> qu’il ne demanderait pas au Congrès de déclarer la guerre, mais qu’il l’informerait de toute opération terrestre.</p>
<p>Le <a href="https://www.congress.gov/93/statute/STATUTE-87/STATUTE-87-Pg555.pdf">War Powers Act</a> (loi sur les pouvoirs de guerre, adoptée en 1973) qui oblige le président à informer le Congrès avant toute opération militaire et à lui rendre compte après coup, devrait s’appliquer à cette situation. Mais depuis son adoption, presque tous les présidents <a href="https://constitutioncenter.org/blog/does-the-president-need-congress-to-approve-military-actions-in-iran">l’ont ignorée</a> à un moment ou à un autre.</p>
<p>Bien que <a href="https://www.congress.gov/bill/119th-congress/senate-joint-resolution/83/text">certains républicains</a> au Congrès se soient opposés aux actions militaires menées jusqu’à présent, le Sénat a <a href="https://www.cbsnews.com/news/senate-war-powers-trump-venezuela-boat-strikes/#">rejeté</a> début octobre une résolution qui aurait empêché de nouvelles frappes dans les Caraïbes.</p>
<p>L’administration Trump continue de présenter ses activités dans les eaux internationales comme une opération militaire et les passeurs comme des combattants ennemis. La plupart des <a href="https://www.justsecurity.org/121844/trump-notice-drug-cartels/">spécialistes du droit rejettent</a> cette position et qualifient ces frappes d’exécutions extrajudiciaires.</p>
<p>En réponse à une réaction désinvolte du vice-président J. D. Vance au sujet de ces opérations, le sénateur républicain Rand Paul <a href="https://x.com/RandPaul/status/1964494191783714933">a écrit sur X</a> : « S’est-il déjà demandé ce qui se passerait si les accusés étaient immédiatement exécutés sans procès ni représentation ? Quelle pensée méprisable et irréfléchie que de glorifier le fait de tuer quelqu’un sans procès. »</p>
<p>Sur les opérations liées au Venezuela, les déclarations éparses de Trump et de ses conseillers, tels que Marco Rubio et le secrétaire à la défense Pete Hegseth, laissent en suspens de nombreuses questions : à ce stade, rien ne justifie que les bateaux soient détruits et leurs occupants tués plutôt qu’interceptés et arrêtés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/268740/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeffrey Fields a reçu des financements de la Carnegie Corporation de New York.
</span></em></p>L’administration Trump affirme que le gouvernement Maduro serait derrière le trafic de drogue à destination des États-Unis. Une opération de « regime change » se profile-t-elle ?Jeffrey Fields, Professor of the Practice of International Relations, USC Dornsife College of Letters, Arts and SciencesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2688212025-11-01T14:21:22Z2025-11-01T14:21:22ZLa course à la bombe : encore ?<p><strong>L’arme nucléaire revient sur le devant de la scène internationale, avec les annonces successives par Vladimir Poutine du développement de nouveaux armements et par Donald Trump de la reprise d’essais. Les traités de limitation des armements sont de plus en plus ignorés et cette nouvelle course entre les deux (anciens) Grands de la guerre froide pourrait, cette fois, inciter plusieurs nouveaux participants à entrer dans la compétition…</strong></p>
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<p>Depuis une semaine, l’actualité stratégique est devenue <em>retro</em>. Elle a repris une chorégraphie très « années 1950 » car elle a été bousculée par le retour du nucléaire au-devant de la scène internationale.</p>
<p>Le 26 octobre dernier, en treillis et en vidéo, Vladimir Poutine présente (à nouveau) le missile expérimental russe <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/29/le-missile-russe-bourevestnik-arme-psychologique-de-poutine-destinee-a-effrayer-les-occidentaux_6650208_3210.html"><em>Bourevstnik</em></a> (« annonceur de tempête »), doté d’une tête et d’un système de propulsion nucléaires. Quelques jours plus tard, c’est au tour d’un drone sous-marin à propulsion nucléaire, le <a href="https://www.franceinfo.fr/monde/russie/vladimir-poutine/que-sait-on-de-poseidon-ce-nouveau-drone-sous-marin-a-capacite-nucleaire-russe_7584665.html">Poséidon</a>, déjà présenté il y a quelques années, d’avoir les honneurs des autorités russes qui proclament qu’il est indétectable et pourrait venir percuter les côtes ennemies et y faire exploser une charge nucléaire. Enfin, le 29 octobre, Donald Trump annonce sur le réseau <em>Truth Social</em> la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/31/reprise-des-essais-nucleaires-l-annonce-retentissante-mais-floue-de-donald-trump_6650370_3210.html">reprise des essais pour « les armes nucléaires »</a>, une première depuis l’adoption du <a href="https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=IND&mtdsg_no=XXVI-4&chapter=26&clang=_fr">Traité sur l’interdiction des essais nucléaires</a> en 1996.</p>
<p>Cette guerre des communiqués a déclenché l’onde de choc d’une bombe – médiatique, fort heureusement – dans les milieux stratégiques. En effet, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la guerre d’Israël contre le Hamas dans la bande de Gaza, le bombardement de l’Iran par les États-Unis et la guerre Inde-Pakistan du début de l’année, l’attention des analystes militaires s’était portée sur les armements traditionnels (blindés, missiles, munitions, chasseurs) et sur les systèmes innovants (drones, artillerie mobile, munitions guidées, bombes perforatrices).</p>
<p>Dans cette séquence en Technicolor et en Mondovision, tout se passe comme si le célèbre <a href="https://www.cinematheque.fr/film/33799.html">Dr. Folamour du film de Stanley Kubrick</a> (1964) faisait son grand retour : ce personnage de fiction, scientifique nazi employé par l’armée américaine, paraît comme rappelé à la vie par la nouvelle guerre froide que se livrent les grandes puissances militaires dotées de l’arme atomique, à savoir les États-Unis, la Fédération de Russie et la République populaire de Chine, respectivement pourvues d’environ 3700, 4200 et 600 ogives nucléaires. Ce parfum de course à la bombe fleure bon les années 1950, les Cadillac roses et les défilés sur la place Rouge.</p>
<p>Pourquoi la course aux armements nucléaires est-elle aujourd’hui relancée, du moins au niveau médiatique ? Et quels sont les risques dont elle est porteuse ?</p>
<h2>Essais nucléaires américains et surenchères médiatiques</h2>
<p>En annonçant la reprise des essais nucléaires sur le sol des États-Unis, Donald Trump s’est montré aussi tonitruant que flou. Dans ce domaine-là comme dans tous les autres, il a voulu claironner le <em>Make America Great Again</em> qui constitue son slogan d’action universelle pour rendre à l’Amérique la première place dans tous les domaines.</p>
<p>En bon dirigeant narcissique, il a voulu occuper seul le devant de la scène médiatique en répliquant immédiatement aux annonces du Kremlin. En bon animateur de <em>reality show</em>, il a volé la vedette atomique à son homologue russe. Invoquant les initiatives étrangères en la matière, il a endossé son rôle favori, celui de briseur de tabous, en l’occurrence le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICEN) adopté en 1996 par l’Assemblée générale des Nations unies, avec le soutien des États-Unis de Bill Clinton, érigés en gendarme du monde.</p>
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<p>Le message trumpien procède d’une surenchère évidente sur les annonces du Kremlin : comment Donald Trump aurait-il pu laisser toute la lumière à Vladimir Poutine en matière d’innovations nucléaires de défense ? Il lui fallait réagir par une annonce plus forte, plus choquante et plus massive. C’est tout le sens de la reprise des essais sur « les armements nucléaires ». Personne ne sait s’il s’agit de tester de nouvelles ogives, de nouveaux vecteurs, de nouveaux modes de propulsion ou de nouvelles technologies de guidage. Mais tout le monde retient que c’est le président américain qui a officiellement relancé et pris la tête de la course mondiale à la bombe. C’était le but visé. Examinons maintenant ses conséquences.</p>
<p>À moyen terme, cette déclaration n’a rien de rassurant : les États-Unis, première puissance dotée historiquement et deuxième puissance nucléaire par le nombre d’ogives, envoient par cette annonce un « signalement stratégique » clair au monde. Ils revendiquent le <em>leadership</em> en matière d’armes nucléaires (dans tous les domaines) en dépit du rôle essentiel qu’ils ont joué depuis les années 1980 pour le contrôle, la limitation et la réduction des armes nucléaires.</p>
<p>En effet, les différents traités signés et renouvelés par Washington – Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (1987), START I (1991), II (1993) et New START (2010), TICEN, etc. – avaient tous pour vocation de dire au monde que les États-Unis se donnaient comme horizon la dénucléarisation des relations internationales ainsi que de l’espace et même la suppression de l’arme comme le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2009/04/06/barack-obama-un-monde-sans-armes-nucleaires_1177289_3232.html">souhaitait le président Obama</a>.</p>
<p>Avec cette annonce – qu’on espère réfléchie même si elle paraît compulsive –, les États-Unis changent de rôle mondial : ils cessent officiellement d’être un modérateur nucléaire pour devenir un moteur de la nucléarisation des relations internationales.</p>
<h2>L’avenir du nucléaire : dissuasion ou suprématie ?</h2>
<p>La tonalité qui se dégage de cette guerre des communiqués atomiques ressemble à s’y méprendre à la première guerre froide et à la course-poursuite à laquelle elle avait donné lieu. Après avoir conçu, produit et même utilisé l’arme atomique en 1945 contre Hiroshima et Nagasaki, les États-Unis avaient continué leur effort pour obtenir la suprématie nucléaire dans le domaine des vecteurs, des milieux (air, terre, mer) et des technologies de guidage. L’URSS de Staline avait, elle, d’abord cherché à briser le monopole américain sur l’arme nucléaire puis gravi tous les échelons technologiques pour devenir une puissance nucléaire à parité avec ce qu’on appelait alors le leader du monde libre.</p>
<p>Le pivot historique doit être noté, surtout s’il se confirme par une course aux armements. Jusqu’à la guerre d’Ukraine, les armes nucléaires faisaient l’objet de perfectionnements technologiques réguliers. Mais le cadre de leur possession restait inchangé : elles devaient constituer un outil de dissuasion. Autrement dit, elles devaient rester des armements à ne jamais utiliser. Les signalements stratégiques sont aujourd’hui sensiblement en rupture avec cette logique établie depuis les années 1980.</p>
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<p>Depuis le début de la guerre d’Ukraine, le Kremlin laisse régulièrement entendre qu’un usage sur le champ de bataille (le fameux « nucléaire tactique ») <a href="https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/le-kremlin-abaisse-dramatiquement-le-seuil-cense-justifier-une-riposte-nucleaire-1805441">n’est pas à exclure en cas de risque pour les intérêts vitaux russes</a>. De même, les États-Unis viennent de faire comprendre que leur priorité n’est plus la lutte contre la prolifération nucléaire, qu’elle soit nord-coréenne ou iranienne. Si le message de Donald Trump sur Truth Social est suivi d’effets, la priorité nucléaire américaine sera la reconquête de la suprématie nucléaire en termes de quantité et de qualité.</p>
<p>Autrement dit, les anciens rivaux de la guerre froide relancent une course aux armements nucléaires au moment où les instruments internationaux de limitation et de contrôle sont démantelés ou obsolètes. Ils ne luttent plus pour se dissuader les uns les autres d’agir. Ils participent à la course pour l’emporter sur leurs rivaux. Le but n’est plus la MAD (Mutual Assured Destruction) mais la suprématie et l’hégémonie atomique.</p>
<p>L’effet d’imitation risque d’être puissant, donnant un nouvel élan aux proliférations.</p>
<h2>De la compétition internationale à la prolifération mondiale ?</h2>
<p>Si les annonces russo-américaines se confirment, se réalisent et s’amplifient sous la forme d’une nouvelle course aux armements nucléaires, trois ondes de choc peuvent frapper les relations stratégiques à court et moyen terme.</p>
<p>Premier effet de souffle, au sein du club des <a href="https://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-1051_fr.html">puissances officiellement dotées de l’arme nucléaire au sens du Traité de Non-Prolifération</a> (TNP), la République populaire de Chine ne pourra pas se laisser distancer (quantitativement et qualitativement) par son rival principal, les États-Unis et par son « brillant second », la Russie. En conséquence, la RPC s’engagera progressivement dans un programme visant à combler son retard en nombre de têtes et dans la propulsion des vecteurs. Cela militarisera encore un peu plus la rivalité avec les États-Unis et « l’amitié infinie » avec la Russie. Il est à prévoir que de nouveaux armements nucléaires seront développés, adaptés à l’aire Pacifique et dans les espaces que la Chine conteste aux États-Unis : Arctique, espace, fonds marins… Il est également à prévoir que la Chine s’attachera à développer des systèmes de lutte contre ces nouveaux vecteurs à propulsion nucléaire.</p>
<p>Le deuxième effet sera, pour les Européens, une interrogation sur les ressources à consacrer à leurs propres programmes nucléaires, de taille réduite car ils sont essentiellement axés sur la dissuasion stratégique. S’ils refusent de s’y engager pour concentrer leurs ressources sur les armes conventionnelles, ils risquent un nouveau déclassement. Mais s’ils se lancent dans la compétition, ils risquent de s’y épuiser, tant leur retard est grand. Nucléarisés mais appauvris. Ou bien vulnérables mais capables de financer le réarmement conventionnel.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-defis-du-rearmement-de-leurope-reveil-strategique-ou-chaos-organise-266762">Les défis du réarmement de l’Europe : réveil stratégique ou chaos organisé ?</a>
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<p>Enfin, le troisième effet indirect des déclarations russo-américaines sur la reprise de la course aux armements sera la tentation, pour de nombreux États, de se rapprocher du seuil afin de garantir leur sécurité. Si l’Arabie saoudite, la Corée du Sud, la Pologne et même le Japon et l’Allemagne considèrent que leur sécurité nécessite des armes nucléaires et que le cadre du TNP est obsolète, alors la prolifération risque de reprendre de plus belle, à l’ombre des menaces nord-coréennes et iraniennes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nouveau-partenariat-arabie-saoudite-pakistan-quelles-conse-quences-internationales-267448">Nouveau partenariat Arabie saoudite-Pakistan : quelles conséquences internationales ?</a>
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<h2>De Dr. Folamour à Dr. Frankenstein</h2>
<p>Les annonces russes, américaines et, n’en doutons pas, bientôt chinoises sur les armements nucléaires présagent d’une nouvelle phase dans les affaires stratégiques, celle d’une compétition majeure sur toutes les technologies liées à ces armes complexes. Si la tendance se confirme, les armes nucléaires, leurs vecteurs, leurs usages et leurs doctrines seront de nouveau propulsés au premier plan du dialogue compétitif entre puissances. Et l’espace sera lui-même susceptible de devenir le nouvel espace de la compétition nucléaire.</p>
<p>Vivons-nous pour autant une régression historique vers la guerre froide ?</p>
<p>La donne est bien différente de celle des années 1950, quand le but des puissances communistes était de rattraper leur retard sur les armes américaines (acquisition de la bombe, passage au thermonucléaire). Et le débat stratégique est bien distinct de celui des années 1970, quand la compétition était quantitative (combien de têtes ? Combien de vecteurs ?).</p>
<p>Aujourd’hui, les risques liés aux armes nucléaires sont différents : démantèlement progressif des traités de limitation et de contrôle de ces armes, tentation retrouvée de se porter au seuil pour les puissances non dotées et surtout réflexion sur un usage (et non plus sur la dissuasion).</p>
<p>Ce n’est pas Dr. Folamour qui a connu une résurrection, c’est un nouveau Dr. Frankenstein qui s’est lancé dans des expérimentations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/268821/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La course aux armements nucléaires entre la Russie et les États-Unis paraît relancée, comme aux heures les plus inquiétantes de la guerre froide, mais selon des modalités nouvelles.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2687272025-11-01T14:19:37Z2025-11-01T14:19:37ZAu Royaume-Uni, l'influence cachée des militaires derrière le nouvel engouement pour les petits réacteurs nucléaires<p><strong>Outre-Manche, les petits réacteurs modulaires sont présentés comme une solution énergétique, mais servent d'abord les besoins stratégiques des armées. En subventionnant le nucléaire civil, citoyens et consommateurs financent indirectement la puissance militaire.</strong></p>
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<p>La récente visite de Donald Trump au Royaume-Uni a donné lieu à un «partenariat historique» sur l'énergie nucléaire. Londres et Washington ont annoncé leur intention de construire <a href="https://www.newcivilengineer.com/latest/nuclear-developers-discuss-plans-to-build-over-20-smrs-in-uk-by-mid-2030s-with-private-funds-16-09-2025/">20 petits réacteurs modulaires</a> et de développer également la technologie des microréacteurs – et ce alors qu'aucune de ces installations <a href="https://www.climateandcapitalmedia.com/small-modular-nuclear-reactors-a-history-of-failure/">n'a encore été construite commercialement nulle part dans le monde</a>.</p>
<p>Le premier ministre britannique, Keir Starmer, a promis que ces projets inaugureraient un «âge d'or» du nucléaire qui permettrait aussi de <a href="https://www.theguardian.com/business/2025/sep/15/uk-and-us-line-up-string-of-deals-to-build-modular-nuclear-reactors-in-britain">«faire baisser les factures»</a>. Pourtant, l'histoire de l'énergie nucléaire est faite de décennies de surenchère, de coûts faramineux et de retards à répétition. Partout dans le monde, les tendances vont dans la mauvaise direction.</p>
<p>Alors pourquoi un tel regain d'enthousiasme pour le <a href="https://theconversation.com/topics/energie-nucleaire-115966">nucléaire</a> ? Les véritables raisons tiennent moins à la sécurité énergétique ou au changement climatique – et bien davantage à la puissance militaire.</p>
<p>À première vue, l'argument semble évident. Les partisans du nucléaire présentent les petits réacteurs modulaires, ou SMR, comme <a href="https://www.oecd-nea.org/jcms/pl_108268/new-nea-small-modular-reactor-dashboard-edition-reveals-global-expansion-of-smr-deployment">indispensables pour réduire les émissions</a> et répondre à une demande croissante d'électricité, alimentée par les voitures et les <a href="https://theconversation.com/ia-bombe-energetique-ou-levier-ecologique-260218">centres de données</a>. Les grandes centrales nucléaires étant désormais devenues trop coûteuses, les réacteurs de taille réduite sont promus comme une alternative enthousiasmante.</p>
<p>Mais aujourd'hui, même les <a href="https://www.neimagazine.com/news/nuclear-plays-minor-role-in-iea-world-energy-outlook-2023-11258986/">analyses les plus optimistes de l'industrie</a> reconnaissent que le nucléaire – y compris les SMR – a peu de chances de rivaliser avec les énergies renouvelables. Une étude publiée plus tôt cette année dans le <a href="https://www.newcivilengineer.com/latest/smrs-most-expensive-of-all-electricity-technologies-per-kw-generation-31-03-2025/">New Civil Engineer</a> concluait que les SMR sont «la source d'électricité la plus coûteuse par kilowatt produit, comparée au gaz naturel, au nucléaire traditionnel et aux renouvelables».</p>
<p>Des évaluations indépendantes – notamment celle de l'ex-pro-nucléaire <a href="https://royalsociety.org/-/media/policy/projects/large-scale-electricity-storage/large-scale-electricity-storage-report.pdf">Royal Society</a> – montrent que des systèmes 100 % renouvelables surpassent tout système incluant du nucléaire en termes de coût, de flexibilité et de sécurité. Cela contribue à expliquer pourquoi des <a href="https://www.nature.com/articles/s41560-020-006963">analyses statistiques mondiales</a> révèlent que l'énergie nucléaire n'est généralement pas associée à une réduction des émissions de carbone, contrairement aux renouvelables.</p>
<p>En partie, l'enthousiasme pour les SMR s'explique par le fait que les voix institutionnelles les plus audibles ont souvent un <a href="https://www.worldnuclearreport.org/IMG/pdf/wnisr2025-v1.pdf">mandat ou des intérêts pronucléaires</a> : il s'agit de l'industrie elle-même et de ses fournisseurs, des agences nucléaires et des gouvernements dotés de programmes militaires nucléaires bien ancrés. Pour ces acteurs, la seule question est de savoir quels types de réacteurs développer, et à quelle vitesse. Ils ne se demandent pas s'il faut construire des réacteurs en premier lieu : la nécessité est considérée comme une évidence.</p>
<p>Au moins, les grandes centrales nucléaires ont bénéficié <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0301421516300106">d'économies d'échelle</a> et de décennies d'optimisation technologique. Beaucoup de conceptions de SMR ne sont encore que des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0301421518303446">«réacteurs PowerPoint»</a>, existant uniquement sous forme de diapositives et d'études de faisabilité. Les affirmations selon lesquelles ces projets non réalisés <a href="https://www.weforum.org/stories/2022/10/nuclear-power-power-plant-smrs-clean-energy/">«coûteront moins cher»</a> relèvent au mieux de la spéculation.</p>
<p>Les marchés financiers le savent. Si les investisseurs considèrent la frénésie autour des SMR comme une occasion de profiter de milliards de subventions publiques, <a href="https://www.lazard.com/media/uounhon4/lazards-lcoeplus-june-2025.pdf">leurs propres analyses</a> se montrent nettement moins enthousiastes quant à la technologie elle-même.</p>
<p>Alors pourquoi, dès lors, un tel intérêt pour le nucléaire en général et pour les réacteurs de petite taille en particulier ? Il est évident que quelque chose d'autre se joue derrière cette mise en avant.</p>
<h2>Le lien caché</h2>
<p>Le facteur négligé est la <a href="https://theconversation.com/military-interests-are-pushing-new-nuclear-power-and-the-uk-government-has-finally-admitted-it-216118">dépendance des programmes militaires vis-à-vis des industries nucléaires civiles</a>. Le maintien d'une marine nucléaire ou d'un arsenal nucléaire exige un accès constant à des technologies de réacteurs génériques, à une main-d'œuvre hautement qualifiée et à des matériaux spécifiques. Sans industrie nucléaire civile, les capacités militaires nucléaires deviennent beaucoup plus difficiles et coûteuses à entretenir.</p>
<p>Les sous-marins nucléaires occupent une place particulièrement centrale, car ils nécessiteraient très probablement l'existence d'industries nationales de réacteurs et de leurs chaînes d'approvisionnement <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/oct/15/inquiry-to-question-whether-australia-needs-nuclear-industry-to-support-submarine-program">même en l'absence d'un programme nucléaire civil</a>. Déjà difficilement abordables <a href="https://www.nuclearinfo.org/wp-content/uploads/2020/09/Trouble-Ahead-digital-version.pdf">pris individuellement</a>, les sous-marins nucléaires deviennent encore plus coûteux si l'on prend en compte l'ensemble de cette <a href="https://www.rand.org/pubs/monographs/MG326z1.html">«base industrielle sous-marine»</a>.</p>
<p>Rolls-Royce constitue un maillon essentiel de cette chaîne : l'entreprise construit déjà les réacteurs des sous-marins britanniques et doit produire les SMR civils récemment annoncés. Elle déclarait d'ailleurs ouvertement en 2017 qu'un <a href="https://nuclear.foe.org.au/wp-content/uploads/Rolls-Royce-2017-SMR-national-endeavour-see-p22.pdf">programme de SMR civils</a> permettrait de «décharger le ministère de la Défense du fardeau que représente le développement et le maintien des compétences et des capacités».</p>
<p>Ici, comme le soulignait <em>Nuclear Intelligence Weekly</em> en 2020, le programme de SMR de Rolls-Royce entretient une importante <a href="https://www.energyintel.com/0000017b-a7db-de4c-a17b-e7dbfb760000">«symbiose avec les besoins militaires du Royaume-Uni»</a>. C'est cette dépendance qui permet aux coûts militaires (selon les termes d'un ancien dirigeant du constructeur de sous-marins BAE Systems) d'être <a href="https://static.rusi.org/200706_whr_beyond_artful.pdf">«masqués»</a> derrière des programmes civils.</p>
<p>En finançant les projets nucléaires civils, les contribuables et les consommateurs prennent en charge les usages militaires de l'énergie nucléaire par le biais de subventions et de factures plus élevées – sans que ces dépenses supplémentaires apparaissent dans les budgets de la défense.</p>
<p>Lorsque le gouvernement britannique nous a financés pour évaluer l'ampleur de ce transfert, nous l'avons estimé à environ <a href="https://www.york.ac.uk/media/politics/documents/yorkindproject/2024%20Report2%20Stirling%20&%20Johnstone%20Civil%20and%20military%20link%20in%20the%20UK%20nuclear%20weapons%20complesx.pdf">5 milliards de livres par an</a> rien qu'au Royaume-Uni. Ces coûts échappent à la vue du public, car ils sont absorbés par les <a href="https://theconversation.com/all-at-sea-making-sense-of-the-uks-muddled-nuclear-policy-48553">recettes provenant de factures d'électricité plus élevées</a> et par les budgets d'agences gouvernementales supposément civiles.</p>
<p>Il ne s'agit pas d'un complot, mais plutôt d'une sorte de <a href="https://blogs.sussex.ac.uk/sussexenergygroup/2016/01/11/on-the-deep-state-hypothesis-phil-johnstone-and-andy-stirling-react-to-critique/">champ gravitationnel politique</a>. Dès lors que les gouvernements considèrent l'arme nucléaire comme un marqueur de statut mondial, les financements et le soutien politique s'auto-entretiennent. Il en résulte une étrange forme de circularité : l'énergie nucléaire est justifiée par des arguments de sécurité énergétique et de coûts qui ne tiennent pas la route, mais elle est en réalité maintenue pour des raisons stratégiques qui demeurent inavouées.</p>
<h2>Un schéma mondial</h2>
<p>Le Royaume-Uni n'a rien d'exceptionnel, même si d'autres puissances nucléaires se montrent beaucoup plus franches. Le secrétaire américain à l'énergie, Chris Wright, a ainsi décrit l'accord nucléaire entre les États-Unis et le Royaume-Uni comme essentiel pour <a href="https://uk.usembassy.gov/u-s-nuclear-technology-companies-sign-100-billion-in-agreements-to-develop-new-reactors-in-the-uk/">«sécuriser les chaînes d'approvisionnement nucléaires à travers l'Atlantique»</a>. Chaque année, environ <a href="https://atlanticcouncil.org/wp-content/uploads/2019/10/Nuclear-Power-Value-IB-final-web-version.pdf?_gl=1*pr048g*_gcl_au*ODM3NTk5MTc5LjE3NjA5ODE1Nzk.">25 milliards de dollars (18,7 milliards de livres)</a> transitent ainsi du nucléaire civil vers le nucléaire militaire aux États-Unis.</p>
<p>La Russie et la Chine sont elles aussi assez transparentes sur leurs <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3230021">liens indissociables entre civil et militaire</a>. Le président français Emmanuel Macron l'a dit sans détour : <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/12/08/deplacement-du-president-emmanuel-macron-sur-le-site-industriel-de-framatome">«Sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire ; sans nucléaire militaire, pas de nucléaire civil»</a>.</p>
<p>Dans ces pays, les capacités nucléaires militaires sont perçues comme un moyen de rester à la <a href="https://www.nuclearinfo.org/wp-content/uploads/2020/09/Trident-and-British-Identity.pdf">«table des grands»</a>. Mettre fin à leur programme civil menacerait non seulement l'emploi et l'approvisionnement énergétique, mais aussi leur statut de grande puissance.</p>
<h2>La prochaine frontière</h2>
<p>Au-delà des sous-marins, le développement des «microréacteurs» ouvre de nouveaux <a href="https://dss.missouristate.edu/_Files/MSU-DASSO-2025-Vol_1-No_3-Scheckleman.pdf">usages militaires pour l'énergie nucléaire</a>. Les microréacteurs sont encore plus petits et plus expérimentaux que les SMR. Bien qu'ils puissent tirer des profits en exploitant les budgets d'achats militaires, ils n'ont aucun sens d'un point de vue commercial pour l'énergie. Cependant, les <a href="https://www.nationaldefensemagazine.org/articles/2025/10/14/ausa-news-army-announces-program-to-bring-small-nuclear-reactors-to-military-installations">microréacteurs sont considérés comme essentiels</a> dans les plans américains pour l'alimentation sur le champ de bataille, les infrastructures spatiales et de nouvelles armes à haute puissance énergétique. Préparez-vous à les voir occuper une place croissante dans les débats «civils» – précisément parce qu'ils servent des objectifs militaires.</p>
<p>Quel que soit le regard porté sur ces évolutions militaires, il n'a aucun sens de prétendre qu'elles n'ont aucun lien avec le secteur nucléaire civil. Les véritables moteurs du récent accord nucléaire entre les États-Unis et le Royaume-Uni résident dans la projection de puissance militaire, et non dans la production civile d'électricité. Pourtant, cet aspect demeure absent de la plupart des débats sur la politique énergétique.</p>
<p>Il s'agit pourtant d'un enjeu démocratique essentiel : il faut de la transparence sur ce qui se joue réellement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/268727/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Phil Johnstone est professeur invité à l’Université de Tartu, chercheur postdoctoral à l’Université d’Utrecht et chercheur associé à l’Université du Sussex. Il est membre bénévole du Sussex Energy Group et du Nuclear Consultation Group, parrain du Nuclear Information Service, et siège au comité consultatif du Medact Nuclear Weapons group. Avec Andy Stirling, il a auparavant reçu des financements du Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) du Royaume-Uni pour des recherches qui sous-tendent certaines des analyses présentées dans ce blog.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Andy Stirling est professeur émérite à l’Université du Sussex. Parmi ses nombreuses fonctions passées de conseil auprès de gouvernements et d’organisations intergouvernementales, il siège actuellement au sous-comité de sociologie du Research Excellence Framework 2029 du Royaume-Uni et au Conseil de recherche de l’Institut canadien de recherches avancées. Il est membre bénévole du Sussex Energy Group et du Nuclear Consultation Group, parrain du Nuclear Information Service et du Nuclear Education Trust, ainsi qu’administrateur de Greenpeace UK. Il a exercé en 2022-2023 comme expert-conseil pour l’évaluation officielle par le gouvernement britannique du programme d’innovation nucléaire du DESNZ et, avec Phil Johnstone, a reçu des financements du Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) du Royaume-Uni pour des recherches qui sous-tendent certaines des analyses présentées dans ce blog.</span></em></p>Derrière le renouveau du nucléaire civil se cachent des enjeux militaires : sous-marins, armement et projection de puissance.Phil Johnstone, Visiting Fellow, School of Global Studies, University of Sussex; University of Tartu; Utrecht UniversityAndy Stirling, Professor of Science & Technology Policy, SPRU, University of Sussex Business School, University of SussexLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2688102025-11-01T14:18:13Z2025-11-01T14:18:13ZPourquoi le missile nucléaire russe Bourevestnik change les règles du jeu militaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/699744/original/file-20251028-56-i0k5nk.jpg?ixlib=rb-4.1.0&rect=258%2C0%2C1334%2C889&q=45&auto=format&w=1050&h=700&fit=crop" /><figcaption><span class="caption">Les précédents essais du missile Bourevestnik par la Russie comprennent notamment ce tir de 2018.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Screenshot_of_Burevestnik_launch.png">Capture d'écran d'une vidéo du ministère russe de la Défense.</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><strong>Le président russe Vladimir Poutine, vêtu d’un uniforme militaire, a annoncé le 26 octobre 2025 que la Russie <a href="https://apnews.com/article/russia-missile-nuclear-test-launch-drills-burevestnik-dd6a424d6c545ad42848416b77e93619">avait testé avec succès</a> un missile à propulsion nucléaire. Si cette information est avérée, une telle arme pourrait conférer à la Russie une capacité militaire unique, aux répercussions politiques plus larges.</strong></p>
<hr>
<p>Le missile, appelé <em>Bourevestnik</em>, aurait été testé avec succès au-dessus de l'océan Arctique après des années de développement et plusieurs vols d'essai initiaux, dont l'un a entraîné la <a href="https://thebulletin.org/2019/08/the-nenoksa-accident-a-timeline-of-confusing-and-conflicting-reports/">mort de cinq scientifiques nucléaires</a>.</p>
<p>Je suis ingénieur et j’<a href="https://scholar.google.com/citations?hl=en&user=0vO6w7MAAAAJ&view_op=list_works&sortby=pubdate">étudie les systèmes de défense</a>. Voici comment ces armes fonctionnent, les avantages qu'elles présentent par rapport aux systèmes de missiles conventionnels, et leur potentiel à perturber la stabilité stratégique mondiale.</p>
<h2>Missiles à propulsion conventionnelle</h2>
<p>Les missiles sont utilisés par les forces armées du monde entier <a href="https://www.grc.nasa.gov/www/k-12/TRC/Rockets/history_of_rockets.html">depuis des siècles</a> et se déclinent en une grande variété de modèles, caractérisés par leur mission, leur portée et leur vitesse. Ils servent à endommager et détruire une large gamme de cibles, notamment des installations terrestres comme des bases, des centres de commandement et des infrastructures enterrées en profondeur ; des navires ; des aéronefs ; et potentiellement des engins spatiaux. Ces armes sont lancées depuis le sol par l’armée de terre, depuis la mer par des bâtiments de la marine, et depuis les airs par des chasseurs et des bombardiers.</p>
<p>Les missiles peuvent être tactiques, avec des portées relativement courtes de moins de 800 km, ou stratégiques, avec des portées de plusieurs milliers de kilomètres. On distingue trois grandes catégories de missiles : <a href="https://www.space.com/19601-how-intercontinental-ballistic-missiles-work-infographic.html">balistiques</a>, <a href="https://americanhistory.si.edu/subs/weapons/armament/missiles/">de croisière</a> et <a href="https://theconversation.com/chinas-hypersonic-missiles-threaten-us-power-in-the-pacific-an-aerospace-engineer-explains-how-the-weapons-work-and-the-unique-threats-they-pose-206271">hypersoniques</a>.</p>
<p>Les missiles balistiques sont propulsés par des moteurs fusées. Après l’extinction de la poussée, le missile décrit un arc prévisible qui l’emmène hors de l’atmosphère, dans l’espace, puis de nouveau dans l’atmosphère en direction de sa cible.</p>
<p>Les missiles de croisière disposent d’un moteur additionnel qui s’allume après l’extinction de la fusée, permettant au missile de parcourir des trajectoires programmées, typiquement à basse altitude. Ces moteurs fonctionnent grâce à un mélange chimique ou à un carburant solide.</p>
<p>Les missiles hypersoniques volent à des vitesses supérieures à celle du son, mais pas aussi rapides que les missiles balistiques intercontinentaux (ICBM). Ils sont lancés par de plus petites fusées qui les maintiennent dans les couches supérieures de l’atmosphère. Le planeur hypersonique est propulsé jusqu’à une altitude élevée puis glisse vers sa cible en manœuvrant en cours de route. Le missile de croisière hypersonique, lui, est propulsé jusqu’à une vitesse hypersonique, puis utilise un moteur à air <a href="https://www.grc.nasa.gov/www/k-12/airplane/scramjet.html">appelé scramjet</a> pour maintenir cette vitesse.</p>
<h2>Comment fonctionnent les missiles à propulsion nucléaire</h2>
<p>Les missiles à propulsion nucléaire sont une variante de missile de croisière. Les conceptions reposent généralement sur une forme de scramjet. Un système nucléaire thermique utilise la fission du combustible nucléaire pour <a href="https://thebulletin.org/2019/08/project-pluto-and-trouble-with-the-russian-nuclear-powered-cruise-missile/">ajouter de l’énergie à un flux d’air</a> qui est ensuite accéléré dans une tuyère pour générer de la poussée. De cette manière, la fission du matériau nucléaire remplace la combustion chimique des moteurs de croisière traditionnels.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/699055/original/file-20251028-56-9begs9.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="a line drawing diagram with labels" src="https://images.theconversation.com/files/699055/original/file-20251028-56-9begs9.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/699055/original/file-20251028-56-9begs9.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=205&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/699055/original/file-20251028-56-9begs9.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=205&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/699055/original/file-20251028-56-9begs9.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=205&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/699055/original/file-20251028-56-9begs9.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/699055/original/file-20251028-56-9begs9.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/699055/original/file-20251028-56-9begs9.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=258&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le concept d’un scramjet à propulsion nucléaire est simple, même si sa construction est extrêmement complexe.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://large.stanford.edu/courses/2015/ph241/rossi1/docs/merkle.pdf">Lawrence Berkeley National Laboratory</a></span>
</figcaption>
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<p>La densité d’énergie — la quantité d’énergie libérée par unité de masse de combustible — fournie par la fission nucléaire est des millions de fois supérieure à celle des propergols chimiques. Cette caractéristique signifie qu’une quantité relativement faible de combustible fissile peut propulser un missile pendant des périodes bien plus longues que ne le permettent les propergols chimiques.</p>
<p>Les États-Unis ont étudié le développement d’un missile à propulsion nucléaire dans les années 1960. Le programme, <a href="https://www.sandboxx.us/news/project-pluto-the-most-insane-missile-america-ever-built/">Project Pluto</a>, a été abandonné en raison des progrès rapides réalisés à la même époque sur les ICBM, ainsi que des inquiétudes liées à la contamination environnementale associée aux systèmes nucléaires.</p>
<h2>Avantages du vol à propulsion nucléaire</h2>
<p>L’avantage principal des missiles à propulsion nucléaire réside dans l’énergie supplémentaire qu’ils génèrent, leur permettant de voler plus loin, plus longtemps, plus vite et plus bas dans l’atmosphère, tout en exécutant une large gamme de manœuvres. Pour ces raisons, ils représentent un défi considérable pour les meilleurs systèmes de défense antimissile.</p>
<p>L’armée russe affirme que le missile Bourevestnik a parcouru 8 700 miles à basse altitude sur une période de 15 heures. À titre de comparaison, un vol commercial entre San Francisco et Boston couvre 2 700 miles en six heures. Bien que le Bourevestnik ne vole pas particulièrement vite pour un missile, il est probablement manœuvrable, ce qui le rend difficile à intercepter.</p>
<h2>Contraintes liées à l’utilisation de l’énergie nucléaire</h2>
<p>L’immense quantité d’énergie libérée par la fission constitue le principal défi technique du développement de ces missiles. Ces niveaux d’énergie très élevés exigent des matériaux capables de résister à des températures atteignant plusieurs milliers de degrés Celsius, afin d’empêcher le missile de se détruire lui-même.</p>
<p>Sur le plan de la sécurité, la technologie nucléaire a trouvé des applications très limitées dans l’espace en raison des risques de contamination radioactive en cas d’incident, comme un lancement raté. Les mêmes inquiétudes s’appliquent à une arme à propulsion nucléaire.</p>
<p>De plus, de tels systèmes doivent pouvoir rester sûrs pendant de longues années avant leur utilisation. Une attaque ennemie contre une installation de stockage contenant des armes à propulsion nucléaire pourrait entraîner une fuite radioactive massive.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/J-8Jarqv7hY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les premiers développements d’un missile à propulsion nucléaire par les États-Unis dans les années 1950 et 1960 ont pris fin lorsqu’il est apparu que cette idée soulevait des défis stratégiques et environnementaux majeurs.</span></figcaption>
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<h2>Le Bourevestnik russe et la stabilité mondiale</h2>
<p>Le nouveau missile russe Bourevestnik est en développement <a href="https://iz.ru/768533/2018-07-19/opublikovany-kadry-krylatoi-rakety-neogranichennoi-dalnosti-burevestnik">depuis plus de vingt ans</a>. Bien que peu de détails techniques soient connus, les responsables russes affirment qu’il <a href="https://www.twz.com/nuclear/skyfall-nuclear-powered-cruise-missile-long-range-test-claimed-by-russia">peut manœuvrer</a> afin de <a href="https://www.wsj.com/world/russia/putin-uses-old-missile-technology-to-send-a-new-message-to-the-west-7c55bcc4">contourner les systèmes antimissiles et de défense aérienne</a>.</p>
<p>Les armes nucléaires ont constitué la base de la <a href="https://www.britannica.com/topic/mutual-assured-destruction">dissuasion mutuelle</a> entre l’Union soviétique et les États-Unis pendant la guerre froide. Les deux camps comprenaient qu’une première frappe de l’un entraînerait une riposte tout aussi dévastatrice de l’autre. La peur d’une destruction totale maintenait ainsi un équilibre pacifique.</p>
<p>Plusieurs évolutions menacent l’équilibre actuel des forces : l’amélioration des systèmes de défense antimissile, comme le <a href="https://theconversation.com/golden-dome-dangers-an-arms-control-expert-explains-how-trumps-missile-defense-threatens-to-make-the-us-less-safe-258048">Golden Dome</a> prévu par les États-Unis, et les progrès réalisés dans les <a href="https://theconversation.com/chinas-hypersonic-missiles-threaten-us-power-in-the-pacific-an-aerospace-engineer-explains-how-the-weapons-work-and-the-unique-threats-they-pose-206271">missiles hautement manœuvrables</a>. Les systèmes de défense antimissile pourraient bloquer une frappe nucléaire, tandis que les missiles manœuvrant à basse altitude pourraient atteindre leur cible sans avertissement.</p>
<p>Ainsi, si une grande partie des réactions à l’annonce par la Russie de son nouveau missile à propulsion nucléaire s’est concentrée sur la difficulté de s’en défendre, la préoccupation majeure réside sans doute dans son potentiel à bouleverser complètement la stabilité stratégique mondiale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/268810/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Iain Boyd a reçu des financements du département américain de la Défense. </span></em></p>La Russie affirme avoir testé avec succès un missile de croisière à propulsion nucléaire, le Burevestnik. Capable de voler des milliers de kilomètres à basse altitude, il pourrait remettre en cause l’équilibre stratégique mondial.Iain Boyd, Director of the Center for National Security Initiatives and Professor of Aerospace Engineering Sciences, University of Colorado BoulderLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2678852025-10-30T14:56:03Z2025-10-30T14:56:03ZBad Bunny au Super Bowl : une polémique emblématique des États-Unis de Donald Trump<p><strong>La présence de Bad Bunny à la mi-temps du Super Bowl 2026 suscite une levée de boucliers dans les rangs trumpistes. L’artiste, né à Porto Rico – territoire disposant d’un statut spécifique, dont les habitants sont citoyens des États-Unis mais ne peuvent pas voter à l’élection présidentielle et ne disposent pas de représentants au Congrès –, devient malgré lui le symbole d’un système qui célèbre la culture latino tout en la réprimant à ses marges. Au moment où les abus de la police de l’immigration (ICE) alimentent la peur parmi les Hispaniques, l’apparition du rappeur sur la scène la plus médiatisée du pays met en évidence les contradictions du rapport des États-Unis à cette large communauté.</strong></p>
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<p>La désignation du rappeur portoricain Bad Bunny par la National Football League (NFL) pour effectuer un court concert lors de la mi-temps du Super Bowl 2026, le 8 février prochain, a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/02/avec-bad-bunny-la-culture-portoricaine-s-invite-au-super-bowl-sous-les-attaques-de-la-sphere-maga_6644104_3210.html">déclenché les foudres</a> des médias conservateurs et de plusieurs membres de l’administration Trump.</p>
<p>Alors que le président a qualifié ce choix d’<a href="https://www.lepoint.fr/people/je-n-en-ai-jamais-entendu-parler-donald-trump-se-paye-bad-bunny-et-la-nfl-08-10-2025-2600576_2116.php">« absolument ridicule »</a>, la secrétaire à la sécurité intérieure, Kristi Noem, a promis que des agents de la police de l’immigration (ICE) <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2025/oct/05/bad-bunny-kristi-noem-super-bowl">« seraient présents partout au Super Bowl »</a>. Le célèbre commentateur de droite Benny Johnson a déploré dans un tweet posté sur X que le répertoire du rappeur ne contienne <a href="https://x.com/bennyjohnson/status/1972496290966593596">« aucune chanson en anglais »</a>, tandis que la polémiste Tomi Lahren a déclaré que Bad Bunny n’était <a href="https://www.yahoo.com/entertainment/music/articles/tomi-lahren-falsely-says-bad-044429971.html">pas états-unien</a>.</p>
<p>Bad Bunny, né Benito Antonio Martínez Ocasio, est une superstar et <a href="https://www.rollingstone.fr/bad-bunny-artiste-le-plus-ecoute-sur-spotify-pour-la-3e-annee-consecutive/">l’un des artistes les plus écoutés au monde</a>. Et comme il est portoricain, <a href="https://guides.loc.gov/latinx-civil-rights/jones-shafroth-act">il est également citoyen des États-Unis</a>.</p>
<p>Il est certain que Bad Bunny coche de nombreuses cases qui irritent les conservateurs. <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-bo-du-monde/la-bo-du-monde-du-lundi-28-octobre-2024-2519458">Il a apporté son soutien à Kamala Harris pour la présidence en 2024</a>. Il a <a href="https://qc.rollingstone.com/politique/actualites/bad-bunny/">critiqué les politiques anti-immigration de l’administration Trump</a>. Il a <a href="https://www.20minutes.fr/arts-stars/people/4172472-20250911-bad-bunny-revele-pourquoi-passera-etats-unis-tournee">refusé d’effectuer une tournée sur le continent américain</a>, craignant que certains de ses fans ne soient pris pour cible et expulsés par l’ICE. Et ses <a href="https://www.billboard.com/music/latin/bad-bunny-scapegoat-guest-column-8484776/">paroles explicites</a> – dont la plupart sont en espagnol – feraient frémir même les plus ardents défenseurs de la liberté d’expression. Sans même parler de sa <a href="https://www.vogue.fr/galerie/bad-bunny-looks-style-vogue-world-paris">garde-robe androgyne</a>.</p>
<p><div data-react-class="InstagramEmbed" data-react-props="{"url":"https://www.instagram.com/p/DPQz3cmgEjv","accessToken":"127105130696839|b4b75090c9688d81dfd245afe6052f20"}"></div></p>
<p>Et pourtant, en tant qu’experts des <a href="https://law.fiu.edu/about/directory/profiles/ediberto-roman.html">questions d’identité nationale</a> et des <a href="https://www.libarts.colostate.edu/people/esagas/">politiques d’immigration des États-Unis</a>, nous pensons que les attaques de Lahren et Johnson touchent au cœur même de la raison pour laquelle le rappeur a déclenché une telle tempête dans les rangs de la droite. Le spectacle d’un rappeur hispanophone se produisant lors de <a href="https://operations.nfl.com/updates/the-game/super-bowl-lviii-is-most-watched-telecast-in-history/">l’événement sportif le plus regardé à la télévision états-unienne</a> constitue en soi une remise en cause directe des efforts déployés par l’administration Trump pour masquer la diversité du pays.</p>
<h2>La colonie portoricaine</h2>
<p>Bad Bunny est né en 1994 à Porto Rico, un <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/09/29/porto-rico-quel-statut-par-rapport-aux-etats-unis_5193347_3222.html">« État libre associé »</a> aux États-Unis, rattaché à ces derniers après la guerre hispano-américaine de 1898.</p>
<p>Cette terre est le foyer de 3,2 millions de citoyens états-uniens de naissance. Si le territoire était un État fédéré des États-Unis, il serait le 30<sup>e</sup> le plus peuplé par sa population, d’après le recensement de 2020.</p>
<p>Mais Porto Rico n’est pas un État ; c’est une colonie issue de l’époque révolue de l’expansion impériale américaine outre-mer. Les Portoricains n’ont pas de représentants votant au Congrès et ne peuvent pas participer à l’élection du président des États-Unis. <a href="https://puertoricoreport.com/poll-of-puerto-rico-voters-shows-statehood-popular-possible-misunderstandings-on-u-s-citizenship/">Ils sont également divisés sur l’avenir de l’île</a>. Une grande majorité souhaite soit que Porto Rico devienne un État états-unien, ou obtienne un statut amélioré par rapport à l’actuel, tandis qu’une minorité plus réduite aspire à l’indépendance.</p>
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<p>Mais une chose est claire pour tous les Portoricains : ils viennent d’un <a href="https://press.un.org/fr/2016/agcol3296.doc.htm">territoire non souverain, avec une culture latino-américaine clairement définie</a> – l’une des plus anciennes des Amériques. Porto Rico appartient peut-être aux États-Unis ; et de nombreux Portoricains apprécient cette relation privilégiée, mais l’île elle-même ne ressemble en rien aux États-Unis, ni dans son apparence ni dans son atmosphère.</p>
<p>Les plus de <a href="https://www.pewresearch.org/race-and-ethnicity/fact-sheet/us-hispanics-facts-on-puerto-rican-origin-latinos/">5,8 millions de Portoricains qui résident dans les 50 États</a> compliquent encore davantage le tableau. Bien qu’ils soient légalement citoyens des États-Unis, les autres États-Uniens ne les considèrent souvent pas comme tels. En effet, un sondage réalisé en 2017 a révélé que <a href="https://www.nytimes.com/2017/09/26/upshot/nearly-half-of-americans-dont-know-people-in-puerto-ricoans-are-fellow-citizens.html">seuls 54 % des États-Uniens</a> savaient que les Portoricains étaient citoyens du même pays qu’eux.</p>
<h2>Le paradoxe des citoyens étrangers</h2>
<p>Les Portoricains vivent dans ce que nous appelons le <a href="https://ecollections.law.fiu.edu/faculty_publications/317/">« paradoxe des citoyens étrangers »</a> : ils sont citoyens des États-Unis, mais seuls ceux qui résident sur le continent jouissent de tous les droits liés à la citoyenneté.</p>
<p>Un rapport récent du Congrès américain a <a href="https://ecollections.law.fiu.edu/faculty_publications/317/">conclu</a> que la citoyenneté états-unienne des Portoricains « n’est pas une citoyenneté égale, permanente et irrévocable protégée par le 14<sup>e</sup> amendement […] et le Congrès conserve le droit de déterminer le statut du territoire. » Tout citoyen états-unien qui s’installe à Porto Rico ne jouit plus des mêmes droits que les citoyens états-uniens du continent.</p>
<p>La désignation de Bad Bunny pour le spectacle de la mi-temps du Super Bowl illustre bien ce paradoxe. Outre les critiques émanant de personnalités publiques, il y a eu de <a href="https://www.themirror.com/entertainment/celebrity-news/maga-call-bad-bunny-deportation-1434541">nombreux appels parmi les influenceurs pro-Trump à expulser le rappeur</a>.</p>
<p>Ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres qui rappelle aux Portoricains, ainsi qu’aux autres citoyens latino-américains, leur statut d’« autres ».</p>
<p>Les arrestations par l’ICE de personnes <a href="https://www.bfmtv.com/international/amerique-nord/etats-unis/donald-trump/chasse-aux-sans-papiers-arrestations-violentes-ice-la-police-au-service-de-la-politique-migratoire-de-donald-trump_AN-202510110031.html">semblant être des immigrants</a> – une tactique qui a récemment <a href="https://www.supremecourt.gov/opinions/24pdf/25a169_5h25.pdf">reçu l’aval de la Cour suprême</a> – illustre bien leur statut d’étrangers.</p>
<p>La plupart des raids de l’ICE ont eu lieu dans des communautés majoritairement latino-américaines à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oQorZkydOR8">Los Angeles</a>, <a href="https://www.pbs.org/show/newshour/">Chicago</a> et <a href="https://www.cbsnews.com/newyork/news/immigration-enforcement-nyc-trump-administration/">New York</a>. Cela a contraint de nombreuses communautés latino-américaines à <a href="https://www.youtube.com/watch?v=z1u3pG3RHWM">annuler les célébrations du Mois du patrimoine hispanique</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KU5V5WZVcVE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Clip du titre « NUEVAYoL » issu du dernier album de Bad Bunny. Sorti en ligne le 4 juillet 2025, jour de la fête nationale des États-Unis, il enregistre plus de 43 millions de vues.</span></figcaption>
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<h2>L’impact mondial de Bad Bunny</h2>
<p>La vague de xénophobie contre Bad Bunny a poussé des responsables politiques comme le <a href="https://thehill.com/blogs/in-the-know/5544018-bad-bunny-super-bowl-mike-johnson/">président de la Chambre des représentants Mike Johnson</a> à réclamer son remplacement par une personnalité « plus appropriée » pour le Super Bowl, comme l’artiste de musique country <a href="https://www.lefigaro.fr/musique/qui-est-lee-greenwood-le-chanteur-country-de-l-hymne-victorieux-de-donald-trump-20241107">Lee Greenwood</a>, 83 ans, supporter de Donald Trump. À propos de Bad Bunny, Johnson a déclaré : « Il semble qu’il ne soit pas quelqu’un qui plaise à un large public. »</p>
<p>Mais les faits contredisent cette affirmation. L’artiste portoricain occupe la <a href="https://www.economist.com/culture/2025/07/10/how-bad-bunny-leapt-to-the-top-of-the-global-music-charts">première place des classements musicaux mondiaux</a>. Il compte <a href="https://open.spotify.com/artist/4q3ewBCX7sLwd24euuV69X">plus de 80 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify</a>. Et il a vendu près de <a href="https://chartmasters.org/bad-bunny-albums-and-songs-sales/">cinq fois</a> plus d’albums que Greenwood.</p>
<p>Cet engouement mondial a impressionné la NFL, qui organise sept de ses rencontres à l’étranger cette saison et souhaite <a href="https://sports.yahoo.com/article/roger-goodell-wants-16-international-120108631.html">encore accroître ce nombre à l’avenir</a>. De plus, les Latino-Américains représentent la base de fans qui connaît la plus forte croissance au sein de la ligue, et le Mexique est son plus grand marché international, avec <a href="https://www.npr.org/2024/12/21/g-s1-38443/latinos-growing-fanbase-nfl">39,5 millions de fans</a> selon les chiffres publiés.</p>
<p>La saga « Bad Bunny au Super Bowl » pourrait bien devenir un moment politique important. Les conservateurs, dans leurs efforts pour mettre en avant « l’altérité » de Bad Bunny – alors que les <a href="https://cvc.cervantes.es/lengua/espanol_lengua_viva/pdf/espanol_lengua_viva_2022.pdf#page=5">États-Unis sont l’un des premiers pays hispanophones au monde</a> – ont peut-être involontairement sensibilisé les États-Uniens au fait que les Portoricains étaient leurs concitoyens.</p>
<p>Pour l’heure, les Portoricains et le reste de la communauté latino-américaine des États-Unis continuent de se demander quand ils seront acceptés comme des égaux sur le plan social.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/267885/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Détracteur de Donald Trump, le rappeur portoricain se produira à la mi-temps du Super Bowl 2026, au grand dam de nombreux représentants du camp républicain.Ediberto Román, Professor of Law, Florida International UniversityErnesto Sagás, Professor of Ethnic Studies, Colorado State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2684232025-10-30T14:41:08Z2025-10-30T14:41:08Z« Shutdown » aux États-Unis : quel impact sur la natalité ?<p><strong>Le gel du fonctionnement du gouvernement fédéral des États-Unis, depuis le 1<sup>er</sup> octobre, se traduit notamment par la réduction de différentes aides sociales et par la suspension du versement des salaires de nombreux fonctionnaires. Alors que la natalité est déjà nettement inférieure au seuil de renouvellement des générations, ce contexte pesant pourrait pousser de nombreuses personnes à remettre à plus tard leur projet parental, voire à y renoncer purement et simplement. En outre, la situation actuelle accroît les risques en matière de santé maternelle et néonatale.</strong></p>
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<p>C’est un fait : la natalité aux États-Unis est en berne depuis plusieurs années, avec un taux de <a href="https://data.worldbank.org/indicator/SP.DYN.TFRT.IN?locations=US">1,6 enfant par femme</a>, alors que le seuil de renouvellement des générations est estimé à <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c2320">environ 2,05 enfants par femme</a>, hors immigration. Cette dénatalité s’explique dans une large mesure par les <a href="https://www.slate.fr/story/164444/baisse-natalite-etats-unis-femmes-hommes-politique">difficultés économiques</a> : augmentation du coût de la vie et de l’éducation des enfants, prix excessifs des logements, des garderies et des assurances privées, remboursement des prêts d’études pendant plusieurs années, etc.</p>
<p>Donald Trump espère inverser la tendance grâce aux mesures financières incitatives contenues dans sa <a href="https://www.congress.gov/bill/119th-congress/house-bill/1">« grande et belle loi budgétaire »</a> promulguée en juillet dernier, mais il faut rappeler que des mesures plus ou moins similaires <a href="https://theconversation.com/en-russie-et-ailleurs-les-mesures-natalistes-en-question-260866">n’ont pas eu l’effet escompté dans d’autres pays du monde</a>. La politique nataliste de Trump a d’ailleurs fait l’objet de certaines critiques : elle <a href="https://theconversation.com/etats-unis-la-politique-nataliste-inegalitaire-de-donald-trump-261973">favoriserait la reproduction des riches et des Blancs</a>, au détriment des pauvres et des Noirs, avec un risque d’eugénisme, et <a href="https://theconversation.com/how-the-big-beautiful-bill-will-deepen-the-racial-wealth-gap-a-law-scholar-explains-how-it-reduces-poor-families-ability-to-afford-food-and-health-care-260680">creuserait les inégalités raciales en matière de richesse</a>.</p>
<p>Le <a href="https://www.leclubdesjuristes.com/international/le-shutdown-aux-etats-unis-vers-une-crise-institutionnelle-majeure-12361/"><em>shutdown</em></a> qui perdure depuis le 1<sup>er</sup> octobre aux États-Unis faute d’accord entre les républicains et les démocrates sur le budget fédéral pourrait accroître le déclin de la natalité dans le pays, conduisant certains à renoncer à leur projet parental ; plus grave encore, la mortalité maternelle et néonatale pourrait augmenter.</p>
<h2>Chez les fonctionnaires fédéraux</h2>
<p>Dans un contexte de <em>shutdown</em>, certains fonctionnaires fédéraux dont les activités sont jugées « non essentielles » sont <a href="https://www.lesechos.fr/travailler-mieux/salaires/cest-un-scandale-une-violation-de-la-loi-trump-ne-veut-pas-payer-certains-fonctionnaires-mis-au-chomage-technique-par-le-shutdown-2190932">mis au chômage technique avec leur salaire gelé</a>, pendant que d’autres continuent de travailler. Les uns comme les autres sont rétroactivement rémunérés après le déblocage du <em>shutdown</em>.</p>
<p>En 2013, sous la présidence de Barack Obama, le <em>shutdown</em> avait duré 16 jours. Près de 800 000 fonctionnaires fédéraux avaient été placés au chômage technique. Neuf mois plus tard, la capitale américaine avait <a href="https://www.washingtonpost.com/lifestyle/style/is-washington-in-the-midst-of-a-post-shutdown-baby-boom/2014/07/28/2b561522-1349-11e4-9285-4243a40ddc97_story.html">connu un pic de natalité</a>, avec une hausse de <a href="https://www.tdg.ch/le-shutdown-a-provoque-un-baby-boom-a-washington-216995688427">30 % des naissances</a> par rapport à la normale à l’époque. Le taux de natalité resta toutefois en <a href="https://www.tdg.ch/le-shutdown-a-provoque-un-baby-boom-a-washington-216995688427">berne au niveau national</a>.</p>
<p>Le <em>shutdown</em> qui se poursuit actuellement va-t-il générer un baby-boom, du moins chez les fonctionnaires fédéraux placés au chômage technique ?</p>
<p>Si <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/elle-va-devoir-renvoyer-80-de-ses-employes-trois-semaines-apres-le-shutdown-l-agence-de-securite-nucleaire-americaine-est-touchee-a-son-tour-par-la-paralysie-budgetaire_AD-202510200594.html">près de 700 000 fonctionnaires fédéraux</a> sont au chômage technique depuis le 1<sup>er</sup> octobre, la situation est plus tendue qu’en 2013 et qu'en décembre 2018-janvier 2019, quand le <em>shutdown</em> avait duré 35 jours.</p>
<p>La paralysie budgétaire qui s’étire depuis le 1<sup>er</sup> octobre est déjà plus longue que celle de 2013, et risque de durer plus longtemps que celle de 2018-2019, <a href="https://www.franceinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/un-vrai-blocage-et-aucune-volonte-de-compromis-le-nouveau-shutdown-qui-paralyse-l-administration-federale-americaine-est-il-parti-pour-durer_7524937.html">car chaque partie semble déterminée à camper sur ses positions</a>. Faute de salaire, <a href="https://www.lopinion.fr/economie/etats-unis-le-shutdown-plonge-des-milliers-de-fonctionnaires-federaux-dans-la-precarite">certains employés fédéraux sont déjà en situation de précarité</a> et font appel à des <a href="https://www.lopinion.fr/economie/etats-unis-le-shutdown-plonge-des-milliers-de-fonctionnaires-federaux-dans-la-precarite">banques alimentaires ou à des prêts pour payer leur loyer</a>. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/11/en-plein-shutdown-trump-passe-a-l-acte-et-licencie-plus-de-4000-fonctionnaires_6645699_3210.html">Plus de 4 000 fonctionnaires fédéraux</a> ont aussi reçu un avis de licenciement.</p>
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<figcaption><span class="caption">« “Shutdown” aux États-Unis : l’aide alimentaire suspendue à partir du mois de novembre », Euronews, 27 octobre 2025.</span></figcaption>
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<p>Pis : la Maison Blanche a annoncé qu’elle comptait en <a href="https://www.cnbc.com/2025/10/15/trump-government-shutdown-jobs-vought.html">licencier plus de 10 000</a> si le <em>shutdown</em> se poursuivait. Bien qu’une juge fédérale ait <a href="https://www.cbsnews.com/news/government-shutdown-judge-blocks-trump-administration-firing-workers/">temporairement bloqué</a> ces licenciements, dans un tel climat d’inquiétude économique de nombreux fonctionnaires fédéraux pourraient différer leur projet parental, voire y renoncer.</p>
<h2>Chez les bénéficiaires du programme « Women, Infants and Children »</h2>
<p><a href="https://www.nwica.org/overview-and-history">WIC (Women, Infants and Children)</a> est un programme fédéral d’aide alimentaire et d’éducation à la nutrition et à l’allaitement destiné aux ménages à faibles revenus, <a href="https://nutritionfirstwa.org/immigrants-in-wic/">quelle que soit la nationalité des bénéficiaires</a>. Il s’adresse aux femmes enceintes ou allaitantes, aux mères en période post-partum ainsi qu’aux enfants de moins de cinq ans présentant un risque de carence nutritionnelle, c’est-à-dire un risque lié à un déséquilibre alimentaire susceptible d’entraîner des problèmes de santé et des maladies.</p>
<p>Durant l’année fiscale 2024, près de <a href="https://www.ers.usda.gov/topics/food-nutrition-assistance/wic-program">6,7 millions de femmes et d’enfants</a> ont pu bénéficier, chaque mois, des services de ce programme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/2-in-5-us-babies-benefit-from-the-wic-nutrition-program-214676">2 in 5 US babies benefit from the WIC nutrition program</a>
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<p>Mi-octobre, l’administration Trump a <a href="https://apnews.com/article/government-shutdown-wic-food-a6d66fa0ce3d02257b5b43a79355b1bf">alloué au programme WIC 300 millions de dollars</a>, en provenance des recettes douanières, afin d’assurer la continuité de son fonctionnement durant le <em>shutdown</em>. Selon la National WIC Association (NWA), ces fonds <a href="https://www.nwica.org/press-releases/national-wic-association-urges-additional-funding-to-prevent-disruption-in-wic-on-november-1">ne seront plus suffisants au 1ᵉʳ novembre</a>. La NWA réclame 300 millions de dollars (soit, environ 259 millions d’euros) supplémentaires pour garantir la pérennité des différents services de WIC durant les deux premières semaines de novembre.</p>
<p>Et si le <em>shutdown</em> se prolongeait et WIC se retrouvait à court de fonds ?</p>
<p>Le département de la santé du New Jersey a déjà <a href="https://www.nj.com/news/2025/10/govt-shutdown-could-threaten-food-assistance-for-nearly-a-million-nj-residents.html">exprimé ses craintes</a>.</p>
<p>Dans le Michigan, une <a href="https://www.cbsnews.com/detroit/news/government-shutdown-leaves-wic-recipients-in-limbo-due-to-possible-funding-shortage/">mère célibataire</a> bénéficiaire de WIC, comme beaucoup d’autres, a fait part de son inquiétude :</p>
<blockquote>
<p>« Les gens dépendent de WIC pour leurs besoins essentiels : lait, œufs, pain. Ne pas savoir si l’on pourra bénéficier de cette aide le mois prochain… est très angoissant. »</p>
</blockquote>
<p>Dans certains États fédérés, les bureaux de WIC sont déjà impactés par la paralysie budgétaire. <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2025/oct/14/democrats-women-infant-children-bill-shutdown">Au Kansas</a>, un bureau de WIC a dû fermer ses portes, tandis que le <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2025/oct/14/democrats-women-infant-children-bill-shutdown">département de la santé du Mississippi</a> a été contraint de mettre de nombreuses demandes d’inscription à WIC sur liste d’attente.</p>
<p>Une telle situation met en péril la santé de nombreuses femmes enceintes. En effet, <a href="https://www.unicef.org/media/135796/file/Executive%20summary%20(French).pdf">selon un rapport de l’Unicef</a> publié en 2023 et intitulé « Dénutries et oubliées : Une crise nutritionnelle mondiale pour les adolescentes et les femmes », les femmes enceintes ayant une mauvaise alimentation sont plus susceptibles de contracter des infections et de connaître des complications mortelles pendant la grossesse.</p>
<p>De surcroît, les complications résultant du <em>shutdown</em> pourraient avoir une prévalence plus élevée chez les femmes noires bénéficiaires de WIC par rapport aux femmes blanches. Cette hypothèse peut être déduite des données du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies, selon lesquelles les femmes noires aux États-Unis présentent un risque de mortalité lié aux complications de la grossesse ou de l’accouchement <a href="https://www.tf1info.fr/international/etats-unis-mortalite-maternelle-une-femme-enceinte-noire-a-trois-fois-plus-de-risques-de-mourir-qu-une-femme-blanche-2211607.html">trois fois supérieur</a> à celui des femmes blanches. Comme le souligne <a href="https://www.tf1info.fr/international/etats-unis-mortalite-maternelle-une-femme-enceinte-noire-a-trois-fois-plus-de-risques-de-mourir-qu-une-femme-blanche-2211607.html">Ebony Hilton</a>, anesthésiste à l’Université de Virginie et experte des disparités dans l’accès aux soins de santé, « Il a été maintes fois démontré que les femmes noires ne reçoivent pas le même niveau de soins. »</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HOj-mvCIPVY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Les femmes noires, premières victimes de la mortalité maternelle aux États-Unis », France 24, 4 décembre 2019.</span></figcaption>
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<p>En l’absence de financement pour assurer la continuité du programme WIC, les carences nutritionnelles dont seraient victimes les femmes enceintes pourraient également <a href="https://www.echanges-revue.fr/travaux/nourrir-les-hommes/nourrir-les-femmes/">avoir un impact négatif sur la santé de leur enfant à naître</a> : naissance prématurée, faible poids, vulnérabilité aux maladies, augmentation du risque de mortalité néonatale, etc.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/malnutrition-a-gaza-son-impact-sur-les-1-000-premiers-jours-de-vie-des-bebes-257575">Malnutrition à Gaza : son impact sur les 1 000 premiers jours de vie des bébés</a>
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<h2>Chez les immigrés</h2>
<p>Une politique d’accueil favorable aux immigrés pourrait permettre aux États-Unis de faire face au déclin de la natalité dans le pays. Mais Donald Trump est connu pour <a href="https://theconversation.com/dans-lamerique-de-trump-les-immigres-prennent-la-place-des-indiens-sauvages-99542">son hostilité envers les immigrés</a>, qu’ils soient en situation régulière ou non, à l’exception notable de certains, comme les <a href="https://theconversation.com/leugenisme-reinvente-la-reconfiguration-racialiste-du-trumpisme-en-2025-258466">Afrikaners</a>, les Blancs (<em>descendants de colons néerlandais ou français</em>) d’Afrique du Sud. Depuis son retour au pouvoir, Trump mène une politique anti-immigration agressive, avec des <a href="https://www.tf1info.fr/international/video-tf1-un-jour-tout-bascule-enfermee-par-la-police-americaine-de-l-immigration-une-ukrainienne-temoigne-2401533.html">arrestations et des expulsions massives</a> d’immigrants illégaux ou présumés l’être.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/rafles-expulsions-la-gestion-de-limmigration-illustration-du-tournant-autoritaire-de-donald-trump-259113">Rafles, expulsions… la gestion de l’immigration, illustration du tournant autoritaire de Donald Trump ?</a>
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<p>L’un des principaux points de désaccord ayant conduit au <em>shutdown</em> concerne précisément la couverture médicale de certains immigrés. Les démocrates souhaitent que les <a href="https://www.nilc.org/resources/fact-checking-immigrants-health-care-and-the-2025-tax-and-budget-law/">immigrés présents légalement</a> (les réfugiés, les demandeurs d’asile, etc.) aux revenus modestes puissent continuer à percevoir des subventions pour souscrire à l’assurance santé dite « Obamacare », officiellement connue sous le nom d’Affordable Care Act (ACA), afin de pouvoir <a href="https://chir.georgetown.edu/recent-federal-aca-marketplace-changes-strip-access-to-health-care-for-many-lawfully-present-immigrants/">accéder à des soins de base</a>. Ce dispositif a été supprimé pour cette population par la loi budgétaire de juillet dernier. Or, les républicains refusent d’accéder à la requête des démocrates, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/shutdown-aux-etats-unis-les-trumpistes-s-appuient-sur-un-gros-mensonge-pour-accuser-les-democrates_255556.html">au faux motif</a> que ces derniers réclameraient une couverture santé gratuite pour les immigrés en situation irrégulière.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/how-the-government-shutdown-is-hitting-the-health-care-system-and-what-the-battle-over-aca-subsidies-means-266565">How the government shutdown is hitting the health care system – and what the battle over ACA subsidies means</a>
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<p>Sans la couverture médicale de l’ACA, le coût de l’éducation d’un enfant, ajouté à celui de la souscription à une assurance santé privée, pourrait constituer un facteur déterminant pour les immigrés légalement présents à faibles revenus dans le cadre de leur projet parental. Il est donc à craindre que certains des 1,4 million de migrants présents légalement, qui ne seront plus couverts par l’ACA, ainsi que les femmes immigrées qui ne remplissent pas les conditions de revenu pour bénéficier du programme WIC, renoncent à avoir des enfants, ou en aient moins.</p>
<p><em>In fine</em>, dans le contexte actuel du <em>shutdown</em> ou après son déblocage, des inégalités économiques et raciales risquent, de nouveau, de se creuser en matière de procréation aux États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/268423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Allane Madanamoothoo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les fonctionnaires fédéraux au chômage technique et privés de salaire, les ménages bénéficiant d’aides sociales et les immigrés : autant de catégories qui pourraient voir leur natalité nettement baisser.Allane Madanamoothoo, Associate Professor of Law, EDC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2684502025-10-29T14:34:16Z2025-10-29T14:34:16ZRedirection du commerce chinois vers l’Europe : petits colis, grand détour<p><strong>À la suite des droits de douane mis en place par Donald Trump, on observe une réorientation significative du commerce chinois des États-Unis vers l’Union européenne à travers les… petits colis. Explication en chiffres et en graphiques.</strong></p>
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<p>La hausse spectaculaire des <a href="https://theconversation.com/apres-lechec-des-droits-de-douane-de-trump-1-pourquoi-cela-serait-il-un-succes-sous-trump-2-253645">droits de douane imposée par les États-Unis</a> aux importations en provenance de Chine (57,6 % fin août, après un pic à 135,3 % en avril d’après les calculs du <a href="https://www.piie.com/research/piie-charts/2019/us-china-trade-war-tariffs-date-chart">Peterson Institute for International Economics</a>) ferme largement le marché états-unien aux exportateurs chinois. La chute massive des exportations chinoises vers les États-Unis qui s’en est suivie, en recul de près de 25 % sur la période juin-août 2025 par rapport aux mêmes mois de 2024, témoigne de l’ampleur du choc.</p>
<p>Le risque est que, confrontés à la fermeture de l’un de leurs deux principaux marchés, les exportateurs chinois cherchent à réorienter leurs exportations, laissant planer le doute d’une redirection massive vers l’Union européenne (UE). Dans cette perspective, la Commission européenne a mis en place une <a href="https://policy.trade.ec.europa.eu/enforcement-and-protection/trade-defence/monitoring-trade-diversion_en">surveillance du détournement des flux commerciaux</a> pour identifier les produits faisant l’objet d’une hausse rapide des quantités importées et d’une baisse de prix, toutes origines confondues.</p>
<h2>Dynamiques saisonnières</h2>
<p>Le premier graphique montre que, depuis février, la baisse des exportations chinoises s’est accompagnée d’une hausse de celles vers l’Union européenne. Une analyse des évolutions passées révèle toutefois que la hausse observée au deuxième trimestre 2025 correspond en partie à un rebond saisonnier observé à la même époque les années précédentes et lié au Nouvel An chinois, que cela soit pour l’Union européenne, les États-Unis, le Vietnam, le Japon ou la Corée du Sud. Il est essentiel d’interpréter les évolutions récentes au regard des dynamiques saisonnières des années antérieures.</p>
<p>Observer une hausse des importations ne suffit pas à conclure à une redirection du commerce chinois des États-Unis vers l’Union européenne (UE). </p>
<p>Pour qu’un tel phénomène soit avéré, il faut que les mêmes produits soient simultanément concernés par une hausse des volumes d’exportations de la Chine vers l’UE et une baisse vers les États-Unis. Par exemple, une hausse des exportations de <a href="https://theconversation.com/le-bond-en-avant-de-lindustrie-automobile-chinoise-de-1953-a-nos-jours-265607">véhicules électriques chinois</a> vers l’UE ne peut pas être considérée comme une réorientation du commerce puisque ces produits n’étaient pas exportés auparavant vers les États-Unis.</p>
<p>De la même manière, les produits faisant l’objet d’exceptions dans les droits mis en place par Donald Trump, comme certains produits électroniques, certains combustibles minéraux ou certains produits chimiques, ne sont pas susceptibles d’être réorientés. Cela ne signifie pas qu’une augmentation des flux d’importations de ces produits ne soulève pas des enjeux de compétitivité et de concurrence pour les acteurs français ou européens. Mais ces enjeux sont d’une autre nature que ceux liés à une pure redirection du commerce chinois consécutive à la fermeture du marché des États-Unis.</p>
<h2>Deux critères complémentaires</h2>
<p>Pour identifier les produits pour lesquels la fermeture du marché états-unien a entraîné une redirection du commerce chinois vers l’Union européenne (UE), nous combinons deux critères :</p>
<ul>
<li><p>Si, d’une année sur l’autre, le volume des exportations d’un produit vers l’UE augmente plus vite que celui des trois quarts des autres produits chinois exportés vers l’UE en 2024.</p></li>
<li><p>Si, d’une année sur l’autre, le volume des exportations d’un produit vers les États-Unis diminue plus vite que celui des trois quarts des autres produits chinois exportés vers les États-Unis en 2024.</p></li>
</ul>
<p>Seuls les produits pour lesquels les exportations chinoises vers les États-Unis étaient suffisamment importantes avant la fermeture du marché états-unien sont retenus. Soit les 2 499 produits pour lesquels la part des États-Unis dans les exportations chinoises dépassait 5 % en 2024. Pour 402 de ces produits, le volume des exportations chinoises a enregistré une forte baisse entre juin-août 2024 et juin-août 2025.</p>
<h2>Près de 176 produits concernés</h2>
<p>En combinant les deux critères, 176 produits sont concernés en juin-août 2025 (graphique 2), soit 44 % des produits dont les ventes ont nettement chuté sur le marché états-unien. Parmi eux, 105 concernent des produits pour lesquels l’Union européenne a un avantage comparatif révélé, c’est-à-dire pour lesquels la hausse des importations se fait sur une spécialisation européenne. </p>
<p>Moins de la moitié des 176 produits connaît simultanément une forte baisse de leur prix, suggérant qu’une partie de la redirection du commerce chinois entraîne une concurrence par les prix sur le marché européen.</p>
<p>En valeur, les 176 produits identifiés représentent 7,2 % des exportations chinoises vers l’Union européenne sur la dernière période disponible, et la tendance est clairement à la hausse (graphique 3). Cette progression s’explique pour beaucoup par la hausse des flux de petits colis redirigés vers l’UE depuis qu’en avril 2025, les États-Unis ont supprimé <a href="https://www.whitehouse.gov/fact-sheets/2025/04/fact-sheet-president-donald-j-trump-closes-de-minimis-exemptions-to-combat-chinas-role-in-americas-synthetic-opioid-crisis/">l’exemption de droits de douane sur les colis en provenance de Chine</a>.</p>
<h2>Secteurs des machines, chimie et métaux</h2>
<p>Les produits sujets à redirection vers le marché européen sont très inégalement répartis entre secteurs (graphique 4). En nombre, on les retrouve concentrés dans les secteurs des machines et appareils (42 produits), de la chimie (31) et des métaux (22). En valeur cependant, les secteurs les plus concernés sont de très loin les petits colis (qui représentent 5,4 % du commerce bilatéral en juin-août 2025) et, dans une moindre mesure, les équipements de transport, les huiles et machines et appareils.</p>
<p>En comparaison, le Japon subit davantage la réorientation du commerce chinois puisque 298 produits sont identifiés en juin-août 2025 (graphique 5). Ces produits représentent une part beaucoup plus importante des exportations chinoises vers le Japon (16,2 % en juin-août 2025). Des dynamiques similaires sont observées en Corée du Sud (196 produits, représentant 2,7 % de son commerce bilatéral avec la Chine) et le Vietnam (230 produits, 6,5 % de son commerce bilatéral avec la Chine).</p>
<h2>Fin du régime douanier simplifié</h2>
<p>Consciente de la menace qu’ils représentent, la Commission européenne prévoit, dans le cadre de la prochaine réforme du Code des douanes, de mettre fin au régime douanier simplifié dont ces petits colis bénéficient actuellement. Cette réforme ne devrait pas entrer en vigueur avant 2027. D’ici là, certains États membres tentent d’aller plus vite. </p>
<p>En France, le gouvernement a récemment proposé, dans le cadre de son projet de loi de finance, d’instaurer une <a href="https://theconversation.com/comment-fait-temu-pour-proposer-des-prix-aussi-bas-245814">taxe forfaitaire par colis</a>. Mais, sans coordination européenne, la mesure risque d’être contournée : les colis pourraient simplement transiter par un pays de l’UE à la taxation plus clémente.</p>
<p>Au-delà des petits colis, un certain nombre d’autres produits sont également soumis à des hausses rapides des quantités importées, susceptibles de fragiliser les producteurs européens, mais ils représentent une part limitée des importations européennes en provenance de Chine. Des tendances qui devront être confirmées dans les prochains mois par un suivi régulier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/268450/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>À la suite des droits de douane mis en place par Donald Trump, on observe une réorientation significative du commerce chinois des États-Unis vers l’Union européenne à travers les… petits colis.Charlotte Emlinger, Économiste, CEPIIKevin Lefebvre, Économiste, CEPIIVincent Vicard, Économiste, adjoint au directeur, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2685912025-10-29T13:00:27Z2025-10-29T13:00:27ZLe crime organisé est la première entreprise du Brésil et la menace la plus grave qui pèse sur le pays<p><strong>Le raid policier, mené le 28 octobre 2025, contre des narcotrafiquants dans les favelas de Rio de Janeiro est le plus meurtrier qu’ait connu la ville. Mais face à l’empire que le crime organisé a constitué au Brésil, les interventions spectaculaires ne suffisent plus : l’État doit inventer une réponse nationale.</strong></p>
<hr>
<p>Le 28 octobre, à Rio de Janeiro, des véhicules blindés de la police <a href="https://www.franceinfo.fr/monde/bresil/a-rio-de-janeiro-une-operation-policiere-dans-les-favelas-fait-64-morts-faisant-de-ce-raid-le-plus-meurtrier-de-l-histoire-de-la-ville_7582265.html">ont pénétré dans les complexes d’Alemão et de Penha</a> pour interpeller des chefs de gangs. Des fusillades ont éclaté, des routes ont été bloquées, des bus ont été détournés, des écoles et des campus ont été fermés, et des drones ont largué des explosifs sur les forces de l’ordre. Le soir venu, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/29/au-bresil-une-operation-policiere-antidrogue-dans-des-favelas-de-rio-de-janeiro-fait-au-moins-64-morts_6650027_3210.html">l’État confirmait que « l’opération Contenção »</a> s’était soldée par 124 morts, dont quatre policiers. Ce fut la confrontation la plus sanglante jamais enregistrée dans l’histoire de la ville.</p>
<p>L’économie criminelle du Brésil est sortie des ruelles pour investir désormais les salles de réunion, figurer dans les bilans financiers et s’infiltrer dans des chaînes d’approvisionnement essentielles. Au cours de la dernière décennie, le crime organisé brésilien <a href="https://www.brookings.edu/articles/the-internationalization-of-organized-crime-in-brazil/">s’est étendu</a> à l’ensemble du pays et même à d’autres continents. Les plus grandes organisations de trafic de drogue, comme le Primeiro Comando da Capital (PCC) et le Comando Vermelho (CV), se trouvent au cœur de véritables réseaux franchisés. Les « milices » de Rio – groupes paramilitaires principalement composés de policiers et de pompiers ayant quitté leurs anciennes fonctions ou, pour certains, les exerçant toujours – monétisent le <a href="https://www.opendemocracy.net/en/democraciaabierta/rio-de-janeiros-militia-on-rise-ag/">contrôle qu’elles exercent sur le territoire</a> en se faisant payer pour des « services » de protection, de transport, de construction et autres services essentiels.</p>
<p>À mesure que ces groupes se sont professionnalisés, ils ont <a href="https://globalinitiative.net/analysis/coercive-brokers-militias-rio/">diversifié leurs activités</a>, qui vont aujourd’hui du trafic de cocaïne à la contrebande d’or, aux paiements numériques et aux services publics. Lorsque les groupes armés du Brésil se disputent les marchés illicites, la violence peut atteindre des <a href="https://international-review.icrc.org/articles/editorial-organized-crime-in-armed-conflicts-923">niveaux comparables à ceux de zones de guerre</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/p1BxjeT9vys?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Rien n’illustre mieux le nouveau modèle économique que le commerce illégal de carburants. Comme je l’ai écrit <a href="https://theconversation.com/the-rise-of-brazils-fuel-mafias-and-their-gas-station-money-laundering-machines-254422">dans The Conversation</a> fin août, les autorités ont effectué environ 350 perquisitions dans huit États dans le cadre de <a href="https://www.gov.br/receitafederal/pt-br/assuntos/noticias/2025/agosto/operacao-carbono-oculto-rrb-e-orgaos-parceiros-combatem-organizacao-responsavel-por-sonegacao-e-lavagem-de-dinheiro-no-setor-de-combustiveis">l’opération Carbone Caché</a>, qui visait à faire la lumière sur le blanchiment présumé de sommes colossales à travers des importations de dérivés du pétrole <a href="https://theconversation.com/the-rise-of-brazils-fuel-mafias-and-their-gas-station-money-laundering-machines-254422">et un réseau de plus d’un millier de stations-service</a>. Entre 2020 et 2024, environ 52 milliards de réaux (8,3 milliards d’euros) de <a href="https://www.riotimesonline.com/brazil-closes-fintech-loophole-after-laundering-scandal-exposes-billions-in-hidden-cash/">flux suspects</a> ont transité par des <em>fintechs</em>, dont l’une fonctionnait en tant que banque parallèle. Des fonds fermés auraient investi dans des usines d’éthanol, des flottes de camions et un terminal portuaire, donnant aux profits illicites un vernis de respectabilité.</p>
<p>Sur les marchés financiers, les investisseurs sont à présent conscients des dangers. Ces derniers mois, les fonds d’investissement ont <a href="https://www1.folha.uol.com.br/internacional/en/business/2025/06/investors-in-brazil-begin-assessing-the-risk-of-criminal-factions-in-their-investments.shtml">enfin commencé</a> à considérer l’infiltration criminelle comme un risque matériel, et les analystes cherchent plus qu’auparavant à déterminer quelles chaînes logistiques, quelles institutions de paiement et quels fournisseurs régionaux pourraient être exposés.</p>
<h2>Gouvernance criminelle</h2>
<p>Les équipes de sécurité des entreprises <a href="https://newsletters.brazilian.report/p/pcc-business-risk-wealth-migration-census">cartographient l’extorsion</a> et le contrôle des milices avec la même attention que celle qu’elles accordent aux menaces cyber.</p>
<p>La réaction du marché aux <a href="https://www.courrierinternational.com/article/crime-organise-le-wall-street-bresilien-secoue-par-une-operation-contre-le-puissant-gang-pcc_234760">opérations menées en août par la police dans le cadre de l’opération « Carbone Caché »</a> a rappelé que le crime organisé ne génère pas seulement de la violence : il fausse la concurrence, pénalise les entreprises respectueuses des règles et impose une taxe cachée aux consommateurs. Il n’est donc pas surprenant qu’en septembre, le ministre des finances Fernando Haddad ait <a href="https://agenciabrasil.ebc.com.br/en/geral/noticia/2025-09/brazil-sets-police-unit-tackle-organized-crime">annoncé</a> la création d’une nouvelle unité policière dédiée à la lutte contre les crimes financiers.</p>
<p>La « gouvernance criminelle » s’est propagée des prisons aux centres financiers. Dans leurs fiefs de Rio, les gangs et les milices opèrent comme des bandits traditionnels, contrôlant le territoire et les chaînes d’approvisionnement logistique. Pendant ce temps, des franchises du PCC et du CV sont apparues <a href="https://globalinitiative.net/analysis/organized-crime-is-driving-a-deadly-surge-in-violence-in-brazil/">à l’intérieur des terres</a> et en <a href="https://foreignpolicy.com/2023/08/06/amazon-drugs-coca-cocaine-deforestation-environment-biodiversity-climate-change-criminal-brazil-peru-colombia-bolivia-lula-logging/">Amazonie</a>, cherchant à engranger des profits plus élevés grâce à la contrebande d’or et de bois, ainsi qu’au transport fluvial illégal de marchandises.</p>
<p>Ces factions <a href="https://www1.folha.uol.com.br/cotidiano/2025/10/cv-e-pcc-negociam-com-grupos-colombianos-compra-e-transporte-de-drogas-na-amazonia-diz-abin.shtml">opèrent désormais au-delà des frontières</a>, du pays en lien avec des organisations criminelles de Colombie, du Pérou et du Venezuela.</p>
<h2>Les outils de contrôle n’ont pas suivi l’évolution du crime</h2>
<p>Le bilan humain reste accablant, même si les chiffres nationaux agrégés se sont améliorés. En 2024, le Brésil a enregistré <a href="https://forumseguranca.org.br/wp-content/uploads/2025/07/anuario-2025.pdf">44 127 morts violentes intentionnelles</a>, son niveau le plus bas depuis 2012, mais cela représente encore plus de 120 homicides par jour. La géographie de l’intimidation s’est étendue : une <a href="https://www1.folha.uol.com.br/internacional/en/brazil/2025/10/criminal-gangs-and-militias-already-operate-in-areas-home-to-285-million-brazilians-datafolha-shows.shtml">enquête</a> commandée par le Forum brésilien de la sécurité publique a révélé que 19 % des Brésiliens – soit environ 28,5 millions de personnes – vivent aujourd’hui dans des quartiers où la présence de gangs ou de milices est manifeste, soit une hausse de cinq points en un an.</p>
<p>Les outils de contrôle de l’État n’ont pas suivi l’évolution du modèle économique du crime organisé. Les incursions spectaculaires et les occupations temporaires font les gros titres et entraînent de nombreuses morts, mais perturbent peu le marché. Les polices des États, depuis longtemps considérées comme les <a href="https://www.theguardian.com/global-development-professionals-network/2016/aug/03/rio-police-violent-killing-olympics-torture">plus létales du monde</a>, démantèlent rarement les groupes criminels.</p>
<p>Les politiques étatiques et municipales sont elles aussi devenues de plus en plus vulnérables : le financement des campagnes, les contrats de travaux publics et les licences sont désormais des canaux investis par le pouvoir criminel. L’opération fédérale d’août a constitué une rare exception et a apporté la preuve de l’efficacité d’une répression visant l’argent du crime, et non seulement les porte-flingues.</p>
<p>Si les législateurs brésiliens sont sérieux, ils doivent traiter le crime organisé comme une défaillance du marché national et réagir à l’échelle nationale. Cela commence par placer le gouvernement fédéral à la tête de <a href="https://globalinitiative.net/analysis/lessons-from-organised-crime-task-forces-brazil-and-beyond/">forces spéciales interinstitutionnelles</a> permanentes réunissant police fédérale, procureur général, administration fiscale, cellules de renseignement financier, régulateurs du carburant et du marché, ainsi que Banque centrale.</p>
<h2>Il faut davantage de condamnations</h2>
<p>Ces équipes devront disposer d’un mandat clair pour agir au-delà des frontières des États et accomplir quatre tâches simples : suivre en temps réel les paiements à risque ; publier une liste fiable des propriétaires réels des entreprises qui contrôlent le carburant, les ports et d’autres actifs stratégiques ; connecter les données fiscales, douanières, de concurrence et de marchés afin qu’un signal d’alerte dans un domaine déclenche des vérifications dans les autres ; et se tourner vers des tribunaux au fonctionnement accéléré pour rapidement geler et saisir l’argent sale.</p>
<p>Les incitations doivent être modifiées afin que la police et les procureurs soient récompensés pour les condamnations et les saisies d’actifs, et non pour le nombre de morts. Et là où des groupes criminels ont pris le contrôle de services essentiels, comme les transports ou les services publics, ceux-ci doivent être placés sous contrôle fédéral temporaire et faire l’objet d’appels d’offres transparents et étroitement surveillés afin d’être, au final, remis à des opérateurs légaux.</p>
<p>Le Brésil a déjà prouvé qu’il pouvait mener de grandes opérations aux effets dévastateurs contre le crime. Le véritable défi est désormais de faire en sorte que le travail ordinaire de la loi – enquêtes, constitution de dossiers solides… – soit plus décisif que les interventions spectaculaires. Faute de quoi, il ne faudra pas longtemps pour qu’une grande ville brésilienne ne soit complètement paralysée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/268591/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Robert Muggah est affilié à l’Institut Igarapé et à SecDev.</span></em></p>Le 28 octobre 2025, Rio a vécu l’opération policière la plus sanglante de son histoire contre les narcotrafiquants. Mais alors que le crime organisé s’est imposé comme une puissance économique au Brésil, les démonstrations de force ne règlent rien.Robert Muggah, Richard von Weizsäcker Fellow na Bosch Academy e Co-fundador, Instituto IgarapéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2684272025-10-28T14:31:14Z2025-10-28T14:31:14ZMarwan Barghouti, l’homme de l’espoir pour une Palestine démocratique<p><strong>Emprisonné depuis vingt-trois ans en Israël pour des crimes qu’il a toujours niés, Marwan Barghouti, aujourd’hui âgé de 66 ans, est selon toutes les enquêtes d’opinion le responsable politique le plus populaire au sein de la population palestinienne. S’il était libéré et participait à la prochaine élection présidentielle promise par Mahmoud Abbas avant fin 2026, ce cadre du Fatah pourrait jouer un rôle fondamental dans l’établissement d’une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens.</strong></p>
<p><strong>Déterminé à obtenir l’indépendance de la Palestine dans les frontières de 1967, le dirigeant palestinien est tout autant hostile aux attentats visant les civils israéliens. Dans le monde entier, mais aussi en Israël même, des voix influentes demandent sa libération, à laquelle le gouvernement Nétanyahou continue, pour l’heure, de s’opposer.</strong></p>
<hr>
<p>Marwan Barghouti est né en 1959 à Kobar, non loin de Ramallah. Il a été, à partir de 1994, secrétaire général du Fatah en Cisjordanie et, à partir de 1996, membre du Conseil législatif palestinien, le Parlement de l’Autorité palestinienne créé à la suite des accords d’Oslo. Figure clé de la deuxième Intifada (2000-2005), entré dans la clandestinité en 2001, il est emprisonné en Israël depuis 2002. Le dirigeant palestinien a toujours nié avoir commandité les crimes pour lesquels il a été condamné à perpétuité.</p>
<p>L’homme est parfois qualifié de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/qui-est-marwan-barghouti-le-mandela-de-palestine-dont-le-hamas-reclame-toujours-la-liberation-ce-lundi_255906.html">« Mandela palestinien »</a>. Cette analogie est contestée par certains : alors que Barghouti a participé à des actions militaires, Nelson Mandela aurait prôné la lutte non violente au sein du Congrès national africain (ANC). C’est faux. Mandela a bel et bien <a href="https://shs.cairn.info/revue-alternatives-non-violentes-2017-4-page-11">fondé, puis dirigé</a>, à partir de mai 1961, l’organisation Umkhonto we Sizwe (Fer de lance de la nation), la branche militaire de l’ANC.</p>
<p>Depuis son emprisonnement il y a vingt-trois ans, la libération de Barghouti n’a longtemps été exigée, au niveau international, que par des partis politiques de gauche (le Parti communiste français, notamment), mais cette revendication est aujourd’hui devenue largement transpartisane. En janvier 2024, Ami Ayalon, ancien chef du Shin Bet (le service de renseignement intérieur israélien), <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2024-01-10/ty-article-magazine/.premium/the-misconception-was-that-the-palestinians-arent-a-people/0000018c-eec3-d0b4-a7ce-ffe38ec80000">affirme</a> que la remise en liberté de Barghouti est indispensable pour créer une alternative politique en Palestine, et donc un processus de paix effectif. Début octobre 2025, Ronald Lauder, figure clé de la communauté juive américaine, président du Congrès juif mondial depuis 2007, a <a href="https://www.timesofisrael.com/us-jewish-community-leader-lobbied-for-prominent-palestinian-prisoner-barghoutis-release/">proposé</a> de se rendre en personne à Charm-el-Cheikh, en Égypte, (où se tenaient les négociations entre Israéliens et Palestiniens) pour inclure la libération de Barghouti dans l’accord final de cessez-le-feu, proposition rejetée par Benyamin Nétanyahou.</p>
<p>Hadja Lahbib, actuelle commissaire européenne à l’aide humanitaire et à la gestion de crises, ancienne ministre belge des affaires étrangères de 2022 à 2024, issue du centre-droit, <a href="https://www.politico.eu/newsletter/brussels-playbook/europes-plan-b-for-ukraine/">a déclaré récemment</a> qu’elle voyait en Barghouti « le Nelson Mandela palestinien » qui pourrait « gagner la confiance de son peuple tout en le conduisant vers la paix ». </p>
<p>Enfin, le 23 octobre 2025, Donald Trump, interrogé sur Barghouti dans une interview à <em>Time</em>, a <a href="https://time.com/7327689/trump-israel-gaza-deal-interview-transcript/">répondu</a> : </p>
<blockquote>
<p>« C’est la question du jour. Je vais donc prendre une décision. » </p>
</blockquote>
<p>Le même journal a également rapporté que l’épouse de Marwan, l’avocate Fadwa Barghouti, s’est <a href="https://time.com/7327932/trump-israel-hamas-gaza-deal-marwan-barghouti/">adressée directement au président américain</a> pour lui demander de contribuer à la libération de son mari.</p>
<p>Si, pour l’heure, Benyamin Nétanyahou <a href="https://www.cbc.ca/news/world/israel-gaza-marwan-barghouti-9.6935903">refuse d’envisager une telle possibilité</a>, cette libération semble moins improbable que par le passé. Mais que veut réellement Marwan Barghouti, que pèse-t-il sur la scène politique palestinienne, et qu’est-ce que son éventuelle libération pourrait changer ?</p>
<h2>Les engagements politiques de Barghouti</h2>
<p>Diplômé d’un master en relations internationales à l’Université palestinienne de Birzeit (Cisjordanie), avec un mémoire de recherche consacré à la politique du général de Gaulle au Moyen-Orient, Barghouti a été plusieurs fois arrêté pour ses activités à la tête d’organisations étudiantes. Lors de la première Intifada, il est exilé en Jordanie (1987-1993). Son retour en Palestine est rendu possible grâce aux négociations d’Oslo et il devient <a href="https://www.google.pl/books/edition/Conflict_in_the_Holy_Land/nkrEEAAAQBAJ">secrétaire général du Fatah</a> en Cisjordanie en 1994, fervent soutien du processus de paix, tout en s’opposant au maintien de la colonisation.</p>
<p>Pendant la seconde Intifada (2000-2005), il joue un rôle politique de premier plan, en tant que dirigeant des Tanzim, les « organisations populaires » du Fatah, dont certains éléments s’engagent dans la lutte armée. <a href="https://books.google.pl/books?id=_7fOEAAAQBAJ">L’action armée des Tanzim</a> se caractérise alors par le refus des attentats suicides et des attaques contre les civils, avec des actions concentrées contre l’occupation israélienne à Gaza et en Cisjordanie. En août 2001, quelques mois avant son arrestation, sa voiture est visée par deux missiles antichars et son garde du corps est tué. Lors de son procès en 2004, Barghouti a rappelé que son rôle au sein du Fatah était avant tout politique et il a toujours nié avoir commandité les meurtres dont il était accusé.</p>
<p>Plusieurs sources témoignent du projet politique du leader palestinien. En 1994, <a href="https://www.sup.org/books/middle-east-studies/struggle-sovereignty">dans un entretien avec Graham Usher</a>, Barghouti se présente comme un pont entre deux cultures politiques palestiniennes : l’une forgée en dehors de Palestine, l’autre sous l’occupation israélienne. Il voit les accords d’Oslo comme la fin du rêve d’un « Grand Israël », puisque le gouvernement israélien a reconnu les Palestiniens en tant que peuple et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme son représentant. À ses yeux, l’indépendance est l’objectif prioritaire de la lutte, car elle est la condition indispensable à une évolution démocratique en Palestine. Il défend le pluralisme et craint qu’une victoire du Hamas aux élections législatives de 1996 (et auxquelles le mouvement islamiste ne se présentera finalement pas) ne provoque la mise en place de la loi islamique.</p>
<p>Il plaide pour la création d’institutions véritablement démocratiques afin de préserver le pluralisme, et rappelle que le futur gouvernement palestinien devra respecter les oppositions. Enfin, il voit l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_de_lib%C3%A9ration_de_la_Palestine">OLP</a> comme une étape transitoire dans le processus de mise en place de l’Autorité palestinienne puis de l’État palestinien. Il compare ce rôle à celui de l’Organisation sioniste mondiale, qu’il décrit comme « une institution internationale qui facilite et soutient le droit au retour ». Son État palestinien idéal est, explique-t-il :</p>
<blockquote>
<p>« un État démocratique, fondé sur les droits humains et le respect de la pluralité des confessions et des opinions. Tout ce qui nous a été historiquement refusé dans notre lutte pour une patrie. Pour les Palestiniens, rien de moins ne sera acceptable. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/698712/original/file-20251027-76-ptdps.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/698712/original/file-20251027-76-ptdps.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/698712/original/file-20251027-76-ptdps.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=699&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/698712/original/file-20251027-76-ptdps.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=699&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/698712/original/file-20251027-76-ptdps.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=699&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/698712/original/file-20251027-76-ptdps.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=878&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/698712/original/file-20251027-76-ptdps.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=878&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/698712/original/file-20251027-76-ptdps.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=878&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’arrestation de Marwan Barghouti, le 15 avril 2002.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=92442070">IDF Spokesperson’s Unit</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans une <a href="https://www.wiley.com/en-us/The+Israel%2FPalestine+Reader-p-9781509527335">autre interview</a> réalisée en 2001, au début de la seconde Intifada, Barghouti déclare notamment que « l’objectif de l’Intifada est de mettre fin à l’occupation israélienne », ce qui signifie concrètement l’arrêt de l’occupation « de l’ensemble des Territoires occupés » et l’établissement « d’un État palestinien indépendant dans les frontières de 1967 ». Au même moment, quelques mois après le déclenchement de la seconde Intifada et par l’intermédiaire d’un haut responsable du Shin Bet, il propose une trêve crédible au premier ministre israélien Ariel Sharon, qui la refuse. Le fait que Barghouti soit en prison depuis 2002 ne l’a pas empêché de participer aux élections parlementaires en Palestine de janvier 2006, les dernières à ce jour, en étant très largement réélu.</p>
<p>Quelques mois avant son arrestation en 2002, Barghouti publie dans le <em>Washington Post</em> une <a href="https://www.washingtonpost.com/archive/opinions/2002/01/16/want-security-end-the-occupation/6d95b7aa-48bd-43e8-9698-e35331460ffb/">tribune</a> intitulée « Vous voulez la sécurité ? Mettez fin à l’occupation », dans laquelle il dénonce les arguments prétendument sécuritaires d’Ariel Sharon :</p>
<blockquote>
<p>« Le seul moyen pour les Israéliens de vivre en sécurité est de mettre fin à l’occupation israélienne du territoire palestinien, qui dure depuis trente-cinq ans. Les Israéliens doivent abandonner le mythe selon lequel il serait possible d’avoir la paix et l’occupation en même temps, avec une possible coexistence pacifique entre le maître et l’esclave. L’absence de sécurité israélienne est née de l’absence de liberté palestinienne. Israël ne connaîtra la sécurité qu’après la fin de l’occupation, pas avant. »</p>
</blockquote>
<p>Ces mots n’ont rien perdu de leur évidence frontale et de leur force. À côté de la tragédie à Gaza, l’occupation de la Cisjordanie provoque aujourd’hui des <a href="https://www.amnesty.fr/focus/occupation-israelienne-cisjordanie">dégâts incalculables</a> chez les Palestiniens bien sûr, mais également au sein de la société israélienne, peu à peu gangrenée par la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/06/27/la-cisjordanie-victime-collaterale-de-la-guerre-entre-israel-et-l-iran_6616087_3210.html">brutalité systématique et meurtrière</a> de ses colons et de ses soldats.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/698715/original/file-20251027-92-hoaucr.JPG?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/698715/original/file-20251027-92-hoaucr.JPG?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/698715/original/file-20251027-92-hoaucr.JPG?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/698715/original/file-20251027-92-hoaucr.JPG?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/698715/original/file-20251027-92-hoaucr.JPG?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/698715/original/file-20251027-92-hoaucr.JPG?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/698715/original/file-20251027-92-hoaucr.JPG?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le portrait de Barghouti est brandi lors d’un rassemblement de Palestiniens protestant contre la saisie de leurs terres à Kufr ad Deek (nord de la Cisjordanie), le 15 février 2012.</span>
<span class="attribution"><span class="source">KafrAdDeek/Wikipedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Comme nous l’a rapporté le philosophe Sari Nusseibeh, l’engagement de Barghouti pour un État palestinien libre et démocratique était déjà visible dans les années 1980, quand il faisait partie des rares activistes palestiniens à discuter ouvertement avec les députés travaillistes en Israël. Sa position est restée inchangée depuis. Dans le <a href="https://www.washingtonpost.com/archive/opinions/2002/01/16/want-security-end-the-occupation/6d95b7aa-48bd-43e8-9698-e35331460ffb/">texte du <em>Washington Post</em> déjà cité</a>, Barghouti explicite sa ligne stratégique :</p>
<blockquote>
<p>« Moi-même et le mouvement Fatah auquel j’appartiens nous opposons fermement aux attaques contre des civils en Israël, notre futur voisin […]. Je ne cherche pas à détruire Israël, mais seulement à mettre fin à son occupation de mon pays. »</p>
</blockquote>
<p>Dans une <a href="https://thepalestineproject.medium.com/marwan-barghouti-letter-from-prison-893e284d314e">lettre</a> rédigée en 2016, il insiste également sur les réformes profondes qu’il faudra initier en Palestine pour renouveler et consolider le contrat démocratique entre les dirigeants et les citoyens :</p>
<blockquote>
<p>« Nous ne pouvons dissocier la libération de la terre et celle du peuple. Nous avons besoin d’une révolution dans nos systèmes éducatif, intellectuel, culturel et juridique. »</p>
</blockquote>
<h2>Ce que sa libération pourrait apporter</h2>
<p>Barghouti purge actuellement cinq peines d’emprisonnement à perpétuité. Son procès n’a pas répondu aux standards internationaux : Barghouti et ses éminents avocats – Jawad Boulus, Gisèle Halimi et Daniel Voguet, entre autres – ont <a href="http://archive.ipu.org/hr-e/174/report.htm">plaidé</a> que, selon le droit international, le tribunal du district de Tel-Aviv n’était pas compétent pour juger les faits dont il était accusé. Pour cette raison, Barghouti a refusé de répondre en détail aux accusations portées contre lui (le meurtre du prêtre Georgios Tsibouktzakis et de quatre autres civils), se cantonnant à répéter sa condamnation des attentats terroristes visant des civils.</p>
<p>Sa popularité auprès des Palestiniens est impressionnante. Selon un <a href="https://pcpsr.org/en/node/997">sondage réalisé en mai 2025 par le Centre palestinien pour la recherche politique</a>, 39 % des électeurs en Palestine (Cisjordanie et Gaza) considèrent Barghouti comme le plus apte à succéder à Mahmoud Abbas, ce qui le place en première position, loin devant Khaled Mechaal, chef politique du Hamas exilé au Qatar, deuxième avec 12 %.</p>
<p>Un <a href="https://www.pcpsr.org/en/node/955">autre sondage</a> réalisé juste avant le 7 octobre, en septembre 2023, à l’occasion du 30<sup>e</sup> anniversaire des accords d’Oslo, montrait déjà qu’en cas d’élection présidentielle 34 % des sondés auraient voté pour Marwan Barghouti au premier tour, et 17 % pour le leader du Hamas Ismaïl Haniyeh. Au second tour, Barghouti l’aurait facilement emporté par 60 % des voix contre Haniyeh, alors qu’Haniyeh l’aurait emporté par 58 % contre Mahmoud Abbas.</p>
<p>Non seulement Barghouti est la personnalité préférée des Palestiniens, le rempart contre le Hamas, mais il redonne confiance dans le processus politique lui-même. Selon ce même sondage, la participation aux élections sera 20 % plus élevée si Barghouti est candidat.</p>
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<p>La libération de Marwan Barghouti ne suffira pas pour mettre fin au conflit, qui dure depuis plus d’un siècle. C’est un être humain qui peut commettre des erreurs et qui proposera peut-être certaines solutions qui s’avèreront décevantes. Mais, compte tenu de ce qu’il représente aujourd’hui pour les Palestiniens, sa libération apparaît comme un préalable indispensable à tout processus politique.</p>
<p>Depuis les années 1990, il a fait de la lutte contre la corruption et contre les inégalités femmes-hommes le cœur de son engagement. Leader incontesté du <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/what-prison-web-does-palestinians-interview-stephanie-latte-abdallah">Mouvement des prisonniers</a>, qui regroupe des militants de toutes les factions palestiniennes, il œuvre inlassablement pour une réconciliation nationale. En juin 2006, il initie <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2006/06/27/les-palestiniens-approuvent-le-plan-des-prisonniers-qui-admet-l-existence-d-israel_788929_3218.html">l’Appel des prisonniers</a>, signé par des militants de toutes obédiences, Hamas et Jihad islamique compris, qui déclare qu’un État palestinien devra être créé « dans les frontières de juin 1967 », ce qui revient à accepter l’existence d’Israël à l’extérieur de ces mêmes frontières.</p>
<p><a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210430-mahmoud-abbas-annonce-le-report-des-premi%C3%A8res-%C3%A9lections-en-territoires-palestiniens-en-quinze-ans">L’annulation par Mahmoud Abbas des élections législatives de mai 2021</a>, qui devaient marquer la réconciliation entre le Fatah et le Hamas, a été accueillie avec défiance par l’opinion publique palestinienne, qui ne s’identifie plus à ce dirigeant démonétisé, inefficace et dépassé, tant sur le plan politique qu’économique. Le peuple palestinien, à ce moment dramatique de son histoire, doit de toute urgence pouvoir débattre librement de son avenir, avec de nouveaux horizons constructifs.</p>
<h2>Le déclenchement du processus démocratique ne se fera pas sans Barghouti</h2>
<p>Aujourd’hui, outre la confiance dont il jouit dans le milieu politique et intellectuel international et auprès du public israélien, Marwan Barghouti est soutenu par une grande partie de la population palestinienne. Si un État viable et démocratique peut advenir en Palestine, ce sera avec lui.</p>
<p>Il y a urgence, car la mise en place d’une gouvernance palestinienne à Gaza, pour avoir une chance de réussir, devra être soutenue par la population, au moment où le gouvernement d’extrême droite en Israël cherche au contraire à <a href="https://news.sky.com/story/revealed-the-plan-for-a-new-gaza-and-the-four-militias-israel-is-backing-to-defeat-hamas-13456416">favoriser les clans mafieux de Gaza</a>, dans le seul but de concurrencer le Hamas ; au moment également où Itamar Ben-Gvir, ministre israélien d’extrême droite en charge des prisons, vient menacer physiquement Barghouti dans sa cellule et couvre les <a href="https://www.leparisien.fr/international/israel/marwan-barghouti-le-mandela-palestinien-aurait-ete-violemment-moleste-par-des-gardes-israeliens-16-10-2025-DBPG3AIZ5ZGJDAVPXH4VUMMBCY.php">mauvais traitements</a> dont il est régulièrement victime.</p>
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<p>Pour qu’un gouvernement palestinien soit soutenu non seulement en Cisjordanie, mais aussi à Gaza, il faut que les structures de l’Autorité palestinienne soient profondément refondées. Pour cela, des élections sont indispensables. Elles ont failli avoir lieu en mai 2021, mais, nous l’avons évoqué, elles ont été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/30/les-elections-palestiniennes-reportees-tant-que-la-tenue-du-scrutin-n-est-pas-garantie-a-jerusalem_6078570_3210.html">reportées <em>sine die</em></a> à la suite de la décision israélienne d’interdire les bureaux de vote à Jérusalem-Est, privant de participation les 400 000 habitants palestiniens de Jérusalem. Aujourd’hui, grâce aux smartphones et aux nouvelles technologies d’identification numérique, le <a href="https://www.elections.ps/tabid/146/PgrID/9114/PageID/192/ArtMID/9115/ArticleID/1149/language/en-US/Default.aspx">vote électronique</a> permettra aisément de surmonter cet obstacle.</p>
<p>Marwan Barghouti est aujourd’hui le favori incontesté des futures élections palestiniennes. Si elles étaient organisées sans lui, elles perdraient de ce fait toute crédibilité. Il pourrait bien sûr se présenter depuis sa prison, comme en 2021. Mais recréer cette situation de soumission et d’hostilité ne permettrait pas une véritable campagne électorale participative et citoyenne. Les Palestiniens continueraient d’avoir l’impression que leurs ambitions sont humiliées. Les Israéliens continueraient de ne voir en Barghouti qu’un terroriste emprisonné et ne pourraient imaginer l’émergence d’un État palestinien comme un avenir acceptable, voire désirable.</p>
<h2>Un homme et un symbole</h2>
<p>La présentation de Barghouti comme un homme providentiel susceptible de sauver non seulement la Palestine, mais aussi Israël, provoque parfois des réactions ironiques, y compris à l’égard des auteurs de ce texte. Cette ironie est déplacée. </p>
<p>Dans des situations politiques dégradées, toute collectivité a besoin de symboles unificateurs. C’était le cas en Afrique du Sud avec Nelson Mandela, aux États-Unis avec Martin Luther King, mais également en Pologne et en Tchécoslovaquie : Lech Wałęsa et Václav Havel n’ont pas offert de solutions toutes faites, mais leur libération puis leur arrivée au pouvoir ont fait partie d’un processus d’émancipation et de prise de conscience politique pour leurs peuples respectifs.</p>
<p>L’incarnation d’une lutte, ce n’est pas le culte de la personnalité. Certains leaders charismatiques émergent dans des situations où tous les autres facteurs de stabilité se sont effondrés. De ce fait, ils constituent une cristallisation des aspirations politiques, et cela aussi devrait être pris au sérieux, dans le moment de bascule historique que nous traversons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/268427/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Leader palestinien emprisonné depuis 2002, Marwan Barghouti, très populaire auprès des siens, pourrait en cas de libération jouer un rôle clé dans le processus de paix.Vincent Lemire, Professeur en histoire contemporaine, Université Gustave EiffelAnna C. Zielinska, MCF en philosophie morale, philosophie politique et philosophie du droit, membre des Archives Henri-Poincaré, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2673462025-10-27T14:57:13Z2025-10-27T14:57:13ZVers un « goulag numérique » : comment la Russie développe le contrôle et la surveillance de ses citoyens<p><strong>Interdiction de nombreuses applications de communication, obligations multiples imposées aux entreprises digitales et aux citoyens au nom de la transparence et de la lutte contre l’« extrémisme », caméras de surveillance omniprésentes dans les grandes villes, systèmes de reconnaissance faciale de plus en plus efficaces… Le contexte actuel est propice au développement, en Russie, d’un système intégré permettant au pouvoir de surveiller ses citoyens toujours plus étroitement.</strong></p>
<hr>
<p>Depuis le 1<sup>er</sup> septembre 2025, à Moscou (capitale de la Fédération de Russie), les travailleurs migrants originaires de pays exemptés de visas <a href="http://publication.pravo.gov.ru/Document/View/0001202505230034?index=1">ont l’obligation</a> d’installer sur leur smartphone une application qui transmettra en temps réel leurs données de géolocalisation aux services du ministère de l’intérieur. En cas de désactivation de la géolocalisation ou de suppression de l’application, les migrants seront inscrits sur un registre de « personnes sous contrôle » ; leurs transactions financières et leurs cartes SIM seront bloquées ; et ils pourront être expulsés. Cette expérimentation se poursuivra jusqu’en 2029, après quoi cette pratique pourrait être étendue à d’autres régions de Russie.</p>
<p>Cette loi, qui s’inscrit dans une série de mesures visant à renforcer de manière accélérée le contrôle numérique en Russie, depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022, constitue une mise à l’épreuve de la possibilité d’une surveillance totale de l’ensemble des citoyens du pays.</p>
<p>Le souvenir, encore vivace, des tendances totalitaires à l’œuvre en Union soviétique (URSS) – suppression des libertés, surveillance de la population, mise en place du rideau de fer et censure totale –, symbolisées par le système du goulag (les camps de travail où étaient envoyés, entre autres, les prisonniers politiques pour délit d’opinion) a donné naissance à la formule de « goulag numérique », qui désigne le renforcement sans cesse plus palpable du contrôle technologique dans la Russie contemporaine.</p>
<h2>Éléments de contrôle et de surveillance des citoyens, introduits en 2022</h2>
<p>Jusqu’en 2022, la surveillance et la censure concernaient principalement la sphère politique, notamment la lutte contre l’opposition. Depuis, face à un mécontentement croissant, l’État a jugé nécessaire d’étendre son contrôle à tous les domaines de la vie publique.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/696942/original/file-20251017-63-nb5aa5.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/696942/original/file-20251017-63-nb5aa5.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/696942/original/file-20251017-63-nb5aa5.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/696942/original/file-20251017-63-nb5aa5.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/696942/original/file-20251017-63-nb5aa5.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/696942/original/file-20251017-63-nb5aa5.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/696942/original/file-20251017-63-nb5aa5.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/696942/original/file-20251017-63-nb5aa5.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Prison de structure panoptique, vue d’artiste.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://it.pinterest.com/pin/48976714676422423/">Adam Simpson/Blue Ākāśha/Pinterest</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>La Russie met progressivement en place ce que l’on pourrait appeler un « panoptique numérique ». Initialement conçu par Jeremy Bentham (1748-1832), le <a href="https://www.editions-bartillat.fr/fiche-livre.php?Clef=584">panoptique</a> était un projet de prison circulaire dotée d’une tour de surveillance centrale. À l’intérieur du panoptique, le gardien voit tous les prisonniers, mais ces derniers ne savent pas s’ils sont observés. De là naît un sentiment d’être surveillé à tout moment. Ce sentiment est de plus en plus partagé par les habitants de la Russie contemporaine, car le développement des technologies permet aux services de sécurité et à l’État d’accéder à un volume croissant de données personnelles et de constamment contrôler les citoyens à sa discrétion.</p>
<p>Après l’invasion totale de l’Ukraine lancée en février 2022, les autorités adoptent en urgence de nouvelles <a href="https://theconversation.com/comment-le-kremlin-assoit-toujours-davantage-son-controle-de-linternet-russe-212070">lois</a> criminalisant la diffusion d’informations divergeant de la position officielle du Kremlin. Ces normes – pénalisation de « diffusion de fausses nouvelles » et de la « discréditation » des forces armées russes, durcissement des textes ciblant les « agents de l’étranger » – instaurent une censure stricte et, de fait, criminalisent toute opinion ou information différente de celles provenant des sources officielles de l’État.</p>
<p>Dans le même temps, le régime continue de développer des solutions numériques. Depuis décembre 2022, toutes les entreprises qui collectent les données biométriques des citoyens sont <a href="http://publication.pravo.gov.ru/Document/View/0001202212290024">tenues de les transférer au Système biométrique unifié de l’État</a> (EBS). La loi n’interdit pas aux forces de l’ordre de consulter ces données. Ainsi se crée une base technologique permettant une utilisation généralisée des systèmes de reconnaissance faciale, déjà activement employés pour identifier puis arrêter les participants à des actions de protestation et les « ennemis de l’État ».</p>
<p>Entre 2025 et 2026, le ministère du développement numérique de la Fédération de Russie prévoit de dépenser 2 milliards de roubles (plus de 20 millions d’euros) pour la création d’une plateforme unifiée dotée d’une IA destinée à traiter les vidéos des caméras de surveillance dans toute la Russie. Rien qu’à Moscou, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/06/28/la-reconnaissance-faciale-puissant-outil-de-controle-et-de-repression-dans-les-regimes-autoritaires_6616221_3210.html">plus de 200 000 caméras sont déjà installées</a> et utilisées par la police pour le suivi et l’analyse des comportements.</p>
<p>Un autre système électronique, le registre des personnes soumises aux obligations militaires, vise à répondre au chaos causé par la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/21/russie-la-mobilisation-partielle-un-pari-militaire-loin-d-etre-gagne_6142632_3210.html">mobilisation de 2022</a> et à la <a href="https://fsi.stanford.edu/publication/russian-emigration-patterns-during-russia-ukraine-war-interviews-wartime-emigres">fuite à l’étranger de centaines de milliers d’hommes et de leurs familles</a>.</p>
<p>Ce système agrège les données personnelles provenant d’autres bases de données gouvernementales et est enrichi par les informations fournies par les employeurs et par les banques. C’est par son intermédiaire que sont envoyées les convocations électroniques, considérées comme ayant été automatiquement remises à leurs destinataires quelques jours après leur apparition dans cette base. Dès lors, jusqu’à ce qu’elle se présente au commissariat militaire (nom donné aux centres chargés de gérer la mobilisation militaire de la population), la personne se voit automatiquement interdire de quitter le pays et subit d’autres restrictions, notamment l'interdiction de conduire un véhicule.</p>
<h2>Internet souverain ou rideau de fer numérique ?</h2>
<p>L’écrivaine et philosophe américaine Shoshana Zuboff a forgé la notion de « <a href="https://www.zulma.fr/livre/lage-du-capitalisme-de-surveillance/">capitalisme de surveillance</a> », un système où les grandes corporations possèdent nos données et essaient de prédire et de contrôler notre comportement. Elle se demande si les sociétés informatiques qui détiennent un grand volume de données personnelles, comme Google, Meta, Amazon et d’autres, pourraient avoir plus de pouvoir que les États.</p>
<p>En Russie, la réponse se trouve déjà sous nos yeux : toutes les grandes sociétés informatiques russes possédant les données personnelles de leurs utilisateurs sont soit soumises au Kremlin soit bloquées.</p>
<p>Après le début de la guerre, le géant informatique Yandex (l’équivalent russe de Google) a été contraint d’effectuer un filtrage actif des informations dans son moteur de recherche et ses actualités. Il signale désormais certaines sources comme étant non fiables et diffusant de fausses informations, tout en promouvant celles qui sont loyales à la position officielle.</p>
<p>Le géant étranger Meta, déclaré organisation extrémiste en mars 2022, est bloqué sur le territoire russe, ainsi que ses services Facebook et Instagram. Ont également été bloqués X (anciennement Twitter) et de nombreux médias indépendants. YouTube a été ralenti et, de fait, bloqué.</p>
<p>En août 2025, Roskomnadzor (l’agence russe qui s’occupe de la censure sur Internet et du blocage des ressources d’information jugées indésirables) a bloqué la possibilité de passer des appels audio et vidéo sur Telegram et sur WhatsApp. Même si la raison officiellement invoquée pour cela est la protection contre les escroqueries téléphoniques, en réalité, ce processus va de pair avec le <a href="https://www.lepoint.fr/monde/c-est-un-moyen-de-nous-ecouter-max-la-messagerie-intrusive-de-poutine-15-09-2025-2598656_24.php">lancement de la messagerie d’État, MAX</a>, à laquelle les forces de l’ordre ont un accès total.</p>
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<p>La messagerie sera intégrée au système numérique de services publics. Le simple fait d’utiliser un service VPN pour contourner le blocage est considéré comme une circonstance aggravante lors de la commission d’un « crime », tel que la recherche de « contenus extrémistes » (notion dont la définition, volontairement floue, permet de déclencher des poursuites sur des fondements ténus).</p>
<p>D’ici à novembre 2025, un programme d’intelligence artificielle (IA) pour la censure des livres sera lancé en Russie. Au départ, le programme ne recherchera que la propagande liée à la drogue dans les ouvrages. Comme c’est souvent le cas, en cas de succès, l’État pourrait facilement étendre la censure à la critique du pouvoir ou de l’armée, ou encore à la recherche de documents à thématique LGBTQIA+, sachant que le <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/russie/evenements/evenements-de-l-annee-2023/article/russie-la-france-condamne-l-inscription-par-la-cour-supreme-russe-du-mouvement">« mouvement LGBTQIA+ » a été classé comme extrémiste</a>.</p>
<hr>
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<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/russie-lhomophobie-detat-element-central-de-la-guerre-des-valeurs-contre-loccident-212396">Russie : l’homophobie d’État, élément central de la « guerre des valeurs » contre l’Occident</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Vers un totalitarisme numérique ?</h2>
<p>Ainsi, en moins de trois ans, la Russie a construit un système cohérent et interconnecté, où les interdictions du législateur relatives à l’information sont renforcées par des technologies de surveillance totale, et le contrôle numérique des citoyens assure l’application des lois répressives.</p>
<p>Ces lois et ces solutions technologiques s’accumulent en un effet boule de neige, entraînant une accoutumance progressive de la population. Sous prétexte de protéger les citoyens face à diverses menaces – contexte de guerre et de sanctions, attaques terroristes, escroqueries –, l’État met tout en œuvre pour renforcer le pouvoir total de Vladimir Poutine.</p>
<p>Au XX<sup>e</sup> siècle, le philosophe Isaiah Berlin (1909-1997) promouvait une <a href="https://isaiah-berlin.wolfson.ox.ac.uk/sites/default/files/2018-09/Bib.196%20-%20Pursuit%20of%20the%20Ideal%20by%20Isaiah%20Berlin_1.pdf">alternative pluraliste et libérale au totalitarisme</a>, impliquant l’existence d’une sphère de la vie humaine libre de toute ingérence étatique, de surveillance et de contrôle, ce qu’il appelait la « sphère de la <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782702114421-eloge-de-la-liberte-isaiah-berlin/">liberté négative</a> » (négative au sens de « privée d’entraves »). Aujourd’hui, nous assistons à un resserrement drastique de cette sphère en Russie et au développement progressif du « totalitarisme numérique », c’est-à-dire d’un pouvoir totalitaire armé non seulement de lois répressives, mais aussi de nouvelles technologies : caméras, bases de données électroniques et IA de plus en plus sophistiquée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/267346/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Iurii Trusov ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le rapide développement de nombreuses technologies de contrôle et de surveillance tend à transformer la Russie entière, y compris l’espace numérique, en un espace où aucune contestation n’est possible.Iurii Trusov, chercheur en philosophie, docteur en sciences politiques, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2666972025-10-27T14:53:57Z2025-10-27T14:53:57ZL’industrie automobile européenne face à la guerre en Ukraine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/696904/original/file-20251017-56-r9zq4d.jpg?ixlib=rb-4.1.0&rect=390%2C0%2C4218%2C2812&q=45&auto=format&w=1050&h=700&fit=crop" /><figcaption><span class="caption">Avec la guerre en Ukraine, la rupture des chaînes d’approvisionnement de l’industrie automobile européenne a conduit à l’arrêt de plusieurs usines d’assemblage en Allemagne.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/munich-germany-july-10-2019-lots-1495443896">servickuz/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><strong>Depuis 2022, la guerre en Ukraine a conduit le secteur automobile à revoir ses chaînes de valeur en gérant de nouveaux risques. Les constructeurs européens de véhicules cherchent à ajuster leur organisation toyotiste, dite « au plus juste », en acceptant de recréer des stocks, d’intégrer verticalement certains partenaires stratégiques et de repenser la localisation des productions.</strong></p>
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<p>Au-delà du drame humain, le conflit en Ukraine a obligé les industriels européens de l’automobile à ajuster leurs chaînes de valeurs et à repenser la localisation de leurs activités. Dans un article publié en 2022 dans la <a href="https://shs.cairn.info/revue-d-economie-financiere-2022-3-page-207"><em>Revue d’économie financière</em></a>, nous analysions les déflagrations et recompositions économiques de ce conflit à travers la situation délicate de l’industrie automobile européenne à l’aube de la guerre.</p>
<p>Déjà soumis à la pénurie des semi-conducteurs et la pandémie de Covid-19, les constructeurs et les équipementiers automobiles ont dû engager, en à peine quelques mois, des reconfigurations de leurs chaînes de valeurs. Les modèles de production ont alors été revus, en particulier par ceux inspirés du « juste à temps ». Au-delà de l’abandon du marché russe ceux d’entre eux qui s’y étaient engagés tels que Renault-Nissan, Volkswagen, ou Michelin, les orientations stratégiques ont été profondément remises en question.</p>
<p>Avec quelles réussites ?</p>
<h2>Chaînes de valeur déjà en tension avant le conflit</h2>
<p>Le 24 février 2022, le conflit en Ukraine éclate tandis que le secteur automobile européen peine à digérer les deux crises du Covid-19 et de la pénurie des <a href="https://theconversation.com/production-de-semi-conducteurs-aux-etats-unis-la-relocalisation-fait-face-a-une-penurie-de-competences-252675">semi-conducteurs</a>. Le conflit précipite le secteur dans une rupture de chaînes de valeurs du fait de l’<a href="https://oica.net/category/sales-statistics/">effondrement du marché russe couplé à l’atonie des marchés européens</a>.</p>
<iframe title="Évolution du marché automobile (VPN) en Europe et en Russie (2019–2021)" aria-label="Tableau" id="datawrapper-chart-pUEiN" src="https://datawrapper.dwcdn.net/pUEiN/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="width: 0; min-width: 100%!important; border: none;" height="1400" data-external="1" width="100%"></iframe>
<p>Au cours des premiers mois de la guerre, le marché russe s’est effondré de 85 %. Le marché ukrainien, certes plus petit, mais stratégiquement important pour certains fournisseurs, a vu ses immatriculations chuter de plus de 90 %. La rupture des chaînes d’approvisionnement a conduit à l’arrêt de plusieurs usines d’assemblage comme en Allemagne pour Volkswagen à Zwickau et à Dresde en mars 2022. La vulnérabilité du modèle de production <em>lean</em> est apparue au grand jour. Conçu pour réduire les stocks et les coûts, le modèle semble peu adapté à un monde devenu bien plus fragmenté, exposé à des événements géopolitiques extrêmes.</p>
<p>La transition vers une mobilité décarbonée oblige les acteurs à se tourner vers le <a href="https://shs.cairn.info/magazine-questions-internationales-2022-3-page-129">tout électrique</a> nécessitant métaux et terres rares. Cette transition complique la tâche des industries européennes, puisque la Russie est un acteur majeur dans l’exportation de métaux essentiels à la fabrication de moteurs, de catalyseurs et de batteries, comme l’aluminium, le nickel ou encore le palladium. Le prix de ces matériaux a ainsi bondi entre 2020 et 2022 ce qui a contribué à l’inflation des prix des véhicules.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/697231/original/file-20251020-56-es0zyv.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/697231/original/file-20251020-56-es0zyv.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/697231/original/file-20251020-56-es0zyv.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=502&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/697231/original/file-20251020-56-es0zyv.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=502&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/697231/original/file-20251020-56-es0zyv.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=502&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/697231/original/file-20251020-56-es0zyv.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/697231/original/file-20251020-56-es0zyv.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/697231/original/file-20251020-56-es0zyv.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Indices des prix des matières premières 2019-2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/010002010">INSEE</a></span>
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<h2>Régionalisation accrue de la production automobile</h2>
<p>Le retrait du marché russe par les marques européennes a laissé la place aux <a href="https://theconversation.com/le-bond-en-avant-de-lindustrie-automobile-chinoise-de-1953-a-nos-jours-265607">acteurs chinois</a> qui ont vu leurs parts de marché progresser depuis 2022. Grâce aux « nouvelles routes de la soie », qui renforcent les liens logistiques entre Moscou et Pékin, des constructeurs comme Geely ou Haval ont été parmi les premiers à se positionner pour approvisionner le marché russe.</p>
<p>Au-delà des risques de sanctions pour Pékin, cette stratégie illustre comment la géopolitique redessine les équilibres industriels à l’échelle mondiale.</p>
<p>La guerre en Ukraine a amené les constructeurs à modifier leurs priorités, puisque la logique de gestion des risques est alors devenue primordiale devant l’efficacité économique. La révision des chaînes de valeur a amené les constructeurs à diversifier leurs fournisseurs et internaliser davantage d’étapes de production. Il s’agit du rachat ou de la prise de participation dans les entreprises qui fabriquent certains composants devenus stratégiques – on parle alors d’intégration verticale puisque les constructeurs absorbent des entreprises qui interviennent en amont du processus de production des véhicules. Ces derniers ont également dû accepter les coûts liés au maintien de stocks stratégiques. La proximité géographique et la fiabilité des partenaires sont apparues tout aussi importantes que le prix.</p>
<p>Pour limiter les risques, l’industrie automobile européenne cherche dès lors à sécuriser l’accès aux matières premières critiques et à réduire sa dépendance vis-à-vis de régions politiquement instables. La régionalisation accrue de la production s’impose.</p>
<h2>Relance des volumes en Europe à travers davantage de petits véhicules abordables</h2>
<p>La sécurisation des approvisionnements s’avère particulièrement ardue dans la transition énergétique qui s’annonce.</p>
<p>L’électrification de la filière automobile crée de nouvelles fragilités. Pourquoi ? Parce qu’elle requiert une quantité accrue de semi-conducteurs et de <a href="https://theconversation.com/lithium-graphite-nickel-leurope-relance-sa-strategie-industrielle-de-matieres-premieres-critiques-de-lextraction-au-recyclage-256664">minéraux rares</a>, comme le lithium et le cobalt. Les tensions géopolitiques autour de Taïwan, premier fabricant mondial de puces électroniques, ou dans la région du Sahel, stratégique pour l’approvisionnement en uranium et autres ressources, pourraient provoquer de nouvelles crises d’approvisionnement.</p>
<p>Cette contrainte oblige l’Europe à trouver des voies possibles pour une sécurité économique permettant à toute la filière automobile de continuer de restructurer ses activités sans compromettre sa compétitivité.</p>
<p>Jusqu’à récemment, le secteur semblait relever ce défi en misant sur une stratégie industrielle axée sur la réduction des volumes de production, tout en élargissant les gammes de modèles et en augmentant les prix, notamment grâce aux SUV électrifiés (hybrides rechargeables et véhicules électriques à batterie) et à la montée en gamme (ou « premiumisation » des ventes). L’atonie des <a href="https://oica.net/category/sales-statistics/">ventes</a> observée depuis 2024 remet en cause cette stratégie.</p>
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<p>La relance des ventes pourrait venir d’une offre de <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/voiture-electrique-a-succes/">véhicules électriques plus petits et abordables</a>, afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone du parc automobile européen d’ici 2050. Fabriqués sur le territoire européen, ces véhicules devront aussi répondre à des <a href="https://gerpisa.org/node/8350">exigences légitimes de contenu local</a>. Ce retour à des petits modèles compacts, qui sont dans l’ADN des marques européennes, apparaît comme une condition indispensable pour préserver l’indépendance industrielle du continent et maintenir les emplois dans le secteur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/266697/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Prieto Marc ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis 2022, la guerre en Ukraine a conduit l’industrie automobile à revoir ses chaînes de valeur en gérant de nouveaux risques.Prieto Marc, Professeur-HDR, directeur de l'Institut ESSCA "Transports & Mobilités Durables", ESSCA School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2673392025-10-26T19:55:43Z2025-10-26T19:55:43ZComment Telegram est devenue le champ de bataille des conflits modernes<p><strong>Née comme une messagerie destinée à protéger au mieux la vie privée de ses utilisateurs, Telegram est devenue un théâtre d’affrontement permanent. Sur l’application, de multiples canaux diffusent l’horreur brute, la criminalité organisée prospère, les services secrets recrutent et, surtout, la propagande bat son plein. Décryptage du fonctionnement de cet outil qui s’est transformé en véritable arme de guerre numérique.</strong></p>
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<p>Longtemps perçue comme une alternative sécurisée aux réseaux sociaux de la galaxie Meta notamment par une frange d’internautes soucieux de la protection de leur vie privée et par les défenseurs des libertés numériques, séduits par son image « anti-système » et sa promesse d’un espace affranchi de la surveillance commerciale, <a href="https://www.meta-media.fr/2022/07/28/telegram-lapplication-obscure-au-flux-dinformation-intarissable.html">Telegram</a>, fondée en 2013 par les frères Durov, s’est imposée comme l’une des plateformes les plus influentes de la planète. </p>
<p>Pavel Durov, en est à sa seconde aventure numérique. Avant Telegram, il avait lancé VKontakte (VK), souvent qualifié de « Facebook russe ». Dès sa création en 2006, VK s’était distinguée comme un rare bastion de liberté sur le Web russe, jusqu’à ce que Durov refuse de livrer aux services secrets de son pays (le FSB) les données des blogueurs et de fermer les pages de l’opposition. Ce refus lui coûta progressivement le contrôle de l’entreprise, reprise ensuite par des proches du pouvoir. Aujourd’hui, Telegram, forte de près de 950 millions d’utilisateurs dans le monde, séduit par son chiffrement, sa promesse de confidentialité et la possibilité de créer des « canaux » rassemblant des centaines de milliers de personnes. </p>
<p>Mais derrière l’image de havre numérique pour défenseurs de la vie privée, Telegram est devenue un outil central pour des usages beaucoup plus sombres : trafic, voyeurisme et surtout… guerres de propagande.</p>
<h2>Arrestation et mise en examen de Pavel Durov</h2>
<p>Le 24 août 2024, le cofondateur de Telegram Pavel Durov, franco-russe, est <a href="https://theconversation.com/mise-en-examen-de-pavel-durov-patron-de-telegram-une-affaire-geopolitique-237677">arrêté et mis en examen en France</a>. La justice lui reproche de ne pas avoir empêché la <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/justice/ce-que-reproche-la-justice-a-pavel-durov-le-fondateur-de-telegram-arrete-en-france-88d3657e-63cf-11ef-a39b-2de1646b9f82">prolifération sur son réseau d’activités illégales</a> : trafic de stupéfiants, pédocriminalité, escroqueries.</p>
<p><a href="https://www.ouest-france.fr/high-tech/mis-en-examen-en-france-pavel-durov-le-fondateur-de-telegram-se-trouve-desormais-a-dubai-ad629054-032a-11f0-b813-760796e3e8a4">Mis en examen</a>, Durov s’est défendu en soulignant le caractère inédit d’une telle procédure : « Arrêter le PDG d’une plateforme parce que certains utilisateurs commettent des crimes, c’était absurde », <a href="https://www.leparisien.fr/high-tech/ils-avaient-juste-a-apprendre-la-procedure-sur-google-un-an-apres-son-arrestation-le-tacle-du-patron-de-telegram-a-la-france-25-08-2025-GWAIZ7MJXRAWVMQSAFUJEIF5TU.php">déclare-t-il alors</a>. Depuis cette date, Telegram collabore davantage avec les autorités, selon plusieurs sources judiciaires. Mais la question reste entière : comment contrôler un espace aussi vaste et opaque ?</p>
<p>En Chine, une <a href="https://www.lepoint.fr/societe/en-chine-un-vaste-reseau-de-voyeurisme-pornographique-demasque-sur-telegram-24-08-2025-2596917_23.php">enquête de CNN</a> a récemment révélé l’existence d’un gigantesque réseau de voyeurisme pornographique hébergé sur Telegram. Plus de 100 000 membres y échangeaient, à l’insu de leurs victimes, des milliards de photos et vidéos intimes et récits d’agression. L’affaire a choqué l’opinion publique et souligné l’extrême difficulté à contenir les dérives de l’application.</p>
<p>Car Telegram est un écosystème : tout y circule, de la <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2024/09/07/comment-telegram-est-devenu-la-cour-des-miracles-de-la-criminalite-ordinaire_6306217_4408996.html">contrebande de drogues aux fichiers frauduleux, en passant par des contenus extrêmes de propagande</a>. Si le darknet exigeait autrefois des compétences techniques pour accéder à ces contenus, l’application rend aujourd’hui de tels échanges disponibles en quelques clics.</p>
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<h2>Du chiffrement à la cruauté</h2>
<p>C’est sans doute sur le terrain de la guerre que Telegram s’impose le plus brutalement. Lors des attaques terroristes du Hamas contre Israël en octobre 2023, l’application est devenue un <a href="https://www.sudouest.fr/economie/reseaux-sociaux/guerre-israel-hamas-telegram-messagerie-des-pires-organisations-et-propagandes-du-monde-17126015.php">champ de bataille parallèle</a>. Les groupes armés ont immédiatement compris le potentiel de l’outil : diffuser sans filtre des vidéos de violences, de tortures, de profanations de cadavres, accompagnées de messages galvanisant.</p>
<p>Le même jour, nous avons décidé d’infiltrer le canal du Hamas depuis la France. La facilité avec laquelle nous avons pu accéder à des contenus insoutenables a été glaçante : viols, exécutions, actes nécrophiles, corps – souvent d’enfants – mutilés et exhibés comme trophées de victoire. Chaque jour, des dizaines de vidéos de propagande inondaient les canaux, repoussant sans cesse les limites de l’indicible.</p>
<p>Le lendemain, les canaux liés à l’armée israélienne, Tsahal, adoptaient la même logique : images de massacres et de représailles, accompagnées de messages de haine et d’encouragement à la vengeance. La guerre des armes trouvait son double, instantané et cru, sur Telegram.</p>
<p>Les horreurs observées sont telles que nous avons choisi de ne pas toutes les relater ici. Mais il est essentiel que le lecteur comprenne l’ampleur de cette banalisation de la violence : sur cette plateforme, la cruauté devient quotidienne, accessible à tous et, souvent, reproduite à l’infini.</p>
<h2>« Ce canal enfreint la législation locale »</h2>
<p>En France, il a fallu attendre le 17 octobre 2023 pour qu’un blocage partiel du compte du Hamas soit mis en place, peu après la diffusion d’une vidéo montrant un otage. Dès lors, une tentative de connexion au canal faisait apparaître : <a href="https://www.bfmtv.com/tech/actualites/reseaux-sociaux/telegram-un-compte-officiel-du-hamas-a-ete-bloque-apres-la-diffusion-d-une-video-montrant-une-otage_AD-202310170904.html">« Ce canal enfreint la législation locale. »</a> Trop tard pour éviter la propagation de scènes inimaginables, parfois accessibles à des mineurs, et pour certaines reprises sur des réseaux comme X. Car l’utilisation de VPN permet encore de contourner ces restrictions, laissant circuler sans entrave les pires images de guerre.</p>
<p>Cette banalisation de la violence interroge. En rendant la propagande accessible au grand public, Telegram transforme le spectateur en témoin, parfois complice, d’atrocités qui étaient jadis reléguées aux marges cachées d’Internet, à ce que l’on appelait le « darknet ». Les groupes armés, eux, ont compris l’impact psychologique de cette exposition massive. La guerre ne se joue plus seulement sur le terrain militaire ; elle s’écrit et se diffuse en direct, dans la poche de chacun. </p>
<p>Telegram, par sa souplesse et par son opacité, est devenue l’arme invisible des conflits contemporains.</p>
<h2>De l’outil de contestation à l’arme de propagande</h2>
<p>Bien avant d’être l’outil favori des groupes armés au Moyen-Orient, Telegram avait déjà marqué l’histoire des contestations. Du Printemps arabe aux manifestations iraniennes <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2025/09/16/iran-trois-ans-apres-la-repression-des-manifestations-limpunite-perdure">« Femme, vie, liberté » de 2022 après la mort de Mahsa Amini</a>, l’application s’est imposée comme un refuge numérique pour les dissidents, pour les journalistes citoyens et pour les organisateurs de mobilisations. Son atout majeur : un chiffrement et une architecture décentralisée qui échappent aux régulations traditionnelles.</p>
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<p>De 2015 à 2019, Telegram se dressait comme un outil central de mobilisation citoyenne en Iran. Néanmoins, en 2018, les autorités iraniennes ont procédé à <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/01/01/iran-le-regime-coupe-telegram-dernier-outil-de-mobilisation_1619868/">l’interdiction de la plateforme</a>, sous prétexte de préserver la sécurité nationale, anéantissant l’un des derniers canaux d’expression et de coordination accessibles à la société civile.</p>
<p>En Biélorussie, puis ailleurs en Europe de l’Est, les manifestants se sont organisés sur l’application, <a href="https://fr.euronews.com/next/2024/08/28/telegram-quels-sont-les-pays-qui-linterdisent-et-pourquoi">tandis que les États tentaient de reprendre la main sur ce canal incontrôlable</a>. L’histoire de Telegram dans les révoltes est celle d’un couteau à double tranchant : un outil de contre-pouvoir, mais aussi une scène où s’exerce la lutte pour le contrôle de l’information.</p>
<p>Lorsque Israël a coupé l’accès à Internet dans la bande de Gaza, le 27 octobre 2023, Telegram est restée la seule fenêtre sur le monde. Les journalistes palestiniens, comme <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/06/14/le-photographe-palestinien-motaz-azaiza-temoin-capital-de-l-enfer-a-gaza_6239710_4500055.html">Motaz Azaiza</a>, y ont diffusé en direct des images de frappes, de victimes et de quartiers dévastés, vues par des millions de personnes en quelques minutes. L’application suppléait ainsi les médias traditionnels, empêtrés dans la vérification des faits et les contraintes d’accès.</p>
<p>Sur ce même réseau circulaient aussi les vidéos officielles des Brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, glorifiant leurs combattants et diffusant des images insoutenables. De leur côté, les chaînes proches de l’armée israélienne diffusaient leurs propres contenus militaires, souvent teintés de propagande. Telegram s’est transformé en un champ de bataille à part entière, où journalisme citoyen, propagande terroriste, communication officielle et rumeurs incontrôlées cohabitaient sur le même écran.</p>
<h2>Une plateforme qui refuse de trancher</h2>
<p>Contrairement à X (ex-Twitter) ou à Facebook, Telegram se distingue par l’absence de modération coercitive. Son cofondateur Pavel Durov revendique une conception radicale de la liberté d’expression, n’hésitant pas à héberger des groupes proscrits ailleurs. Cette latitude a bénéficié à des organisations, telles que Hayat Tahrir Al-Cham, ex-filiale d’Al-Qaida en Syrie, qui exerce désormais un contrôle politique et administratif étendu sur plusieurs régions du pays, où elle s’impose comme l’autorité <em>de facto</em>, tout en continuant à y diffuser sans entrave communiqués, vidéos et matériaux idéologiques.</p>
<p>Dans des zones auxquelles aucun journaliste étranger n’a accès et où les reporters locaux risquent leur vie, ces chaînes deviennent la seule source d’information disponible. Mais ce sont les groupes armés eux-mêmes qui décident de ce qui est montré, et de ce qui est passé sous silence.</p>
<p>L’exemple de la Syrie est frappant. En 2022, lors des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/26/la-syrie-paralysee-par-les-penuries-de-carburants_6155704_3210.html">pénuries de gaz</a>, les chaînes prorégime imputaient la crise aux sanctions occidentales. En parallèle, celles de l’opposition diffusaient des vidéos de files interminables dans les stations-service, accusant l’Iran de sabotage. Aucune des deux versions n’a pu être vérifiée par des médias indépendants, mais toutes deux ont circulé massivement et nourri la colère populaire.</p>
<p>L’étude, publiée en 2024 par Hans W. A. Hanley et Zakir Durumeric lors de l’International Conference on Web and Social Media (<a href="https://aaai.org/conference/icwsm/">ICWSM</a>), intitulée <a href="https://ojs.aaai.org/index.php/ICWSM/article/view/31332"><em>Partial Mobilization : Tracking Multilingual Information Flows amongst Russian Media Outlets and Telegram</em></a> montre l’usage systématique de Telegram par les médias russes pour orienter et modeler l’opinion publique autour de la guerre en Ukraine. Les auteurs développent une approche originale et extensible, capable de suivre les flux narratifs à travers différentes langues et plateformes, appliquée à 215 000 articles et 2,48 millions de messages Telegram. Les chercheurs soulignent une intensification marquée de l’usage de Telegram par les médias russes, qui y puisent régulièrement des thèmes qu’ils réinjectent ensuite dans leurs publications traditionnelles. </p>
<p>Leur méthodologie permet également d’identifier de manière automatisée des chaînes Telegram véhiculant des contenus pro-russes ou anti-ukrainiens, souvent en résonance avec les narrations des médias d’État. Telegram se révèle ainsi un vecteur stratégique clé, central dans la diffusion et la coordination de ces <em>narratives</em> (récits) à grande échelle.</p>
<h2>Telegram, média ou machine d’influence ?</h2>
<p>À cette dimension géopolitique s’ajoute une logique économique. Dans plusieurs pays en crise, comme le Liban, des équipes rédactionnelles de médias exclusivement installés sur Telegram se sont constituées. Certaines chaînes vendent des abonnements premium, d’autres acceptent des dons en cryptomonnaies, et beaucoup diffusent des contenus sponsorisés par des partis politiques. Sans transparence ni vérification, la frontière entre information et propagande devient poreuse.</p>
<p>Le danger n’est pas seulement la désinformation. C’est qu’à défaut d’alternatives, Telegram devienne la seule source d’information dans des environnements fragiles. Là où les civils n’ont pas de médias indépendants, et tandis que les milices et les États disposent de puissants relais, l’équilibre est faussé dès le départ.</p>
<p>Depuis le début de l’invasion russe, en février 2022, la direction générale du renseignement de l’Ukraine (DGRR, souvent désignée par son acronyme anglais HUR) a adopté une posture inédite : utiliser Telegram comme un relais officiel. Selon une étude publiée en août 2025 par le chercheur Peter Schrijver dans la revue scientifique <a href="https://doi.org/10.1080/08850607.2025.2522222"><em>The International Journal of Intelligence and CounterIntelligence</em></a>, il s’agit d’un tournant majeur. Pour la première fois, un service de renseignement d’État conçoit sa communication non plus comme une sensibilisation ponctuelle, mais comme un processus continu d’engagement public.</p>
<h2>Un instrument de renseignement public</h2>
<p>Ce choix illustre ce que les spécialistes appellent la « communication participative du renseignement ». Sur Telegram, la DGRR ne se contente pas de diffuser des informations : elle coordonne le récit national tout en impliquant directement la population dans la défense du pays. Trois axes structurent cette stratégie. D’abord, l’institution met en avant ses opérations réussies, honore ses agents tombés et valorise ses valeurs de service et de sacrifice. La stratégie consiste à projeter l’image d’un renseignement compétent, héroïque et digne de confiance. Les chercheurs parlent d’un véritable « lobby du renseignement », une diplomatie de l’image destinée à rallier les civils autour d’un appareil habituellement secret.</p>
<p>Ensuite, la DGRR diffuse des documents ciblés visant l’adversaire : conversations interceptées, preuves de crimes de guerre, affaires de corruption, et parfois des données personnelles de militaires russes. Ces publications ont une double fonction : tactique, en fragilisant le moral et la crédibilité des troupes ennemies ; symbolique, en renforçant la légitimité morale de l’Ukraine sur la scène internationale.</p>
<p>Enfin, l’agence implique directement les citoyens. Les canaux Telegram incitent à signaler les mouvements ennemis, proposent un « Main Intelligence Bot » pour centraliser les informations et diffusent des conseils pratiques, notamment de cybersécurité pour les habitants des zones occupées. Dans ce modèle, le citoyen cesse d’être simple spectateur : il devient un acteur distribué de la défense nationale.</p>
<p>Telegram, né comme un refuge pour les défenseurs de la vie privée, est aujourd’hui devenu une scène mondiale où se mêlent contestation, propagande et espionnage. Mais derrière l’écran, c’est une autre guerre qui se joue : celle des récits, des images, sans filtre et sans règles. En rendant l’horreur accessible en un clic, l’application brouille les frontières entre information et manipulation. Dans les conflits du début de notre siècle, ce ne sont plus seulement les bombes qui frappent les populations… ce sont aussi les notifications.</p>
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<p><em>À la suite de la publication de cet article, la communication de Telegram nous a demandé de publier ces éléments :</em> </p>
<p>« <em>Des millions de contenus préjudiciables sont supprimés chaque jour dans le cadre de la modération routinière de Telegram. De plus, Telegram n’est pas une plateforme efficace pour la diffusion de fausses informations, car elle n’utilise pas d’algorithmes favorisant la propagation de contenus sensationnalistes, contrairement à d’autres réseaux.</em></p>
<p><em>Telegram a toujours traité toutes les demandes judiciaires contraignantes émanant de l’Union européenne. La seule chose qui a changé depuis la mise en examen de M. Durov est que davantage d’autorités ont commencé à utiliser les canaux légaux appropriés au Digital Services Act. Sans le préciser, l’article donne à tort l’impression que Telegram est à l’origine de cette coopération accrue, alors qu’il s’agit en réalité d’une évolution des pratiques policières.</em></p>
<p><em>Loin d’être difficile à contenir, le canal MaskPark</em> [cité dans l’enquête de CNN mentionnée dans l’article] <em>a été fermé en mars 2025 pour violation des conditions d’utilisation de Telegram, dès qu’il a été découvert.</em></p>
<p><em>Contrairement aux réseaux traditionnels qui peuvent exposer les utilisateurs à des contenus liés à la guerre via des algorithmes, Telegram n’utilise aucun algorithme pour promouvoir des contenus sensationnalistes. Les utilisateurs n’y accèdent que s’ils les recherchent explicitement.</em></p>
<p><em>La modération de Telegram respecte ou dépasse les standards de l’industrie. Dans l’Union européenne, Telegram se conforme pleinement au Digital Services Act.</em></p>
<p><em>Telegram est largement utilisé par les membres de l’opposition russe anti-guerre et constitue la dernière source d’information indépendante et non censurée accessible aux citoyens russes, y compris via le canal du président Zelensky. Telegram est une entreprise politiquement neutre qui offre une plateforme à l’expression pacifique de toutes les parties.</em> »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/267339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Guermeur ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Utilisé dans de nombreux conflits, Telegram sert de canal pour diffuser infos, propagande et images de guerre, souvent de manière brute, sans aucune modération ni contexte.Marie Guermeur, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2656022025-10-25T08:15:11Z2025-10-25T08:15:11ZVente par la Russie d’hydrocarbures à la Chine en yuan : fin du dollar, opportunité pour l’euro ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/696527/original/file-20251015-56-ufiwpw.jpg?ixlib=rb-4.1.0&rect=0%2C3%2C6015%2C4010&q=45&auto=format&w=1050&h=700&fit=crop" /><figcaption><span class="caption">De 80&nbsp;% à 85&nbsp;% du pétrole de l’Union européenne étant encore facturé en dollar états-unien (USD), le paiement du pétrole russe en yuan par la Chine pourrait marquer un tournant monétaire historique.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/petroleum-petrodollar-crude-oil-concept-pump-1066056281">William Potter/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><strong>Le yuan (monnaie chinoise, officiellement appelée renminbi) s’impose dans le commerce du pétrole et du gaz entre la Russie et la Chine. Cette évolution présente des risques pour l’Union européenne, mais aussi une opportunité pour l’euro dans le contexte énergétique.</strong></p>
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<p>Lors du 25ᵉ Sommet de l’<a href="https://theconversation.com/de-tianjin-a-new-york-comment-la-chine-cherche-a-reconfigurer-la-gouvernance-mondiale-266806">Organisation de coopération de Shanghai</a> (OCS) tenu à Tianjin, en septembre 2025, les dirigeants chinois et russes ont ouvertement défendu un commerce de l’énergie en dehors du dollar états-unien. Cette poussée vers la <a href="https://theconversation.com/est-ce-la-fin-de-la-toute-puissance-du-dollar-une-opportunite-geopolitique-pour-lunion-europeenne-257059">dédollarisation</a>, illustrée par l’augmentation des ventes de pétrole et de gaz de la Russie à la Chine en yuan (monnaie chinoise, officiellement renminbi), marque un bouleversement dans le commerce de l’énergie.</p>
<p>Pour l’Union européenne, et plus précisément pour les entreprises de la zone euro, où les <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/SEPDF/cache/65104.pdf">importations de pétrole sont encore très largement facturées en dollars</a>, cette évolution agit comme une arme à double tranchant.</p>
<h2>Le yuan, central dans les accords énergétiques Russie–Chine</h2>
<p>En quelques années, le yuan s’est affirmé comme monnaie de réglage importante dans les échanges énergétiques russo-chinois. En 2022, les entreprises <a href="https://www.gazprom.com/press/news/2022/february/article547478/">Gazprom et China National Petroleum Corporation</a> (CNPC) commencent à réduire leurs paiements en dollar pour certains contrats, en favorisant l’usage du rouble et du yuan. En 2023, le commerce bilatéral a atteint un record de <a href="https://www.mofcom.gov.cn/dl/gbdqzn/upload/eluosi.pdf">240 milliards de dollars (+ 26 %)</a>, avec la moitié du pétrole russe exporté vers la Chine.</p>
<p>En 2024, le commerce bilatéral Chine-Russie atteint <a href="https://tass.com/economy/1898227">244,81 milliards de dollars états-uniens</a>, en hausse de 1,9 % par rapport à 2023, selon les douanes chinoises. Ce chiffre s’explique par la montée des échanges sur la paire CNY/RUB, c’est-à-dire le taux de change entre le yuan chinois et le rouble russe. Autrement dit, de plus en plus d’entreprises russes achètent ou vendent directement des yuans contre des roubles, alors qu’auparavant, elles passaient presque toujours par le USD/RUB, le taux entre dollar des États-Unis et rouble.</p>
<p>Ce glissement reflète un transfert progressif du commerce de l’énergie russe, autrefois dominé par le dollar, vers la monnaie chinoise.</p>
<p>Ce basculement s’est confirmé à Tianjin, où <a href="https://www.reuters.com/world/china/chinas-xi-pushes-new-global-order-flanked-by-leaders-russia-india-2025-09-01/">Xi Jinping, Vladimir Poutine et Narendra Modi</a> ont soutenu l’usage accru des monnaies nationales. Le président de la République populaire de Chine a même proposé la création d’une banque de développement destinée à contourner le dollar et à limiter l’impact des sanctions.</p>
<h2>Plus de 80 % du pétrole de l’UE facturé en dollar</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/de-tianjin-a-new-york-comment-la-chine-cherche-a-reconfigurer-la-gouvernance-mondiale-266806">L’OCS</a> réunit dix membres : la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan, l’Iran, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Bélarus. Ils représentent près de la moitié de la population mondiale et un quart du PIB. Le commerce de la Chine avec ses partenaires a atteint <a href="https://eng.yidaiyilu.gov.cn/p/0L2SA9R2.html">3,65 trillions de yuans</a> (500 milliards de dollars états-uniens) en 2024.</p>
<p>Le commerce de la Chine avec ses partenaires est de plus en plus souvent réglé en yuan, transformant progressivement la monnaie chinoise en instrument international de facturation et d’échange, au-delà de son usage domestique. Le dollar conserve toutefois son statut dominant, représentant <a href="https://www.federalreserve.gov/econres/notes/feds-notes/the-international-role-of-the-u-s-dollar-2025-edition-20250718.html">encore 58 % des réserves mondiales en 2024</a>.</p>
<p>L’Union européenne (UE) reste largement dépendante du dollar pour ses importations d’énergie. <a href="https://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/ire/focus/ecb.irebox201906_03%7E3e5a7878dd.en.pdf">Entre 80 et 85 % du pétrole de l’Union européenne est facturé en dollar états-unien</a> (USD), alors qu’une part infime provient des États-Unis. Ce choix s’explique par le rôle du dollar comme monnaie commune de transaction sur les marchés mondiaux. Il sert d’intermédiaire entre producteurs et acheteurs, quelle que soit leur nationalité. L’UE se rend <em>de facto</em> vulnérable aux variations du dollar et aux décisions de la Réserve fédérale des États-Unis.</p>
<h2>Nouvelle complexité pour les entreprises européennes</h2>
<p>Si le commerce mondial du pétrole et du gaz cessait d’être dominé par le dollar pour se répartir entre plusieurs monnaies comme le yuan ou la roupie, les entreprises européennes, surtout celles de la zone euro, devraient s’adapter à un environnement financier plus complexe.</p>
<p>Aujourd’hui, la plupart d’entre elles achètent leur énergie en dollars. Elles peuvent se protéger contre les variations du taux de change grâce à des « marchés de couverture » très développés. Ces marchés permettent de conclure des contrats financiers à l’avance pour bloquer un taux et éviter des pertes si la valeur du dollar change.</p>
<p>Avec le yuan, la situation serait plus difficile. Les outils financiers permettant de se couvrir sont encore limités, car la Chine contrôle les mouvements de capitaux et restreint la circulation de sa monnaie à l’étranger. Autrement dit, le yuan ne circule pas librement dans le monde. Cela réduit la liquidité, c’est-à-dire la capacité d’une entreprise à acheter ou vendre rapidement des yuans quand elle en a besoin. Moins la monnaie circule, moins il y a d’échanges possibles, et plus les transactions deviennent lentes et coûteuses. Pour les entreprises, cela signifie des paiements plus complexes et des coûts financiers plus élevés.</p>
<p>Des signes concrets montrent que ce scénario commence à se concrétiser. En mars 2023, la China National Offshore Oil Corporation et TotalEnergies ont conclu la première transaction de <a href="https://www.chinadaily.com.cn/a/202303/28/WS6422f68da31057c47ebb70c7.html">gaz naturel liquéfié (GNL) libellée en yuan via une bourse de Shanghai</a>. Quelques mois après, l’entreprise pétrolière publique de la République populaire de Chine a réalisé une <a href="https://www.reuters.com/markets/commodities/chinas-cnooc-french-energy-firm-engie-complete-yuan-settled-lng-trade-2023-10-18/">autre transaction en yuan avec Engie</a>. Ces accords illustrent la montée en puissance du yuan dans les échanges énergétiques et annoncent un nouvel équilibre où les entreprises européennes devront composer avec une plus grande diversité de devises.</p>
<h2>Rôle accru de l’euro dans la facturation énergétique</h2>
<p>L’évolution du commerce mondial de l’énergie ouvre une opportunité stratégique pour l’Union européenne : renforcer le rôle de l’euro dans la tarification du pétrole et du gaz, et réduire sa dépendance vis-à-vis du dollar – ou, demain, du yuan.</p>
<p>L’euro est déjà la deuxième monnaie mondiale, <a href="https://www.federalreserve.gov/econres/notes/feds-notes/the-international-role-of-the-u-s-dollar-2025-edition-20250718.html">représentant 20 % des réserves</a>. Elle sert de référence pour plus de la moitié des exportations européennes. Dans le commerce de l’énergie, son rôle demeure limité. Dès 2018, la <a href="https://commission.europa.eu/publications/recommendation-international-role-euro-field-energy_en">Commission européenne avait d’ailleurs recommandé d’accroître son usage dans la tarification énergétique</a>, afin de consolider la souveraineté économique du continent.</p>
<p>Les progrès les plus visibles concernent le gaz. Selon la <a href="https://www.ecb.europa.eu/press/economic-bulletin/focus/2023/html/ecb.ebbox202301_01%7E6395aa7fc0.en.html">Banque centrale européenne</a>, la réduction des approvisionnements russes a poussé l’Union européenne à s’intégrer davantage aux marchés mondiaux du gaz naturel liquéfié (GNL). Les prix européens sont désormais étroitement liés aux marchés asiatiques, ce qui rend l’UE plus sensible aux variations de la demande mondiale. Cette interdépendance renforce l’intérêt de développer des contrats de gaz libellés en euros.</p>
<p>La même logique pourrait s’appliquer au pétrole. <a href="https://energy.ec.europa.eu/topics/international-cooperation/euro-field-energy_en">l’Union européenne importe plus de 300 milliards d’euros d’énergie chaque année</a>. Elle dispose d’un poids suffisant pour négocier avec ses partenaires commerciaux, notamment les producteurs du Golfe cherchant à diversifier leurs devises.</p>
<h2>Vers une monnaie énergétique européenne ?</h2>
<p>Faire de l’euro une monnaie de référence dans les échanges énergétiques ne se décrète pas, mais cela pourrait devenir un levier essentiel de la politique monétaire et énergétique européenne.</p>
<p>L’euro dispose d’atouts : il est relativement stable, pleinement convertible, et soutenu par la Banque centrale européenne. Si des cargaisons de pétrole ou de gaz étaient facturées en euros, cela pourrait réduire la dépendance au dollar, simplifier la couverture monétaire pour les entreprises européennes et renforcer l’indépendance financière de l’Union.</p>
<p>Ce virage monétaire implique des défis concrets. Le marché de l’énergie en euros reste peu développé, et certains pays ou entreprises pourraient craindre des sanctions états-uniennes s’ils s’éloignent du dollar. Surmonter ces freins nécessite de renforcer les marchés de capitaux européens, de créer des produits de couverture expressément en euros pour l’énergie, et d’assurer une politique économique stable à l’échelle de la zone euro.</p>
<p>Cette démarche ne vise pas à remplacer le yuan, mais à établir une alternative équilibrée, où l’euro pèse dans la facturation, dans les réserves stratégiques et dans le paysage monétaire mondial.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/265602/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Suwan Long ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le yuan, ou renminbi, s’impose dans le commerce énergétique Russie–Chine, créant des risques pour l’Union européenne, mais aussi une opportunité pour l’euro.Suwan Long, Assistant Professor, LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2668102025-10-23T14:18:16Z2025-10-23T14:18:16ZLa fin du libre-échange et le retour du protectionnisme économique aux États-Unis<p><strong>Les récentes politiques douanières des États-Unis signalent un changement de paradigme. Washington adopte un protectionnisme assumé, centré sur la relocalisation de la production et sur la promotion du « Made in America ». Ce tournant redéfinit les règles du jeu et contribue à une reconfiguration en profondeur de la mondialisation et des flux commerciaux internationaux.</strong></p>
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<p>Une lecture rapide de la mondialisation permet de retracer les étapes essentielles qui ont abouti à la situation actuelle et de mettre en lumière l’effacement de l’idéologie libérale au profit de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/08/27/donald-trump-renforce-l-intervention-de-l-etat-americain-dans-les-entreprises_6636441_3234.html">l’interventionnisme stratégique aux États-Unis</a>.</p>
<p><a href="https://www.telos-eu.com/fr/economie/vers-un-nouveau-cycle-de-mondialisation.html#_ftn1">La période 1990-2019 représente une phase d’hypermondialisation</a> caractérisée par la diffusion d’une idéologie néolibérale centrée sur les entreprises et les marchés, et sur l’adoption de politiques commerciales se conformant aux <a href="https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact2_f.htm">règles globales des flux commerciaux et d’investissements édictées par l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC).</p>
<p>Le système d’échanges international, construit autour de <a href="https://ses.ens-lyon.fr/articles/la-mondialisation-des-chaines-de-valeur">chaînes de valeur mondialisées</a>, traduit l’influence unilatérale des États-Unis, unique hyperpuissance dans les années 1990, 2000 et 2010. Le résultat est un jeu à somme positive qui conduit à une <a href="https://www.foreignaffairs.com/china/requiem-hyperglobalization">convergence des taux de croissance entre le Nord et le Sud, entre 2003 et 2019</a>.</p>
<p>Les inégalités s’accroissent à la fin de la période et la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/zoom-zoom-zen/zoom-zoom-zen-du-jeudi-24-novembre-2022-1614142">démondialisation</a>, certes relative, s’amplifie. Pour deux raisons.</p>
<p>D’une part, en raison de la crise financière, les <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2022/12/06/debt-service-payments-put-biggest-squeeze-on-poor-countries-since-2000">pays pauvres très endettés</a> ne peuvent exploiter leurs avantages comparatifs au sein de chaînes de valeur raccourcies et régionalisées. C’est le cas du Bangladesh et du Cambodge dans le textile-habillement et dans l’ameublement. Les pays bénéficiaires sont la Turquie, la Roumanie et la Bulgarie.</p>
<p>D’autre part, les considérations géopolitiques l’emportent sur les motifs strictement économiques, ce qui accroît fortement la contrainte de risque dans les choix des localisations et conduit à une fragmentation progressive de l’espace mondial (certains segments de chaînes de valeur dans l’aéronautique et les technologies numériques installées en Chine ont été transférés au Vietnam).</p>
<h2>Du libre-échange à la quête de puissance</h2>
<p>Pour les États-Unis, le risque global de décrochage économique et technologique par rapport à la Chine accentue le poids de l’impératif de sécurité : il s’agit de sécuriser certains approvisionnements (terres rares ou batteries) et de développer les technologies critiques couvrant des besoins économiques et de sécurité nationale. Il apparaît que les interactions internationales ont accru le déficit commercial et l’endettement financier.</p>
<p>Les rapports de force s’introduisent en deux temps. Les États-Unis réagissent d’abord lorsqu’ils admettent que les <a href="https://www.ifri.org/fr/editoriaux/la-chine-premiere-puissance-economique-mondiale-vraiment">gains de puissance politique, économique et technologique de la Chine</a> diminuent la puissance relative des États-Unis, et reconnaissent que la puissance mondiale est un jeu à somme nulle.</p>
<p>Le nouveau paradigme repose sur l’idée que les politiques industrielles ne s’opposent pas aux marchés, mais permettent de renforcer des positions d’ancrage significatives sur des marchés ayant une importance économique et géopolitique stratégique. Dès lors, des formes de protectionnisme se développent. D’où les deux lois votées en 2022, sous Joe Biden : le <a href="https://www.congress.gov/bill/117th-congress/house-bill/4346">CHIPS and Science Act</a> (semiconducteurs) et <a href="https://www.congress.gov/bill/117th-congress/house-bill/5376">l’Inflation Reduction Act</a> (transition énergétique).</p>
<p>À l’opposé, Donald Trump considère que la décarbonation de l’industrie ne permet pas la réindustrialisation des États-Unis. C’est pourquoi il a mis fin le 7 juillet au <a href="https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/donald-trump-declare-la-guerre-aux-energies-renouvelables-2187083">plan de subventions et d’exonérations fiscales en faveur de la transition énergétique</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eJbQ3SZfwms?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les rapports de puissance s’expriment par les droits de douane censés réaliser des objectifs économiques et de sécurité nationale. L’idée est que plus les droits de douane sont élevés, plus les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/08/01/reindustrialiser-les-etats-unis-le-pari-incertain-de-donald-trump_6625858_3234.html">entreprises étrangères sont incitées à investir aux États-Unis pour ne pas avoir à les payer</a>.</p>
<p>Or, les entreprises étrangères peuvent être désincitées par le <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/08/01/reindustrialiser-les-etats-unis-le-pari-incertain-de-donald-trump_6625858_3234.html">coût de la main-d’œuvre aux États-Unis</a> (seize fois plus élevé qu’au Vietnam et onze fois plus important qu’au Mexique), mais plus encore par la difficulté de s’approvisionner en biens intermédiaires stratégiques, ce que les accords de libre-échange facilitaient.</p>
<p>Les nouveaux droits de douane sont la base d’une politique « réciproque » visant à équilibrer le commerce entre les États-Unis et leurs partenaires commerciaux, notamment les pays en développement.</p>
<p>Dans les faits, la recherche de l’équité via « la politique réciproque » dans les relations commerciales aboutit à de fortes asymétries. Par exemple, en ce qui concerne le Vietnam, les <a href="https://asialyst.com/fr/2025/07/04/guerre-commerciale-vietnam-limite-degats-etats-unis/">exportateurs américains vendront à droit zéro sur le marché vietnamien tandis que les exportateurs vietnamiens acquitteront une taxe de 20 %</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, la mondialisation transactionnelle articulée autour de négociations et de sanctions, <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/droits-de-douane-de-trump-poussent-linde-bras-de-chine/00116498">comme dans le cas de l’Inde</a>, s’accompagne de mesures protectionnistes dont les plus notables sont le contrôle des importations menaçant la sécurité nationale, les restrictions sur les investissements entrants et sortants et la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/08/22/donald-trump-affirme-qu-intel-a-accepte-de-ceder-10-de-ses-actions-a-l-etat-americain_6633553_3234.html">prise de participation de 10 % de l’État américain au capital d’Intel</a>, ce qui interroge sur l’éclosion d’un capitalisme d’État.</p>
<h2>La fin de l’orthodoxie libérale</h2>
<p>En janvier 2025, le Bureau of Industry and Security (<em>agence du département du commerce, ndlr</em>) a imposé des restrictions formelles à l’exportation de nouveaux équipements de calcul avancé (la Taïwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) est dorénavant contrainte d’obtenir une licence pour tout envoi de produits), ce à quoi s’ajoute le contrôle de volumes importants de données nécessaires à l’entraînement des modèles d’intelligence artificielle (IA).</p>
<p>L’objectif est d’instrumentaliser les interconnexions économiques (flux de produits, de connaissances brevetées, de données, transferts financiers) à des fins de blocage et de coercition. L’orthodoxie libérale est congédiée au profit de l’avantage stratégique dans le but d’atteindre un leadership incontestable sur la scène mondiale.</p>
<p>À supposer que l’UE reste une zone de libre-échange capable d’irradier et de construire avec d’autres pays des règles et de l’équité, la mondialisation s’organiserait autour de deux découpages superposés : celui du libre-échange concernant les produits de faible et moyenne gamme et celui des biens stratégiques dont le périmètre est réduit, selon la formule « <em>Small yard, high fence</em> », en raison des barrières à l’entrée infranchissables, à la fois, géopolitiques et industrielles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/266810/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les États-Unis renforcent leur politique douanière, en misant sur le protectionnisme et sur la production locale, et redéfinissent les règles du commerce mondial.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2673372025-10-23T14:17:52Z2025-10-23T14:17:52ZDevenue une religion mondiale, l’Église mormone va devoir s’adapter<p><strong>Le 14 octobre 2025, Dallin H. Oaks a pris la tête de l’« Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours », aussi connue sous le nom d’Église mormone, un mouvement mondial en pleine expansion qui revendique plus de 17 millions de membres en 2024. L’anthropologue Brittany Romanello a étudié plusieurs communautés de femmes mormones à travers les États-Unis et revient sur leurs caractéristiques ainsi que sur les enjeux qui attendent la nouvelle direction de l’Église.</strong></p>
<hr>
<p>L’« Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours » (Église SDJ) a connu ces dernières semaines un moment de deuil et de transition. Le 28 septembre 2025, une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/09/28/etats-unis-au-moins-un-mort-et-neuf-blesses-apres-une-attaque-dans-une-eglise-mormone_6643300_3210.html">fusillade et un incendie criminels</a> ont fait quatre morts et huit blessés lors d’un rassemblement dans une église mormone du Michigan. La veille, le président de l’Église Russell M. Nelson était mort à l’âge de 101 ans. <a href="https://www.europeantimes.news/fr/2025/10/Dallin-H.-Oaks-nomm%C3%A9-18e-pr%C3%A9sident-des-Saints-des-Derniers-Jours/">Dallin H. Oaks</a>, le plus ancien des hauts dirigeants de l’Église, a été nommé comme nouveau président le 14 octobre.</p>
<p>Le nouveau président des Saints des Derniers Jours hérite de la direction d’une institution religieuse à la fois profondément américaine et de plus en plus globale. La diversité de ce mouvement entre en tension avec la manière dont il est traditionnellement représenté dans les médias, de la téléréalité <a href="https://www.lepoint.fr/societe/mormones-influenceuses-et-scandales-la-serie-qui-fait-exploser-les-cliches-17-07-2025-2594581_23.php"><em>la Vie secrète des épouses mormones</em></a> à la comédie musicale de Broadway <a href="https://www.partir-a-new-york.com/comedie-musicale-broadway-new-york/the-book-of-mormon"><em>le Livre de mormons</em></a>.</p>
<p>En tant <a href="https://scholar.google.com/citations?hl=en&user=M3owt_AAAAAJ&view_op=list_works&sortby=pubdate">qu’anthropologue culturel et ethnographe</a>, je mène des recherches sur les communautés des saints des derniers jours à travers les États-Unis, en particulier sur les <a href="https://www.proquest.com/docview/2813777758?pq-origsite=gscholar&fromopenview=true&sourcetype=Dissertations%20&%20Theses">immigrantes latino-américaines</a> et les <a href="https://doi.org/10.1177/00027642241285018">jeunes adultes</a>. Lorsque je présente mes recherches, je remarque que beaucoup de gens associent encore étroitement l’Église à l’Utah, où se trouve son siège social.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/695258/original/file-20251008-66-w75u8c.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un bâtiment blanc orné d’une haute flèche, avec des montagnes verdoyantes en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/695258/original/file-20251008-66-w75u8c.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/695258/original/file-20251008-66-w75u8c.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/695258/original/file-20251008-66-w75u8c.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/695258/original/file-20251008-66-w75u8c.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/695258/original/file-20251008-66-w75u8c.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/695258/original/file-20251008-66-w75u8c.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/695258/original/file-20251008-66-w75u8c.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le temple des Saints des derniers jours à Cochabamba, en Bolivie, a été inauguré en 2000.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Templo_de_Cochabamba,_Bolivia.jpg">Parallelepiped09/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>L’Église a joué un rôle central dans l’histoire et la culture de l’Utah. Aujourd’hui, cependant, seuls <a href="https://doi.org/10.1163/2589742x-bja10019">42 % de ses habitants en sont membres</a>. Le stéréotype selon lequel les saints des derniers jours sont principalement des Américains blancs et conservateurs est l’une des nombreuses <a href="https://theconversation.com/the-michigan-church-shooting-sits-within-a-long-history-of-hatred-against-mormons-in-america-266481">idées fausses tenaces</a> concernant les communautés et les croyances mormones.</p>
<p>Beaucoup de gens sont surpris d’apprendre qu’il existe des congrégations dynamiques loin du <a href="https://www.worldatlas.com/articles/where-is-the-mormon-corridor.html">« corridor mormon »</a> de l’Ouest américain. On trouve des saints des derniers jours fervents partout, du <a href="https://news-africa.churchofjesuschrist.org/article/from-freeze-to-fire">Ghana</a> et des <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20221212-uae-mormons-to-have-first-temple-in-the-middle-east/">Émirats arabes unis</a> à la <a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/02/26/russian-mormons-search-for-identity-and-acceptance-in-an-american-church-a64574">Russie</a>, en passant par la <a href="https://www.sltrib.com/religion/2025/07/04/lds-branches-shut-down-beijing/">Chine continentale</a>.</p>
<h2>Croissance globale</h2>
<p>Joseph Smith a fondé l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours dans le nord de l’État de New York en 1830 et a immédiatement <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/study/history/topics/early-missionaries">envoyé des missionnaires</a> prêcher le long de la frontière. Les premiers missionnaires outre-mer se sont rendus en Angleterre en 1837.</p>
<p>Peu après la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants religieux ont <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/study/manual/church-history-in-the-fulness-of-times/chapter-forty-two">revu leur approche missionnaire</a> afin d’augmenter le nombre de missions internationales. Cette stratégie a conduit à une <a href="https://doi.org/10.1007/978-3-030-52616-0_4">croissance à travers le monde</a>, en particulier en <a href="https://digitalcommons.usu.edu/etd/8900/">Amérique centrale</a>, en <a href="https://doi.org/10.5406/dialjmormthou.46.3.0045">Amérique du Sud</a> et dans les <a href="https://www.proquest.com/docview/2724233515?pq-origsite=gscholar&fromopenview=true&sourcetype=Dissertations%20&%20Theses">îles du Pacifique</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, l’Église compte plus de <a href="https://news-africa.churchofjesuschrist.org/facts-and-statistics">17,5 millions de membres</a>, selon ses registres. La majorité d’entre eux <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/learn/facts-statistics">vivent en dehors des États-Unis</a>, répartis dans <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/study/ensign/2005/01/news-of-the-church/church-growing-in-more-than-160-countries">plus de 160 pays</a>.</p>
<p>L’Église et les chercheurs suivent cette croissance mondiale, notamment <a href="https://www.thechurchnews.com/members/2024/06/08/charts-growth-church-jesus-christ-latter-day-saints-1830-2023-member-temples-wards-stakes/">grâce à la construction de nouveaux temples</a>. Ces bâtiments, qui ne sont pas utilisés pour le culte hebdomadaire mais pour des <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/comeuntochrist/article/temples">cérémonies spéciales</a> telles que les mariages, étaient autrefois presque exclusivement situés aux États-Unis. Aujourd’hui, ils existent <a href="https://churchofjesuschristtemples.org/statistics/locations/">dans des dizaines de pays</a>, de l’Argentine aux Tonga.</p>
<p>Au cours de sa présidence, qui a débuté en 2018, Nelson a annoncé la construction de <a href="https://www.thechurchnews.com/temples/2025/04/10/by-the-numbers-look-200-temples-announced-president-nelson-7-years/">200 nouveaux temples</a>, soit plus que n’importe lequel de ses prédécesseurs. Les temples sont une représentation physique et symbolique de l’engagement de l’Église à être une religion mondiale, même si des tensions culturelles persistent.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/695261/original/file-20251008-56-u08l9p.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Deux hommes en costume passent devant une grande carte du monde encadrée accrochée au mur d’un couloir" src="https://images.theconversation.com/files/695261/original/file-20251008-56-u08l9p.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/695261/original/file-20251008-56-u08l9p.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/695261/original/file-20251008-56-u08l9p.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/695261/original/file-20251008-56-u08l9p.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=384&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/695261/original/file-20251008-56-u08l9p.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/695261/original/file-20251008-56-u08l9p.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/695261/original/file-20251008-56-u08l9p.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=482&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Deux missionnaires de l’« Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours » traversent le centre de formation missionnaire de Provo, dans l’Utah, en 2008.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/MormonMissionariesRussia/4c503b54dcea4b1ab7eb3f44f2ec5da8/photo?vs=false">AP Photo/George Frey</a></span>
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<p>Parmi les membres américains, la démographie évolue également. 72 % des membres américains sont blancs, contre 85 % en 2007, <a href="https://www.pewresearch.org/religious-landscape-study/religious-tradition/latter-day-saint-mormon/">selon le Pew Research Center</a>. <a href="https://www.nbcnews.com/news/latino/future-mormon-church-it-s-latino-n570621">Un nombre croissant de Latinos-Américains</a> – 12 % des membres américains – ont joué un rôle important dans le maintien des congrégations à travers le pays.</p>
<p>Il existe des congrégations dans tous les États américains, y compris dans la petite communauté de Grand Blanc, dans le Michigan, <a href="https://www.freep.com/story/news/local/michigan/2025/10/03/michigan-church-shooting-victims-grand-blanc-township-lds/86498026007/">lieu de la tragique fusillade</a>. Le suspect <a href="https://www.cnn.com/2025/09/28/us/thomas-sanford-michigan-shooting-suspect">Thomas Jacob Sanford</a>, qui a été abattu par la police, s’était récemment lancé dans une <a href="https://www.detroitnews.com/story/news/local/michigan/2025/09/29/alleged-grand-blanc-attacker-thomas-sanford-said-mormons-were-the-antichrist-burton-man-kris-johns/86424379007/?gnt-cfr=1&gca-cat=p&gca-uir=false&gca-epti=z115144p115550c115550u002844e001300v115144&gca-ft=35&gca-ds=sophi">tirade contre les saints des derniers jours</a> lors d’une conversation avec un candidat politique local. Dans les jours qui ont suivi, un membre américain de l’église a récolté des <a href="https://www.cbsnews.com/detroit/news/michigan-latter-day-saints-church-congregant-fundraiser-mass-shooter/">centaines de milliers de dollars</a> pour la famille de l’assaillant.</p>
<h2>Douleurs en hausse</h2>
<p>Malgré la diversité de l’Église, ses fondements institutionnels restent <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2021/01/the-most-american-religion/617263/">solidement ancrés</a> aux États-Unis. Les instances dirigeantes sont encore composées presque exclusivement <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/learn/quorum-of-the-twelve-apostles">d’hommes blancs</a>, dont la plupart sont nés aux États-Unis.</p>
<p>À mesure que l’Église continue de croître, des <a href="https://doi.org/10.5325/jworlchri.13.1.0026">questions se posent</a> quant à l’adéquation des normes d’une Église basée dans l’Utah avec les réalités des membres à Manille, Mexico, Bangalore ou Berlin. Quelle place reste-t-il, même dans les congrégations américaines, pour les expressions culturelles locales de la foi ?**</p>
<p><a href="https://www.proquest.com/docview/2813777758?pq-origsite=gscholar&fromopenview=true&sourcetype=Dissertations%20&%20Theses">Les mormons latino-américains</a> et les membres d’Amérique latine, par exemple, ont dû faire face à une opposition à l’égard de traditions culturelles considérées comme « non mormones », telles que la construction d’autels et les offrandes lors du <a href="https://www.pbs.org/newshour/arts/what-is-dia-de-los-muertos-an-expert-explains-the-holiday-celebrating-loved-ones-who-have-died">Dia de los Muertos</a>. En 2021, l’Église SDJ a lancé une <a href="https://www.veniracristo.org/dia-de-los-muertos-2021">campagne en espagnol</a> utilisant des images du Jour des morts afin de susciter l’intérêt des Latino-Américains. De nombreux membres se sont réjouis de cette représentation. Pourtant, certaines femmes avec lesquelles j’ai discuté ont déclaré que l’accent mis sur la blancheur et le nationalisme américain, ainsi que la <a href="https://scholarlypublishingcollective.org/uip/jmh/article-abstract/50/3/121/388041/Latina-Mormons-Remember-SB1070-and-Other-Anti">rhétorique anti-immigrés</a> qu’elles avaient entendue de la part d’autres membres, les dissuadait de célébrer pleinement leur culture.</p>
<p>Même les détails esthétiques, comme les styles musicaux, reflètent souvent un modèle typiquement américain. Le recueil de cantiques standardisé, par exemple, <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/media/music/collections/hymns">contient des chants patriotiques</a> comme « America the Beautiful ». Cette importance accordée à la culture américaine peut sembler particulièrement déplacée dans les pays où le <a href="https://newsroom.churchofjesuschrist.org/article/30-countries-with-the-most-latter-day-saints">taux d’adhésion est élevé</a> et qui ont connu des <a href="https://sites.evergreen.edu/zoltan/wp-content/uploads/sites/358/2024/04/InterventionsList2024.pdf">conflits avec l’armée américaine</a> ou <a href="https://www.brasildefato.com.br/2024/04/01/understand-the-us-participation-in-the-military-coup-of-1964-in-brazil-and-what-may-still-be-revealed/">politique</a>.</p>
<p>Les attentes en matière d’habillement et d’apparence physique ont également soulevé des questions sur la représentation, l’appartenance et l’autorité. Ce n’est qu’en 2024, par exemple, que l’Église a proposé à ses membres vivant dans des régions humides des <a href="https://www.npr.org/2025/08/15/nx-s1-5484938/mormon-women-can-wear-new-sacred-undergarments-some-wonder-why-now">versions sans manches</a> des vêtements sacrés que les mormons portent sous leurs vêtements pour rappeler leur foi.</p>
<p>Historiquement, l’Église <a href="https://faq.churchofjesuschrist.org/can-mormons-have-tattoos">considérait les tatouages comme tabous</a> – une <a href="https://www.churchofjesuschrist.org/study/general-conference/2000/10/great-shall-be-the-peace-of-thy-children">violation du caractère sacré du corps</a>. De nombreuses régions du monde ont des <a href="https://www.nationalgeographic.com/culture/article/in-polynesia-tattoos-are-more-than-skin-deep">traditions sacrées de tatouage</a> vieilles de plusieurs milliers d’années, notamment l’Océanie, qui compte un <a href="https://www.sltrib.com/news/2017/06/02/the-most-mormon-country-in-the-world-its-tonga/">taux élevé d’adhérents à l’Église</a>.</p>
<h2>Changement à venir ?</h2>
<p>Parmi les nombreux défis qui l’attendent, le prochain président de l’Église SDJ devra trouver comment diriger une Église mondiale depuis son siège américain, une Église qui continue d’être mal comprise et victime de stéréotypes, parfois au point d’en arriver à des actes de violence.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/695259/original/file-20251008-56-a20xdg.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un bâtiment blanc au loin au centre, avec des palmiers et un bassin réfléchissant rempli d’une eau limpide au premier plan" src="https://images.theconversation.com/files/695259/original/file-20251008-56-a20xdg.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/695259/original/file-20251008-56-a20xdg.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/695259/original/file-20251008-56-a20xdg.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/695259/original/file-20251008-56-a20xdg.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/695259/original/file-20251008-56-a20xdg.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/695259/original/file-20251008-56-a20xdg.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/695259/original/file-20251008-56-a20xdg.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le temple de Laie, à Hawaï, a ouvert ses portes au début des années 1900, ce qui en fait l’un des plus anciens de l’Église SDJ.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Laie_temple.JPG">Kaveh/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Le nombre de mormons continue d’augmenter dans de nombreuses régions du monde, mais cette croissance s’accompagne d’un besoin accru de prise en compte des différentes sensibilités culturelles. L’Église, qui a toujours été très uniforme dans ses <a href="https://www.proquest.com/docview/746479054?pq-origsite=gscholar&fromopenview=true&sourcetype=Dissertations%20&%20Theses">efforts de standardisation</a> de l’histoire, de l’art et des enseignements des mormons, a de plus en plus de mal à maintenir cette uniformité lorsque les congrégations s’étendent sur des dizaines de pays, de langues, de coutumes et d’histoires.</p>
<p>Organiser l’Église SDJ comme une entreprise, avec un processus décisionnel descendant, peut également rendre difficile le traitement des <a href="https://www.kuow.org/stories/mormons-grapple-with-church-s-history-of-discrimination-amid-wider-racial-reckoning">histoires raciales douloureuses</a> et des besoins des groupes marginalisés, <a href="https://www.nbcnews.com/nbc-out/out-news/mormon-transgender-restrictions-lds-church-rcna167582">tels que les membres LGBTQ+</a>.</p>
<p>La transition au niveau de la direction offre une occasion non seulement à l’Église, mais aussi au grand public, de mieux comprendre les multiples facettes ainsi que la dimension mondiale de la vie des « saints des derniers jours » aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/267337/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brittany Romanello ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’« Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours », aussi connue sous le nom d’Église mormone, a vu sa communauté croître et atteindre 17,5 millions de fidèles à travers le monde en 2024. Une croissance accompagnée de tensions…Brittany Romanello, Assistant Professor of Sociology, University of ArkansasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2673452025-10-22T15:54:26Z2025-10-22T15:54:26ZL’économie et l’innovation, « talon d’Achille » de l’Union européenne ?<p><strong>La réussite économique de l’Union européenne a longtemps été le moteur de son influence mondiale. Aujourd’hui, les limites de sa compétitivité apparaissent et, avec elles, la fragilité de son modèle face aux nouvelles rivalités de puissance.</strong></p>
<hr>
<p>Non seulement en théorie, mais aussi en pratique, le commerce mondial demeure un moteur essentiel de la croissance et de la réduction de la pauvreté. Aucun pays n’a jamais atteint une prospérité durable sans ouverture au commerce et à l’investissement. <a href="https://share.google/XejUXY4MMRPd4b8iN">Après l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt) de 1947</a>, les échanges commerciaux mondiaux <a href="https://www.wto.org/english/res_e/statis_e/trade_evolution_e/evolution_trade_wto_e.htm">ont été multipliés par 43 fois depuis 1950</a>, et leur valeur a été multipliée par 382 depuis cette date.</p>
<p>Aujourd’hui, parmi les grands blocs, l’Union européenne occupe une place centrale. Elle pèse 14 % du commerce international et constitue la troisième puissance économique mondiale. Les États-Unis dominent l’accord États-Unis–Mexique–Canada (<a href="https://www.eurofiscalis.com/lexiques/aeumc/">AEUMC</a>) tandis que les pays asiatiques renforcent leurs liens à travers le Partenariat économique régional global (<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/rcep-la-chine-au-centre-du-jeu-asiatique-6422346">RCEP</a>) et <a href="https://www.international.gc.ca/trade-commerce/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/cptpp-ptpgp/index.aspx">l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste</a> (CPTPP). L’UE demeure donc un pilier de stabilité, d’influence réglementaire et de croissance durable dans un monde commercial de plus en plus multipolaire. Cependant, cette position dominante dissimule des fragilités structurelles de plus en plus préoccupantes.</p>
<h2>Quand l’Est avance, l’Ouest s’essouffle</h2>
<p>Entre 2011 et 2024, le PIB de l’UE est passé d’environ 13 000 à près de 18 000 milliards d’euros. Après une forte contraction en 2020, liée à la pandémie de Covid-19, l’économie européenne a rapidement rebondi, retrouvant et dépassant son niveau d’avant-crise dès 2021. Toutefois, la croissance ralentit depuis, en particulier en Europe occidentale, tandis que les modestes progrès de l’UE proviennent surtout du rattrapage effectué par les pays d’Europe de l’Est.</p>
<p><a href="https://www.statista.com/statistics/1102546/coronavirus-european-gdp-growth/">En 2026, la croissance moyenne du PIB dans l’UE devrait atteindre 1,5 %</a>, mais les pays d’Europe de l’Est affichent des performances nettement supérieures. La Lituanie (3,1 %), la Pologne (3,0 %), la Croatie (2,9 %), la Hongrie (2,5 %), la Slovénie (2,4 %) et la Roumanie (2,2 %) figurent parmi les plus dynamiques, soutenant la croissance globale de l’UE. À l’inverse, les grandes économies d’Europe occidentale comme la France (1,3 %), l’Allemagne (1,1 %), la Belgique (0,9 %) et l’Italie (0,9 %) restent en bas du classement, confirmant le contraste persistant entre l’Est en expansion et l’Ouest en stagnation.</p>
<p>La croissance demeure globalement faible, reflétant des défis structurels tels que la faiblesse de la productivité, le retard en matière d’innovation et la perte de compétitivité face aux autres grandes économies mondiales. L’Europe peine toujours à faire émerger des géants technologiques à l’échelle mondiale.</p>
<p><a href="https://arxiv.org/abs/2505.11989">Les études montrent que l’innovation</a> et, plus particulièrement aujourd’hui, l’intelligence artificielle stimule significativement la croissance du PIB en améliorant la productivité et en favorisant la création de nouveaux secteurs économiques.</p>
<p>En 2024, le <a href="https://www.statista.com/statistics/1102558/most-innovative-countries-gii-score/">classement mondial de l’innovation montre une nette avance des pays non membres de l’UE</a>. La Suisse (67,5), les États-Unis (62,4) et Singapour (61,2) dominent le classement en termes d’Indice mondial de l’innovation (Global Innovation Index, établi par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), devant le Royaume-Uni (61,0) et la Corée du Sud (60,9). Côté européen, la Suède (64,5) reste la première de l’Union, suivie par la Finlande (59,4), les Pays-Bas (58,8) et l’Allemagne (58,1), qui conservent de bonnes performances en matière de recherche et d’innovation. Toutefois, aucun pays de l’UE ne figure parmi les tout premiers mondiaux, ce qui vient confirrmer le retard de l’Europe dans la transformation technologique face aux leaders mondiaux de l’innovation.</p>
<p>L’innovation constitue le fondement de la croissance du PIB à long terme, mais seulement si les économies parviennent à transformer le savoir en valeur commercialisable. Les pays qui associent des systèmes de recherche performants à des environnements économiques agiles (comme la Suisse ou les États-Unis) obtiennent à la fois de hauts niveaux d’innovation et une croissance du PIB soutenue – tandis que ceux qui innovent sans réussir à industrialiser ou commercialiser à grande échelle ces innovations risquent la stagnation malgré leur excellence scientifique.</p>
<h2>Un budget européen largement insuffisant face aux besoins d’investissement</h2>
<p>Certains pays membres de l’UE ont enfreint le Pacte de stabilité et de croissance, affichant des déficits et des dettes publiques élevés, ce qui fragilise la capacité de l’Europe à financer ses nouvelles priorités. La Grèce (158,2 % du PIB), l’Italie (136,3 %) et la France (113,8 %) présentent les niveaux d’endettement les plus élevés, tandis que l’Allemagne (62,4 %), la Pologne (53,5 %) et les Pays-Bas (42,2 %) restent plus modérés, confirmant ainsi un net clivage nord-sud en matière de discipline budgétaire.</p>
<p>Le budget européen, limité malgré l’élargissement de ses compétences et de ses membres, freine toute action véritablement efficace. Les gouvernements nationaux demeurant les principaux contributeurs, la solidarité européenne et les investissements à long terme dans des domaines stratégiques tels que la recherche, l’énergie et la défense s’en trouvent restreints.</p>
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<p>À titre d’illustration, le <a href="https://next-generation-eu.europa.eu/index_fr">programme NextGenerationEU</a> (2020–2027) consacre la majeure partie de ses financements au <a href="https://commission.europa.eu/business-economy-euro/economic-recovery/recovery-and-resilience-facility_fr">Mécanisme pour la reprise et la résilience</a>, avec 385,8 milliards d’euros de prêts et 338 milliards d’euros de subventions, ce qui en a fait le principal levier de l’Union pour soutenir la reprise post-pandémique et les réformes structurelles. Les autres programmes reçoivent des montants bien moindres : <a href="https://commission.europa.eu/funding-tenders/find-funding/eu-funding-programmes/react-eu_en">React-EU</a> (50,6 milliards d’euros) soutient la reprise régionale, le <a href="https://fse.gouv.fr/quest-ce-que-le-fonds-de-transition-juste">Fonds pour une transition juste</a> (10,9 milliards d’euros) accompagne la sortie des énergies fossiles, tandis que le <a href="https://www.europe-en-france.gouv.fr/fr/fonds-europeens-2021-2027/fonds-europeen-agricole-pour-le-developpement-rural-FEADER">Fonds de développement rural</a> (8,1 milliards d’euros), <a href="https://www.eib.org/fr/products/mandates-partnerships/investeu/index">InvestEU</a> (6,1 milliards d’euros) et <a href="https://www.horizon-europe.gouv.fr/">Horizon Europe</a> (5,4 milliards d’euros) favorisent l’innovation, l’investissement et la durabilité. Enfin, <a href="https://ec.europa.eu/stories/resceu/index_fr.html">RescEU</a> (2 milliards d’euros) renforce la capacité européenne de réponse aux crises.</p>
<p>On le voit : bien que la priorité de l’UE demeure la relance économique, les moyens réellement consacrés à l’innovation et à la transformation structurelle restent limités. Certes, des programmes tels qu’Horizon Europe, InvestEU ou certains volets du mécanisme pour la reprise et la résilience soutiennent la recherche, la digitalisation et les technologies vertes – des leviers essentiels de compétitivité –, mais les montants alloués demeurent très en deçà des besoins.</p>
<p>Cette faiblesse budgétaire se confirme avec la proposition de la Commission européenne d’augmenter le budget de l’UE pour 2028-2034 de 1,1 % à seulement 1,26 % du revenu national brut, une <a href="https://www.bruegel.org/first-glance/eu-budget-proposal-right-priorities-too-little-ambition">progression jugée insuffisante</a> au regard du déficit d’investissement estimé entre 4 et 5 % du PIB <a href="https://commission.europa.eu/topics/eu-competitiveness/draghi-report_en">par le rapport Draghi (2024)</a>. L’augmentation proposée, de 0,15 %, apparaît d’autant plus dérisoire que la majorité des fonds sera absorbée par le remboursement de la dette post-pandémie, laissant peu de marge pour renforcer les capacités d’innovation et de compétitivité de l’Europe.</p>
<h2>Les déséquilibres économiques et démographiques de l’UE</h2>
<p>Les vulnérabilités économiques de l’UE découlent de l’élargissement des inégalités, du ralentissement de la convergence entre États membres et de <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf-articles/actu/consolide-A-1-.pdf">déséquilibres structurels</a> persistants. Les transformations technologiques rapides et l’automatisation accentuent l’incertitude autour de la productivité et de l’emploi, tandis que le <a href="https://chatgpt.com/c/68e8ff56-9e3c-832a-901b-186e490731ce">vieillissement démographique</a> met sous pression les systèmes de retraite et les finances publiques.</p>
<p>La dépendance de l’UE à l’égard des technologies, des infrastructures de paiement et des sources d’énergie étrangères accroît sa vulnérabilité face aux chocs extérieurs et fragilise sa souveraineté économique. Ces facteurs combinés révèlent une architecture économique assez friable, nécessitant une intégration plus poussée, des investissements stratégiques et des réformes structurelles pour garantir une croissance durable et une stabilité à long terme.</p>
<h2>De l’économie à la géopolitique : l’Europe à la croisée des puissances</h2>
<p>Aujourd’hui, la véritable source du pouvoir n’est plus seulement militaire ou politique, mais avant tout économique. La capacité d’un acteur international à influencer le système mondial dépend de sa force de production, de son innovation et de sa capacité à créer de la richesse durable.</p>
<p>Dans ce contexte, si l’UE, en tant que bloc, n’est pas en mesure de renforcer sa base industrielle, d’investir dans la recherche et de stimuler la croissance, elle risque de perdre progressivement son poids géopolitique. La puissance économique conditionne désormais la souveraineté stratégique : sans une économie compétitive, il devient difficile de peser dans les négociations internationales, de financer la défense commune, la transition verte ou encore la transformation numérique.</p>
<p>Consolider la puissance économique du continent – par des politiques d’investissement coordonnées, une union des marchés de capitaux et une stratégie industrielle ambitieuse – est donc essentiel pour préserver sa stabilité, sa souveraineté et son rôle dans l’équilibre géopolitique mondial. Si ces vulnérabilités persistent, l’Europe pourrait devenir un espace soumis à l’influence extérieure plutôt qu’un acteur exerçant sa propre influence…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/267345/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kambiz Zare ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à la montée en puissance des autres grands blocs, l’UE doit absolument intensifier ses efforts en matière d’innovation.Kambiz Zare, Professor of International Business and Geostrategy, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2663192025-10-22T09:50:28Z2025-10-22T09:50:28ZLa diplomatie d’affaires, d’hier à aujourd’hui<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/695465/original/file-20251009-56-7d5cu8.jpg?ixlib=rb-4.1.0&rect=0%2C20%2C1438%2C958&q=45&auto=format&w=1050&h=700&fit=crop" /><figcaption><span class="caption">_Le doge Marino Grimani reçoit les cadeaux des ambassadeurs perses en 1603_, de Gabriele Caliari, 1603-1604, huile sur toile, 367&nbsp;x&nbsp;527&nbsp;cm, Salle des quatre portes, Palais Ducal de Venise (Italie) .</span> <span class="attribution"><span class="source">Fondazione Musei Civici di Venezia</span></span></figcaption></figure><p><strong>L’entreprise est une diplomate comme les autres, ou presque. Depuis l’âge du bronze, les échanges commerciaux ont été intrinsèquement liés aux relations interétatiques, les marchands pouvant parfois réussir là où les dirigeants politiques échouaient. Pour autant, le commerce n’est pas automatiquement synonyme de paix, bien des conflits ayant été déclenchés par des différends de nature économique…</strong></p>
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<p>Les sociétés civiles attendent aujourd’hui un engagement croissant des entreprises, perçues comme des acteurs capables de suppléer la puissance publique dans les transformations sociales, économiques et environnementales. En France, le <a href="https://www.edelman.com/fr/fr/trust/2025/trust-barometer">baromètre Edelman 2025</a> révèle ainsi un degré de confiance plus élevé envers les entreprises qu’envers le gouvernement. Face à la baisse de l’efficacité de la diplomatie institutionnelle – un phénomène qui s’explique par des moyens réduits, des réseaux d’influence affaiblis, des intérêts divergents et des expertises dispersées –, les entreprises ont progressivement développé leurs propres solutions de gestion des risques géopolitiques et géoéconomiques. Car les marchés ne fonctionnent pas en autarcie, mais <a href="https://shs.cairn.info/revue-negociations-2019-2-page-87">dans un contexte social, politique et culturel</a> spécifique.</p>
<p>D’un domaine réservé à la puissance publique, la diplomatie est devenue un terrain stratégique pour le secteur privé. Ce dernier s’est engouffré dans l’espace libéré par la perte plus ou moins volontaire de souveraineté traditionnelle. Cette évolution a conduit à l’émergence du concept de diplomatie des affaires ou d’entreprise : une réponse adaptative des multinationales face à un avenir incertain, un environnement volatil, des risques protéiformes.</p>
<p>Cette diplomatie alternative utilise les moyens et les outils traditionnels pour maintenir des relations positives durables avec toutes les parties prenantes – internes et externes, commerciales et non commerciales. L’entreprise assure ainsi la préservation de sa légitimité et du droit d’opérer dans les pays hôtes, garantissant son développement économique et son rayonnement international. Cependant, les intérêts de la puissance publique restent dominants, et peuvent aller à l’encontre du désir de l’entreprise de maintenir des relations positives avec l’ensemble de ses parties prenantes. <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions-against-russia-explained/">L’embargo européen sur une liste de produits et de services russes</a> en est un exemple récent. Les sanctions unilatérales américaines prises contre l’Iran visent aussi les entreprises de son écosytème pétrolier ; certaines sont de nationalité chinoise !</p>
<p>L’implication du secteur privé dans les questions diplomatiques n’est pas nouvelle. Ses contours se dessinent dès que le <a href="https://www.medieval.eu/trade-and-civilisation-from-prehistory-to-the-early-modern-era/">commerce accompagne l’essor des territoires de l’âge du bronze</a>, autour de 3000 av. J.-C., quand une relative autonomie des institutions marchandes fonctionnait déjà en Mésopotamie et en Égypte.</p>
<h2>Le rôle fondateur des échanges commerciaux à l’âge du bronze</h2>
<p>Bien que notre connaissance de l’organisation des échanges anciens demeure imparfaite en raison d’une mémoire imprégnée de mythologie et de transmission orale, les marchands, les voyageurs et autres agents mercantiles jouèrent un rôle majeur dans l’évolution des sociétés, dépassant la qualité de plénipotentiaire des royaumes, des empires ou des cités-États.</p>
<p>Le début du commerce international coïncide avec la <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/les-arts-en-europe/circulations-anciennes-en-europe-exemples-de-l%E2%80%99%C3%A2ge-du-bronze-au-haut-moyen-%C3%A2ge/de-la-laine-au-v%C3%AAtement%C2%A0-circulations-commerciales-dans-l%E2%80%99europe-de-l%E2%80%99%C3%A2ge-du-bronze">circulation du cuivre, de l’étain, des textiles en laine et du sel</a>, matières d’importance égale au pétrole et au gaz actuels.</p>
<p><a href="https://www.geo.fr/histoire/vieille-de-3000-ans-lepave-duluburun-revele-encore-des-secrets-212814-">L’épave d’un navire marchand</a> découverte dans le site archéologique sous-marin d’Uluburun (sud de la Turquie) regorgeait de matières premières venues du monde connu : ambre scandinave, épée italienne, sceptre de la mer Noire, étain d’Ibérie ou d’Ouzbékistan. Cette cargaison révèle l’existence, dès la fin de l’âge du bronze, d’un vaste réseau commercial s’étendant de l’Asie centrale à l’Europe. Il était géré par de petites communautés locales indépendantes, pas uniquement soumises au pouvoir politique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/696981/original/file-20251017-64-vvqzm1.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/696981/original/file-20251017-64-vvqzm1.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/696981/original/file-20251017-64-vvqzm1.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/696981/original/file-20251017-64-vvqzm1.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/696981/original/file-20251017-64-vvqzm1.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/696981/original/file-20251017-64-vvqzm1.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/696981/original/file-20251017-64-vvqzm1.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Reconstitution de l’intérieur de l’épave du site d’Uluburun (en actuelle Turquie), datant de l’âge du bronze (1330-1300 avant notre ère). Le navire a coulé au large des côtes de Lycie et contenait, entre autres marchandises, dix tonnes de lingots de cuivre, des lingots d’étain et des jarres de résine et de denrées alimentaires.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.worldhistory.org/image/7263/cargo-reconstruction-uluburun-shipwreck/">Musée d'archéologie sous-marine de Bodrum, Turquie</a></span>
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<p>Des documents de Méditerranée orientale décrivent le négoce comme le fait d’entreprises privées et d’intermédiaires autonomes, de riches marchands dont Sinaranu, connu sous le nom de « tamkaru », constitue un exemple historique marquant. Il était une <a href="https://www.academia.edu/96409011/The_merchants_of_Ugarit_oligarchs_of_the_Late_Bronze_Age_trade_in_metals">figure notable d’Ougarit</a>, une ancienne cité-État située dans l’actuelle Syrie à la fin de l’âge du bronze. Le terme « tamkaru » désignait un marchand professionnel impliqué dans le commerce à longue distance.</p>
<p>Ces échanges permirent l’ouverture de nouvelles routes et la construction d’infrastructures (ponts, ports, caravansérails) procurant des revenus aux royaumes traversés. Les <a href="https://www.lemonde.fr/les-lettres-de-kanesh/">archives assyriennes de Kanesh</a> inventorient les coûts engagés pour soutenir ce commerce transitaire. De surcroît, les échanges tissèrent des liens économiques, diplomatiques et sociaux entre territoires éloignés : traités, contrats et alliances sécurisaient un environnement favorable au négoce. Dans l’une des <a href="https://www.nationalgeographic.fr/histoire/egypte/lettres-amarna-arcanes-du-pouvoir-pharaons-egyptiens">lettres d’Amarna</a>, tablettes en argile d’ordre diplomatique, Burna-Buriyash II, le roi de Babylone, se plaint ainsi à Akhénaton que ses marchands ont été assassinés à Canaan par des sujets du pharaon. Il demande que les coupables soient punis.</p>
<p>Infatigables voyageurs, ces marchands jouaient déjà le rôle de diplomates, d’émissaires ou d’agents de renseignements, comme l’attestent la correspondance royale d’Alasiya ou les <a href="https://www.geo.fr/histoire/les-memoires-de-jules-cesar-des-ecrits-tout-a-sa-gloire-195907">mémoires de César</a>.</p>
<h2>Impact socioculturel et premières multinationales</h2>
<p>Au-delà des richesses matérielles, le commerce international modifia profondément les sociétés. Les marchands favorisèrent les transferts de technologies et de savoir-faire, renforçant la puissance des États qui les soutenaient. Leurs voyages répandaient coutumes et modes de vie qui influençaient l’organisation sociale des pays traversés.</p>
<p>Irad Malkin souligne le <a href="https://shs.cairn.info/revue-hypotheses-2016-1-page-225">rôle des commerçants dans la diffusion du grec archaïque en Méditerranée</a>. Ils participèrent au partage de récits, de la langue et d’une culture matérielle sans coordination gouvernementale. D’autres exemples confortent son travail : la <a href="https://buddhiststudies.stanford.edu/events/tt-wf-chao-buddhist-art-series/susan-whitfield-understanding-buddhist-art-buddhism-and-trade">diffusion du bouddhisme</a> le long de la route de la soie, ou les valeurs véhiculées par les marchands hanséatiques plus tard en Europe.</p>
<p>Mais le développement des échanges produisit aussi des effets négatifs : concurrence accrue, jalousies, ambitions géostratégiques menant parfois à la guerre.</p>
<p>Parmi tous les dommages involontaires provoqués par le commerce international, la propagation des maladies a certainement été le plus terrible. <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sciences/peste-noire-apres-des-si%C3%A8cles-de-mystere-on-sait-enfin-d-ou-elle-venait_164194">La peste noire</a>, causée par la bactérie <em>Yersinia Pestis</em>, aurait été transmise à Constantinople et en Europe depuis la Chine ou l’Inde peu après l’an 500 de notre ère.</p>
<p>Indépendants ou sous influence, les marchands ont dû s’adapter à un environnement social, politique et économique en constante évolution. Pour survivre, ils déployèrent des savoir-faire qui dépassaient la capacité à négocier le meilleur prix ou à maximiser les profits.</p>
<p>Au Moyen Âge, ceux qui voyageaient le long de la route de la soie faisaient montre de diplomatie pour obtenir leur passage en toute sécurité entre les multiples puissances régionales.</p>
<p>Au XVII<sup>e</sup> siècle, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales fondée en 1602 par la république des Sept Provinces-Unies des Pays-Bas illustre l’institutionnalisation précoce de <a href="https://brill.com/view/journals/dipl/2/1/article-p20_20.xml?srsltid=AfmBOopCXQjinIC4WW9PLtoKcUkhG4o6Z2l0ma_L-e1JQrQz1CmrKi1L">pratiques diplomatiques d’affaires</a> pour atténuer les risques et les incertitudes tout en obtenant des positions avantageuses. Ces émanations de la volonté publique influençaient la promulgation de loi et la création d’organisations commerciales, et finançaient des guerres, en servant l’expansionnisme colonial.</p>
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<p>Le développement des premières entreprises transnationales ne peut être évoqué en passant sous silence le commerce triangulaire, un système d’échanges entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique. Les navires européens embarquaient des marchandises vers l’Afrique où elles étaient échangées contre des captifs africains. Ces derniers étaient ensuite déportés de force vers les plantations des Amériques, où ils produisaient des biens coloniaux (sucre, coton, café, cacao, tabac), exportés vers l’Europe. Ce commerce a été particulièrement actif aux XVIII<sup>e</sup> et XIX<sup>e</sup> siècles, même si l’esclavage existait depuis l’Antiquité. Les sociétés grecques et romaines, les civilisations arabes et asiatiques pratiquaient le commerce et la possession d’esclaves bien avant la traite atlantique.</p>
<p>Progressivement, davantage d’entreprises multinationales contribuèrent à façonner la politique étrangère, même sans autorité officielle déléguée. Bien que le terme « diplomatie » n’apparaisse qu’après la <a href="https://ehne.fr/fr/eduscol/terminale-sp%C3%A9cialit%C3%A9-histoire/terminale-sp%C3%A9cialit%C3%A9-histoire/th%C3%A8me-2-faire-la-guerre-faire-la-paix-formes-de-conflits-et-modes-de-r%C3%A9solution/faire-la-paix-par-les-trait%C3%A9s-les-trait%C3%A9s-de-westphalie-1648">paix de Westphalie signée en 1648</a>, les pratiques en cernaient déjà les contours. Codifié lors du Congrès de Vienne en 1815, il se rapportait principalement aux relations interétatiques et aux mécanismes visant à régler les différends et les conflits. <a href="https://shs.cairn.info/revue-mondes1-2014-1-page-81">De multiples conventions jusqu’en 1961</a> continueront de faire évoluer le cadre de l’activité diplomatique.</p>
<p>Ce n’est qu’en 1979 que les universitaires, et notamment <a href="https://www.aei.org/research-products/book/modern-diplomacy-the-art-and-the-artisans/">Elmer Plischke</a>, commencèrent à considérer que la diplomatie pouvait également s’appliquer aux particuliers et aux entreprises, même si la littérature commerciale aux États-Unis l’évoquait depuis 1950.</p>
<h2>Vers une diplomatie d’entreprise moderne</h2>
<p>Aujourd’hui, face à la fragmentation géopolitique et aux défis globaux (climat, santé, technologie), les entreprises négocient directement avec les États, participent aux forums internationaux, influencent les normes sectorielles. Cette évolution prolonge une tradition millénaire où commerce et diplomatie se mêlent pour construire les relations internationales.</p>
<p>La diplomatie d’affaires contemporaine hérite ainsi d’une longue histoire : celle de marchands qui, bien avant les diplomates modernes traditionnels, tissaient déjà les liens entre les peuples. Ces derniers n’hésitent plus à rejoindre le monde l’entreprise : <a href="https://www.ft.com/content/358b0e0e-d383-11e8-a9f2-7574db66bcd5">Facebook a recruté en 2018 Nick Clegg</a>, ancien vice-premier ministre du Royaume-Uni ; Al Gore, ancien vice-président des États-Unis, <a href="https://www.silicon.fr/Thematique/actualites-1367/Breves/Al-Gore-administrateur-d-Apple-389285.htm">a rejoint le conseil d’administration d’Apple</a> ; le Danemark a nommé un ambassadeur voué à l’industrie technologique. Début 2025, Huawei publiait une annonce de recrutement sur le réseau LinkedIn pour un poste de diplomate d’affaires !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/266319/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Martineau est Président de l'amicale des missions polaires et australes (AMAEPF). </span></em></p>Des marchands de l’âge du bronze aux multinationales d’aujourd’hui, retour sur plusieurs millénaires d’interactions entre commerce et diplomatie.Frédéric Martineau, Doctorant en Diplomatie des affaires, Centre d'études diplomatiques et stratégiques (CEDS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2656492025-10-22T09:50:23Z2025-10-22T09:50:23ZLa contribution de Henri de Saint-Simon à l’indépendance des États-Unis et à la libération de la France de ses « blocages »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/694572/original/file-20251006-66-zo5eb9.jpg?ixlib=rb-4.1.0&rect=0%2C322%2C1575%2C1050&q=45&auto=format&w=1050&h=700&fit=crop" /><figcaption><span class="caption">«&nbsp;Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon&nbsp;», gravure de Gottfried Engelmann d’après un portrait dessiné en 1825, quelques instants après la mort du philosophe.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Claude_Henri_de_Rouvroy.jpg">Godefroy Engelmann/Wikimedia Commons</a></span></figcaption></figure><p><strong>Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825), pionnier du libéralisme et de la pensée industrielle, a marqué l’histoire des idées en France en posant les bases de la doctrine positiviste et en fondant l’école du saint-simonisme. Il prit les armes lors de la guerre d’indépendance des États-Unis (1775-1783) au sein de l’alliance franco-américaine et contribua à la victoire contre les Britanniques lors de la bataille de Yorktown. Ce texte revient sur ses expéditions en Amérique et leur influence sur la conception de son projet politique à son retour en France en 1783.</strong></p>
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<p>En 2026, les États-Unis commémoreront le 250<sup>e</sup> anniversaire de leur Déclaration d’indépendance. Un <a href="https://america250.org/our-american-story/">recueil des récits témoignant des jalons de cette histoire est déjà en cours</a>.</p>
<p>La <a href="https://www.cincinnatidefrance.fr/">société de Cincinnati de France</a>, fondée en 1784, perpétue à ce jour le souvenir des circonstances qui ont abouti à l’indépendance des États-Unis et de la fraternité d’armes qui unit officiers américains et français au cours des combats qu’ils menèrent ensemble. Gageons qu’elle pourra participer à cette commémoration alors que cette année 2025 marque le 200<sup>e</sup> anniversaire de la mort de Henri Saint-Simon.</p>
<p>En effet, le socialiste utopiste Henri Saint-Simon prit part sur mer, sous le commandement de l’amiral de Grasse, au succès décisif du corps de 1 000 hommes envoyé par le comte de Rochambeau (1725-1807) à Washington pour appuyer La Fayette et les troupes américaines envoyées en Virginie. Arrivés dans la baie de Chesapeake le 31 août 1781, les Français établissaient le blocus des rivières York et James, débarquaient puis appareillaient pour engager la bataille le 5 septembre et <a href="https://sup.sorbonne-universite.fr/catalogue/histoire-moderne-et-contemporaine/histoire-maritime/les-marines-de-la-guerre-dindependance-americaine-1763-1783-tome-i">chasser les Anglais</a>.</p>
<p><a href="https://fr.statista.com/infographie/34274/guerre-commerciale-carte-des-tarifs-douaniers-imposes-par-donald-trump-aux-pays-du-monde/">En pleine guerre des tarifs douaniers avec les États-Unis de Donald Trump</a>, alors que des <a href="https://lediplomate.media/2025/09/analyse-europe-amerique-fracture-silencieuse-alliance-atlantique/olivierdauzon/monde/europe/">doutes</a> persistent sur la solidité de l’alliance transatlantique, et en pleine crise budgétaire dans une France qui doute des vertus de la démocratie, il nous semble éclairant de rappeler dans quelle perspective le jeune Henri Saint-Simon apporta sa contribution à l’indépendance américaine et à l’économie politique française.</p>
<h2>Saint-Simon s’écriant « Rochambeau me voilà ! »</h2>
<p>Né en 1760, Henri Saint-Simon était un jeune homme au moment où éclata la révolution américaine en 1775 qui fut un conflit armé qui dura huit longues années.</p>
<p>Elle constitua également une guerre civile entre sujets britanniques et américains, ainsi qu’une rébellion contre les autorités coloniales, et une insurrection contre le roi d’Angleterre (George III) et le régime monarchique. Elle fut la première guerre de « libération nationale » de l’histoire moderne. Pour Saint-Simon, le monde marche vers un idéal d’égalité et de liberté, emporté par le plus généreux des rêves : le règne de la raison gouvernant un monde selon la justice.</p>
<p>S’il a le goût d’observer et la passion de savoir, Henri Saint-Simon aime plus encore agir. Saint-Simon avait commencé sa vie professionnelle comme officier dans l’armée. En 1777, son père lui a obtenu une sous-lieutenance au régiment de Touraine ; il devint deux ans plus tard capitaine dans le corps de cavalerie de ce régiment. Trois ans après la proclamation de l’indépendance des treize colonies insurgées (Massachusetts, New Hampshire, Connecticut, Rhode Island, New York, New Jersey, Pennsylvanie, Delaware, Maryland, Virginie, Caroline du Sud, Caroline du Nord et Géorgie), il part pour l’Amérique en 1779 pour servir sous les ordres de M. de Bouillé, gouverneur des îles du Vent, et sous ceux de Washington : « Je suis parti de France pour l’Amérique, à dix-huit ans ; j’ai combattu pendant cinq ans pour la liberté des Américains, et je suis revenu dans ma patrie dès l’instant que leur indépendance a été reconnue par l’Angleterre », <a href="https://www.puf.com/oeuvres-completes-4-volumes-sous-coffret">écrira-t-il</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/693290/original/file-20250929-56-kv5ucj.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/693290/original/file-20250929-56-kv5ucj.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/693290/original/file-20250929-56-kv5ucj.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/693290/original/file-20250929-56-kv5ucj.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/693290/original/file-20250929-56-kv5ucj.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/693290/original/file-20250929-56-kv5ucj.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/693290/original/file-20250929-56-kv5ucj.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/693290/original/file-20250929-56-kv5ucj.jpg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">John Trumbull, « La reddition de Lord Cornwallis » (1820). Rotonde du Capitole. Washington D.C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Couder_Yorktown_Versailles.JPG">Wikimedia</a></span>
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<p>La bataille de Yorktown, qui se déroule du 28 septembre au 19 octobre 1781, marque un tournant et signe la défaite de la Grande-Bretagne. Elle opposa les insurgés américains et leurs alliés français commandés par le comte de Rochambeau aux Britanniques commandés par Lord Cornwallis. Saint-Simon écrira un état détaillé décrivant « les troupes anglaises faites prisonnières à York en Virginie, le 19 octobre 1781 » dont le total s’élevait selon lui à 4550 prisonniers.</p>
<p>Après cette bataille, le régiment de Saint-Simon retournera à Fort Royal en Martinique (aujourd’hui Fort-de-France) avant de poursuivre sa navigation à Saint-Christophe puis à Basse-Terre en Guadeloupe et aux Saintes. Saint-Simon rentre en France en 1783 après le <a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1783versailles.htm">traité de Versailles du 3 septembre</a> qui consacra l’indépendance des États-Unis. Quatre années leur seront encore nécessaires pour élaborer une <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/us1787.htm">Constitution</a> et créer une véritable fédération. La France prend ainsi sa revanche sur l’Angleterre qui vingt ans plus tôt <a href="https://mjp.univ-perp.fr/traites/1763paris.htm">lui avait enlevé le Canada</a>.</p>
<p>Avant de regagner la France, Henri Saint-Simon s’est rendu au Mexique pour présenter au vice-roi, administrateur colonial de la Nouvelle-Espagne, un projet de canal entre l’Atlantique et le Pacifique qui fut <a href="https://manucius.com/produit/saint-simon-correspondance/">« froidement accueilli ».</a> Ce projet préfigura <a href="https://editions.bnf.fr/le-si%C3%A8cle-des-saint-simoniens-du-nouveau-christianisme-au-canal-de-suez">l’implication de ses disciples</a> dans la création de réseaux facilitant les flux de marchandises, de personnes, de capitaux et de connaissances tels que le canal de Suez. Saint-Simon quittera officiellement l’armée en mars 1790.</p>
<h2>Les enseignements que Saint-Simon retint de son aventure américaine</h2>
<p>Saint-Simon reviendra en France avec un dégoût pour le métier des armes qui le gagna pleinement quand il vit approcher la paix. Sa vocation est faite : il s’agit d’étudier la marche de l’esprit humain, pour travailler ensuite au perfectionnement de la civilisation. C’est ainsi que son projet scientifique contribuera à la création de la <a href="https://www.vrin.fr/livre/9782711603138/la-jeunesse-dauguste-comte-et-la-formation-du-positivisme">sociologie positiviste d’Auguste Comte</a>, qui fut son secrétaire.</p>
<p>« En combattant pour l’indépendance de l’Amérique (il y a plus de quarante ans), j’ai conçu le projet de faire sentir aux Européens qu’ils mettaient la charrue avant les bœufs en faisant gouverner les producteurs par les consommateurs. Depuis ma vie entière est consacrée à ce projet… », se remémorera-t-il dans les années 1820.</p>
<p>Il s’inscrit ainsi au côté de son contemporain et maître Jean Baptiste Say dans une politique de l’offre qui pose le principe selon lequel « l’offre crée sa propre demande ». On retrouvera ces orientations dans les années 1980 avec le thatchérisme et les <em>reaganomics</em>, et aujourd’hui en France dans la politique économique des gouvernements successifs du président Emmanuel Macron : réductions fiscales considérables accordées aux grandes entreprises, lancement d’un programme de réindustrialisation notamment dans l’armement financé par l’endettement, déréglementation de l’activité économique…</p>
<p>Pour Henri Saint-Simon, la Révolution américaine signifia le <a href="https://www.puf.com/oeuvres-completes-4-volumes-sous-coffret">commencement d’une nouvelle ère politique qui causera de grands changements dans l’ordre social en Europe</a>. Il remarque avant tout que l’Amérique est un pays de tolérance puisqu’aucune religion n’y était dominante ni protégée d’une manière particulière ; qu’il n’y existe aucun corps privilégié, point de noblesse, nul reste de féodalité et que la nation n’est pas divisée en castes ; qu’aucune famille n’est en possession depuis plusieurs générations des principaux emplois publics et qu’aucun citoyen ne peut avoir de droit exclusif à gouverner l’État ; que le caractère dominant de la nation américaine est pacifique, industrieux et économe.</p>
<p>Cela permet à la jeune nation américaine d’établir un régime plus libéral et plus démocratique que celui des peuples européens encore marqués par l’esprit militaire. Pour Saint-Simon, le peuple français de 1789 était loin d’être capable de fonder un pareil ordre social :</p>
<blockquote>
<p>« Le plus grand homme d’État, en Europe, celui du moins qui passe pour le plus habile, qu’on estime, qu’on avance, qu’on élève le plus c’est toujours celui qui trouve un moyen d’augmenter les revenus de l’impôt sans trop faire crier les imposés. Je sentis qu’en Amérique, le plus grand homme d’État serait celui qui trouverait le moyen de diminuer le plus possible les charges du peuple sans faire souffrir le service public. Le peuple ou les gouvernés de l’Ancien Monde se sont soumis à l’opinion qu’il fallait, pour le bien général, que les fonctionnaires fussent chèrement payés, de gros salaires étant supposés nécessaires pour la représentation. Je sentis que les Américains penseraient tout autrement, et que les fonctionnaires publics auraient d’autant plus de part à leur estime qu’ils étaleraient moins de luxe, qu’ils seraient d’un abord plus facile et plus simple dans leurs mœurs. »</p>
</blockquote>
<p>À partir de cette expérience se dessinent déjà les principaux traits de ce que sera la doctrine de Saint-Simon et de ses héritiers jusqu’au Second Empire : le respect à la production et aux producteurs est infiniment plus fécond que le respect à la propriété et aux propriétaires ; le gouvernement nuit toujours à l’industrie quand il se mêle de ses affaires et qu’il nuit même dans le cas où il fait des efforts pour l’encourager ; les producteurs de choses utiles sont les seuls qui doivent concourir à sa marche et qu’étant les seuls qui paient réellement l’impôt ils sont les seuls qui aient de droit de voter ; les guerres, quel qu’en soit l’objet, nuisent à toute l’espèce humaine et nuisent même aux peuples qui restent vainqueurs ; le désir d’exercer un monopole est un désir mal conçu dans la mesure où ce monopole ne peut être acquis et maintenu que par la force ; l’instruction doit fortifier dans les esprits les idées qui tendent à augmenter la production et à respecter la production d’autrui ; et que toute l’espèce humaine ayant des buts communs, chaque homme doit se considérer dans les rapports sociaux comme engagé dans une compagnie de travailleurs.</p>
<p>C’est donc dans son expérience américaine qu’il conçoit son projet politique centré sur l’industrie. « La politique est pour me résumer en deux mots, la science de la production, c’est-à-dire la science qui a pour objet l’ordre des choses le plus favorable à tous les genres de production… Elle devient une science positive. »</p>
<p>Ce projet politique saint-simonien est favorable au libre-échange, comme en témoigna la signature d’un traité de libre-échange entre la France et le Royaume-Uni en 1860. Un aspect du libéralisme que les « MAGAnomics » ont oublié…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/265649/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrick Gilormini est membre de la CFDT. </span></em></p>La participation du comte de Saint-Simon à la guerre d’indépendance des États-Unis (1775-1783) marquera profondément son projet politique.Patrick Gilormini, Economie & Management, ESDES - UCLy (Lyon Catholic University)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2650382025-10-22T09:50:18Z2025-10-22T09:50:18ZLe couple Toumanov : une page de la guerre froide qui a des échos aujourd’hui<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/694637/original/file-20251006-56-81v0si.jpg?ixlib=rb-4.1.0&rect=0%2C18%2C2014%2C1342&q=45&auto=format&w=1050&h=700&fit=crop" /><figcaption><span class="caption">La salle des bobines dans les locaux de Radio Free Europe/Radio Liberty à Munich (Allemagne), où les émissions provenant des pays communistes étaient enregistrées et examinées par le personnel de la radio (1976).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.rferl.org/a/rferl-radio-free-europe-75-years-history-photos/33463140.html">RFE/RL</a></span></figcaption></figure><p><strong>Durant la guerre froide, de nombreux Soviétiques captaient en cachette Radio Liberty, une station financée par les États-Unis et dont le QG se trouvait à Munich (alors en République fédérale d’Allemagne). Ils y écoutaient des dissidents originaires d’URSS qui leur faisaient connaître des informations inaccessibles dans leurs médias nationaux du fait de la censure. L’un de ces journalistes était Oleg Toumanov. Son épouse, Eta, enseignait le russe à des militaires américains. Mais Oleg – de même, très probablement, qu’Eta – travaillait en réalité pour le KGB…</strong></p>
<hr>
<p>Les histoires d’espions ont pour intérêt majeur non tant d’établir des faits – tout le monde y ment, ou à peu près – que de susciter des questions, celles-ci aidant à décrypter d’autres cas, plus contemporains.</p>
<p>Très révélateurs, les parcours d’Oleg Toumanov et de son épouse ont été rappelés lors d’une exposition intitulée <a href="https://undesignunit.com/en/radio-free-europe-voices-from-munich-during-the-cold-war/">« Des Voix de Munich dans la Guerre froide »</a>, organisée au musée municipal de Munich du 30 septembre 2022 au 5 mars 2023 et consacrée aux radios occidentales Radio Free Europe (RFE)/Radio Liberty (RL).</p>
<p>Oleg Toumanov (1944-1997) travaillait pour Radio Liberté (RL), mais aussi pour le KGB. Quant à son épouse… la question reste complexe.</p>
<h2>Radio Liberté, l’une des radios occidentales émettant vers l’URSS</h2>
<p>La guerre froide avait à peine commencé quand les États-Unis ont créé deux radios basées à Munich : <a href="https://www.rferl.org/a/rferl-radio-free-europe-75-years-history-photos/33463140.html">Radio Free Europe</a> (RFE), qui, dès 1950, émettait vers les pays d’Europe centrale contrôlés par l’URSS ; et Radio Liberty qui visait l’URSS et qui, lancée le 1<sup>er</sup> mars 1953 sous le nom de Radio Liberation from Bolshevism, est devenue, en 1956, Radio Liberation, puis, en 1959, Radio Liberté (RL). Ses programmes, comme ceux de RFE, étaient <a href="https://books.google.de/books?id=Kfl-8vMB0jEC&printsec=copyright">diffusés dans les langues des auditeurs potentiels</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, nous parlerions de « guerre des narratifs » : il s’agissait de faire parvenir aux sociétés dites « de l’Est » des informations sur l’Occident, mais aussi sur leurs propres pays, par exemple en lisant à l’antenne des textes de dissidents, et d’accompagner le tout d’éléments des cultures occidentales et dissidentes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_jyqEB5Q6Xg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les États-Unis considéraient pouvoir ainsi fragiliser l’URSS, et celle-ci a d’ailleurs brouillé RL dès ses débuts. Pour <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv2sp3csg">Mark Pomar</a>, qui y a été employé, RL et RFE étaient l’expression d’émigrés souhaitant représenter leur pays tel qu’il serait sans les communistes, alors que <a href="https://www.insidevoa.com/p/5829.html"><em>Voice of America</em></a>, apparue en février 1947, était, elle, conçue comme la voix officielle des États-Unis ; Radio Liberté était donc, aux yeux de Pomar, « une radio entièrement russe qui se trouvait être à Munich », mais dont les financements venaient de la CIA jusqu’en 1971, puis du budget américain.</p>
<h2>Oleg Toumanov, une belle carrière chez Radio Liberté</h2>
<p>Oleg Toumanov qui, en 1993, publiera des « souvenirs » en anglais sous le titre <a href="https://books.google.de/books/about/Tumanov.html?id=8ZTaAAAAMAAJ"><em>Confessions d’un agent du KGB</em></a>, a travaillé à Radio Liberté pendant vingt ans.</p>
<p>Né à Moscou en 1944, il rejoint en 1963 la flotte soviétique. En novembre 1965, il quitte son bateau à la nage près des côtes libyennes ; une fois à terre, il déclare vouloir être transféré chez les Occidentaux. Le 5 décembre 1965, un avion américain le conduit en RFA, dans un centre américain pour réfugiés : il y est interrogé, y compris avec l’aide d’un détecteur de mensonges. Le 14 avril 1966, il obtient l’autorisation de résider en permanence en Allemagne. Peu après, et non sans avoir subi de nouveaux tests, il est recruté par Radio Liberté.</p>
<p>Sa carrière y est spectaculaire : engagé au département « nouvelles » du service russe, Toumanov intervient assez vite à l’antenne et signe, dès 1967, un contrat à vie avec RL. Quelques années plus tard, il est nommé rédacteur en chef du service russe : le plus haut poste que puisse décrocher un non-Américain.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/696922/original/file-20251017-66-t7np25.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/696922/original/file-20251017-66-t7np25.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/696922/original/file-20251017-66-t7np25.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/696922/original/file-20251017-66-t7np25.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/696922/original/file-20251017-66-t7np25.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=475&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/696922/original/file-20251017-66-t7np25.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/696922/original/file-20251017-66-t7np25.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/696922/original/file-20251017-66-t7np25.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=596&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Montage comprenant la carte de presse de Toumanov et sa photo.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://coldwarconversations.com/about/">Cold War Convsersations, site du podcast consacré à la guerre de l’historien Ian Sanders</a></span>
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<p>Mais Toumanov disparaît le 26 février 1986. Il réapparaît à Moscou le 28 avril, lors d’une conférence de presse organisée par le ministère soviétique des Affaires étrangères, et <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1986/04/30/le-retour-d-oleg-toumanov_2917657_1819218.html">dénonce les liens de RL avec la CIA</a>. Par la suite, il expliquera avoir risqué d’être démasqué, suite à la défection de deux officiers du KGB. Avec l’aval de celui-ci, il a donc rejoint Berlin-Est et y a été débriefé, avant de prendre l’avion pour Moscou. Gorbatchev, au pouvoir en URSS depuis un an, vient de lancer la perestroïka.</p>
<h2>Un parcours en questions</h2>
<p>Ce parcours suscite bien des questions. L’une porte sur le moment où Toumanov a été recruté par les services soviétiques : sa « fuite d’URSS » était-elle une opération programmée par ceux-ci, comme Toumanov l’affirmera dans ses mémoires ? Ou, comme le croiront certains de ses collègues de RL, le jeune homme a-t-il été recruté alors qu’il se trouvait déjà en Occident ?</p>
<p>En outre, de quelles missions était-il chargé ? Il devait, écrira-t-il, infiltrer les cercles d’émigrés, et aurait transmis à ses officiers traitants – qu’il rencontrait à Berlin-Est, Vienne et Helsinki, mais jamais en RFA – des informations sur les employés de Radio Liberté. Il se chuchote aussi que, grâce à des documents transmis par Toumanov, l’URSS aurait découvert qu’une taupe travaillait pour les Américains dans les plus hauts cercles du PCUS.</p>
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<figcaption><span class="caption">Documentaire « Prague au service de Moscou : dans les secrets de la guerre froide », Andrea Sedláčková, 2024.</span></figcaption>
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<p>L’ancien marin aurait également joué un rôle clé dans une <a href="https://www.israelhayom.com/2023/03/29/__trashed-12/.">opération conçue pour désinformer l’Occident</a>. En revanche, Toumanov n’était sans doute pas chargé d’infléchir la rhétorique de Radio Liberté : passer pour un adversaire féroce du pouvoir soviétique était l’une des conditions de son poste…</p>
<p>S’agissait-il d’un cas isolé ? Non. Des documents désormais accessibles montrent que RL était <a href="https://zona.media/article/2020/07/20/tumanov">« l’une des principales cibles » des services secrets de l’Est</a>. La « guerre des narratifs » était au cœur, aussi, de la guerre froide.</p>
<h2>L’épouse de Toumanov, Eta-Svetlana Katz-Toumanov</h2>
<p>Toumanov a épousé, en 1978, <a href="https://zona.media/article/2020/07/20/tumanov">Eta Katz (ou Drits)</a>, qu’il avait rencontrée quinze jours plus tôt à Londres.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/694595/original/file-20251006-56-patp56.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/694595/original/file-20251006-56-patp56.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=579&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/694595/original/file-20251006-56-patp56.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=579&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/694595/original/file-20251006-56-patp56.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=579&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/694595/original/file-20251006-56-patp56.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=728&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/694595/original/file-20251006-56-patp56.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=728&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/694595/original/file-20251006-56-patp56.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=728&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Photo prise à Munich d’Eta et Oleg Toumanov, peu après leur mariage.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/svetlana.tumanov">Compte Facebook d’Eta Toumanov (Svetlana Tumanova)</a></span>
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<p>Dans une interview d’avril 2023, elle <a href="https://coldwarconversations.com/episode288/">dira</a> être née en 1959 à Riga et venir d’une « famille juive dissidente » qui souhaitait émigrer, ce qui était alors « presque impossible ». Mais, en 1970, une dizaine de personnes, juives pour la plupart et regroupées autour d’<a href="https://fr.timesofisrael.com/ancien-prisonnier-de-sion-le-dissident-edouard-kouznetsov-seteint-a-lage-de-85-ans/">Edouard Kouznetsov</a>, tentent de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ef2x9CjitYo&list=PLuu3aWWd-QEMYVnLQ8IXSZJUyYMTXA41t.">détourner un avion pour partir en Israël</a>. Leur tentative ratée et leur procès suscitent une importante mobilisation internationale : le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/12/23/douteux-proces-a-leningrad_2643158_1819218.html">combat des Juifs pour quitter l’URSS devient mondialement connu</a>. Dans ce contexte, les Katz peuvent émigrer en juin 1971, et Eta elle-même parlera de <a href="https://www.israelhayom.com/2023/03/29/__trashed-12/.">« miracle »</a>. À Londres, à seize ans, elle commence à travailler comme secrétaire pour le service russe de la BBC.</p>
<p>Trois ans plus tard, elle rencontre Toumanov et le suit à Munich. Il lui aurait révélé, une <a href="https://s3.zona.media/pdf/tumanov.5be4710a648a7f62feee17b6f009be47.pdf">ou deux semaines plus tard</a>, qu’il <a href="https://coldwarconversations.com/episode289/.">travaillait pour le KGB</a>. La jeune femme aurait été horrifiée, mais les deux postes qu’elle a par la suite occupés font douter de l’authenticité de ce « choc ». D’abord, elle enseigne le russe dans un institut de l’Armée américaine, et ses étudiants sont des <a href="https://coldwarconversations.com/episode289/.">officiers américains qui se préparent à des missions en URSS</a>. Puis, en 1982, suite à une proposition d’un cadre de Radio Liberté, elle devient l’assistante du directeur de cet institut et travaille dans la base américaine.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/694618/original/file-20251006-56-hbecy.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/694618/original/file-20251006-56-hbecy.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/694618/original/file-20251006-56-hbecy.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/694618/original/file-20251006-56-hbecy.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/694618/original/file-20251006-56-hbecy.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/694618/original/file-20251006-56-hbecy.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/694618/original/file-20251006-56-hbecy.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/694618/original/file-20251006-56-hbecy.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Roman graphique, exposition « Stimmen aus München im Kalten Krieg » (« Voix de Munich pendant la guerre froide »), Münchner Stadtmuseum, vue le 3 mars 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Cette planche montre le moment où Alexander, le chef d’Oleg à Radio Liberté, propose à Eta de travailler comme assistante du directeur de l’institut de langues, avec un accès à des informations secrètes. Eta y est présentée comme une jeune mère qui hésite à accepter un tel poste.</p>
<p>Pour les rédacteurs de l’exposition de Munich, « les employeurs américains de son mari escomptaient qu’Eta Toumanov travaillerait pour eux », ce qui n’est pas impossible.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/694620/original/file-20251006-76-5guujk.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/694620/original/file-20251006-76-5guujk.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/694620/original/file-20251006-76-5guujk.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/694620/original/file-20251006-76-5guujk.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/694620/original/file-20251006-76-5guujk.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/694620/original/file-20251006-76-5guujk.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/694620/original/file-20251006-76-5guujk.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/694620/original/file-20251006-76-5guujk.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Fiche biographique sur Eta Toumanov, présentée dans le cadre de l’exposition.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Les questions que pose ce mariage</h2>
<p>De nouvelles questions se posent donc. Est-il imaginable qu’Eta Toumanov ait occupé ses deux postes en Bavière sans collaborer avec les services secrets soviétiques, ainsi que le prétend son mari dans ses « souvenirs » ? Non. D’ailleurs, elle-même reconnaît aujourd’hui cette collaboration, même si <a href="https://s3.zona.media/pdf/tumanov.5be4710a648a7f62feee17b6f009be47.pdf">elle déclare y avoir été « forcée » par son mariage</a>.</p>
<p>Quelles informations a-t-elle alors transmises ? D’après <a href="https://www.israelhayom.com/2023/03/29/__trashed-12/.">ce qu’elle a confié à un journal israélien</a>, il s’agissait de renseignements sur les emplacements, les mouvements et les armements des troupes américaines, et de nombreux détails personnels sur ses étudiants américains. A-t-elle aussi cherché à recruter certains d’entre eux ? À les influencer ? Et si Eta avait travaillé pour le KGB, ou pour d’autres services, avant même sa rencontre avec Toumanov ? Elle le nie.</p>
<p>Comme d’autres cas l’indiquent, l’Union soviétique a infiltré ses collaborateurs dans toutes les vagues d’émigration et a recruté des agents dans chacune de ces vagues. Et le parcours d’Eta, comme celui de son mari, semble ridiculiser le travail des services secrets occidentaux – en l’occurrence, américains et allemands – chargés de repérer, parmi les émigrés, ceux liés au KGB. Arrêtée en 1987 par la police allemande, Eta Toumanov est emprisonnée – six mois, selon elle ; plus de neuf, à en croire son mari. Accusée d’avoir travaillé pour le GRU, les services secrets militaires soviétiques, elle n’est condamnée qu’à cinq ans de probation.</p>
<h2>Svetlana Toumanov à Moscou</h2>
<p>En 1993, Eta Toumanov quitte Munich pour Moscou, prend la citoyenneté russe et adopte le prénom de Svetlana. En 2025, elle vit toujours dans la capitale russe où Poutine, soi-disant croisé en RDA, <a href="https://www.israelhayom.com/2023/03/29/__trashed-12/.">lui aurait fait attribuer un appartement</a>. Sur <a href="https://www.facebook.com/svetlana.tumanov/">sa page Facebook</a>, elle se présente comme « retraitée des services de renseignement extérieur de la Fédération de Russie » et proclame, le 16 septembre 2023, sa « fierté » d’être l’une des cinq personnes dont les parcours sont mis en valeur dans l’exposition de Munich.</p>
<p>Elle poste de nombreuses photos, prises lors de mondanités ou de cérémonies, souvent en compagnie de descendants de « légendaires agents secrets » soviétiques, hauts gradés, voire tueurs, du NKVD, comme <a href="https://www.facebook.com/svetlana.tumanov/posts/pfbid02Ko1kGbs2JJMr5RZPe9oHWPyMHmkTd2wbSF44EjZ5t3ZjKcU8csekzPn15U9ZMaiHl">ici</a> lors d’un hommage sur les tombes de ces agents secrets, hommage auquel participent, entre autres, la petite-fille de <a href="https://www.geo.fr/histoire/le-maitre-espion-soudoplatov-instigateur-de-lassassinat-de-trotski-205977">Pavel Soudoplatov</a>, ainsi que le fils et la fille de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Nahum_Eitingon">Naum Eitingon</a> avec leurs enfants et petits-enfants ; ou lors d’une soirée <a href="https://www.facebook.com/svetlana.tumanov/posts/pfbid07Nmr9EHX8htLJ7b8JLwNNJFDAjhvhqG1kPyhHn9MtqHKYuvQsF2bj5gjQcieJL3wl">avec l’un des membres de la famille de Félix Dzerjinski</a>, le créateur de la Tchéka. Mais le 22 décembre 2024, <a href="https://www.facebook.com/svetlana.tumanov/posts/pfbid02L6pCEQFBnTF72PrCHVuCpBiR2JD4X2WjZ9aB1HYRLyV8L8UtUWjUAPsB5n25qvY5l">elle rend aussi hommage à Edouard Kouznetsov</a>, qui vient de mourir.</p>
<h2>Radio Liberté aujourd’hui</h2>
<p>Après le coup raté d’août 1991, Eltsine a autorisé RFE/RL à ouvrir un bureau à Moscou. Quatre ans plus tard, ces radios ont quitté Munich pour Prague. La guerre froide était, soi-disant, terminée.</p>
<p>Toumanov est mort en octobre 1997 à Moscou et <a href="https://s3.zona.media/pdf/tumanov.5be4710a648a7f62feee17b6f009be47.pdf">y a été enterré avec les honneurs militaires</a>.</p>
<p>Radio Liberté a été parmi les premiers médias à être <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-russie-declare-9-medias-americains-agents-de-l-etranger-05-12-2017-2177292_24.php">déclarés « agents de l’étranger » par les autorités russes en décembre 2017</a> et ses correspondants ont quitté la Russie en mars 2022, deux semaines après l’attaque russe de l’Ukraine.</p>
<p>Le 14 mars 2025, Donald Trump a appelé <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/03/19/donald-trump-coupe-les-financements-de-medias-publics-americains-internationaux_6583607_3210.html">à réduire au maximum légal les financements de l’US Agency for Global Media (USAGM)</a> et des radios à l’étranger. RFE et RL continuent néanmoins d’émettre et de publier, <a href="https://www.rferl.org/a/rfe-rl-order-lamberth-court-funding-/33429896.html">tout en combattant cette décision en justice</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/265038/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Vaissié ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur l’histoire d’un couple de Soviétiques qui a travaillé en RFA pour des médias et un institut américains, avant que l’époux fasse défection pour l’URSS en 1986.Cécile Vaissié, Professeure des universités en études russes et soviétiques, Université de Rennes 2, chercheuse au CERCLE (Université de Lorraine), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2658122025-10-21T13:08:40Z2025-10-21T13:08:40ZUn an après les excuses de Biden, les droits des peuples autochtones aux États-Unis à nouveau fragilisés sous Trump<p><strong>En octobre 2024, Joe Biden, alors encore président, présentait des excuses historiques aux peuples autochtones des États-Unis, dans la lignée des démarches entreprises par le Canada et par l’Australie en 2008. Un an plus tard, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a marqué un net revirement. Depuis janvier 2025, la nouvelle administration s’emploie à démanteler les avancées obtenues sous Biden et à imposer son propre récit national. Alors que les excuses de 2024 semblaient ouvrir la voie à un dialogue durable, la dynamique actuelle met un frein au processus de réparation historique et alimente les inquiétudes au sein des communautés autochtones.</strong></p>
<p>–</p>
<p>Les <a href="https://bidenwhitehouse.archives.gov/briefing-room/speeches-remarks/2024/10/25/remarks-by-president-biden-on-the-biden-harris-administrations-record-of-delivering-for-tribal-communities-including-keeping-his-promise-to-make-this-historic-visit-to-indian-country-lavee/">excuses officielles présentées, le 25 octobre 2024, aux populations autochtones d’Amérique du Nord</a> par le président Joe Biden, au-delà du baroud d’honneur de fin de mandat, ont inscrit les États-Unis dans un mouvement global de réparation des injustices historiques héritées de la colonisation, entamé dans d’anciennes colonies britanniques comme l’Australie et le Canada dès les années 1970.</p>
<p><a href="https://www.researchgate.net/publication/228195299_Political_Apologies_to_Indigenous_Peoples_in_Comparative_Perspective">Après l’Australie et le Canada en 2008</a>, les États-Unis ont à leur tour reconnu le placement forcé de milliers d’enfants autochtones dans des pensionnats d’État pendant des dizaines d’années, et ainsi commencé à faire une place aux populations amérindiennes dans le récit national.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/UdX-WwGGRY4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le président américain Joe Biden présente des excuses formelles à la Gila River Crossing School, dans la communauté indienne de Gila River, à Laveen Village, près de Phoenix, en Arizona, le 25 octobre 2024.</span></figcaption>
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<h2>La reconnaissance des « générations volées » en Australie</h2>
<p>En Australie, les Aborigènes sont, depuis l’indépendance du pays en 1901 et la construction d’une nation australienne blanche (<a href="https://www.nma.gov.au/defining-moments/resources/white-australia-policy">politique « White Australia » de restriction de l’immigration non européenne</a>), les grands oubliés de l’histoire du pays.</p>
<p>L’anthropologue australien W. E. H. Stanner aborde la problématique de l’exclusion des peuples autochtones de l’histoire du pays lors d’une <a href="https://theconversation.com/friday-essay-the-great-australian-silence-50-years-on-100737">conférence en 1968</a> consacrée au « grand silence australien » concernant l’histoire des Aborigènes en Australie depuis la colonisation britannique, à ce « culte de l’oubli » pratiqué à l’échelle nationale. Dès lors, le débat s’invite tant chez les historiens australiens que dans l’opinion publique, interrogeant la place des peuples autochtones dans le récit national.</p>
<p>L’année 1992 marque un tournant dans l’attitude observée par le gouvernement australien face aux peuples aborigènes : le premier ministre Paul Keating reconnaît la responsabilité des Australiens non aborigènes dans les crimes commis contre les populations autochtones depuis le début de la colonisation du pays lors du désormais célèbre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=x1S4F1euzTw">discours de Redfern</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/696408/original/file-20251015-66-byjnfw.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/696408/original/file-20251015-66-byjnfw.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/696408/original/file-20251015-66-byjnfw.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/696408/original/file-20251015-66-byjnfw.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/696408/original/file-20251015-66-byjnfw.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/696408/original/file-20251015-66-byjnfw.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/696408/original/file-20251015-66-byjnfw.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le premier ministre Paul Keating lors du discours de Redfern au parc Redfern, à Sydney, en 1992.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://archives.cityofsydney.nsw.gov.au/nodes/view/582948">John Paoloni</a></span>
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<p>Quelques années plus tard, en 1995, le procureur général d’Australie demande l’ouverture d’une enquête nationale sur le placement forcé de milliers d’enfants aborigènes dans des internats religieux gérés par des missionnaires (les « mission schools ») entre les années 1910 et 1970.</p>
<p>Les résultats de l’enquête, publiés en 1997 dans le <a href="https://humanrights.gov.au/our-work/projects/bringing-them-home-report-1997">rapport « Bringing them home »</a>, font l’effet d’une bombe dans l’opinion publique australienne, jusqu’alors largement ignorante des souffrances infligées aux familles aborigènes. Les Australiens prennent la mesure de ce que leurs gouvernements successifs ont fait subir aux familles aborigènes : enlèvements d’enfants, adoptions forcées, mauvais traitements, crimes. Jusque dans les années 1970, des milliers d’enfants furent ainsi placés dans les écoles des missionnaires : on les appelle les « générations volées » (« stolen generations »).</p>
<p>Si ces générations volées laissent à partir de la fin du XX<sup>e</sup> siècle une trace indélébile dans l’histoire du pays qui ne peut désormais plus être ignorée, il faudra cependant attendre 2008 pour que des <a href="https://www.aph.gov.au/Visit_Parliament/Art/Icons/Apology_to_Australias_Indigenous_Peoples">excuses officielles soient enfin présentées aux Aborigènes</a> par le premier ministre Kevin Rudd.</p>
<h2>Les excuses officielles du gouvernement canadien aux Premières Nations</h2>
<p>2008 est également l’année des <a href="https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/eng/1100100015644/1571589171655">excuses officielles du gouvernement canadien aux populations autochtones du Canada</a> (les Premières Nations, Métis et Inuits) par la voix du premier ministre Stephen Harper.</p>
<p>Ces excuses font suite à la plus grande procédure de recours collectif (« class action ») engagée dans l’histoire du Canada, qui aboutit à l’Indian Residential Schools Settlement Agreement, en 2006, puis à la création d’une commission de réconciliation (<a href="https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/eng/1450124405592/1529106060525">Truth and Reconciliation Commission</a>), en 2015. Au Canada, on estime à 150 000 le nombre d’enfants placés dans les pensionnats d’État (« residential schools ») en un peu plus d’un siècle.</p>
<p>De nouvelles excuses officielles sont présentées quelques années plus tard, en 2021, par le premier ministre Justin Trudeau, à l’attention des survivants des pensionnats de la province du Newfoundland et du Labrador, province exclue du discours de Harper en 2008, et de leurs familles.</p>
<p><a href="https://www.pm.gc.ca/en/news/speeches/2017/11/24/remarks-prime-minister-justin-trudeau-apologize-behalf-government-canada">Le discours de Trudeau</a> intervient alors que le pays est secoué par des révélations macabres liées au traitement inhumain des enfants des Premières Nations dans les pensionnats d’État : au printemps 2021, les <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/may/28/canada-remains-indigenous-children-mass-graves">restes de 215 enfants sont identifiés sur le site d’une ancienne école de Colombie-Britannique</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-decouverte-dun-charnier-denfants-autochtones-rappelle-au-canada-un-sombre-passe-162039">La découverte d’un charnier d’enfants autochtones rappelle au Canada un sombre passé</a>
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<p>D’autres étapes ont jalonné la prise de conscience de l’administration canadienne sur le sort des enfants des Premières Nations, leur octroyant au XXI<sup>e</sup> siècle une place et une visibilité dans la vie politique et dans le paysage médiatique du pays. Ainsi, les <a href="https://www.mmiwg-ffada.ca/final-report">conclusions d’une grande enquête nationale sur les nombreuses disparitions de jeunes filles amérindiennes</a>, publiées en 2019, dressent une liste de recommandations intimant le gouvernement à intégrer les cultures et langues autochtones dans la culture nationale, à mettre en place des actions de réparations et à éduquer le public et les médias.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laction-collective-reglee-il-ne-faut-pas-oublier-les-histoires-des-survivants-des-pensionnats-autochtones-158271">L’action collective réglée, il ne faut pas oublier les histoires des survivants des pensionnats autochtones</a>
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<p>Au Canada, comme en Australie, la parole se libère et les histoires se racontent. Afin de s’assurer que l’histoire des Premières Nations ne retombe pas dans l’oubli, des <a href="http://education.historicacanada.ca/en/tools/261">ressources pédagogiques nationales</a> ont été créées à destination des enseignants canadiens pour leur permettre d’intégrer cette part de l’histoire du pays dans leur enseignement.</p>
<h2>Le processus de réparation des injustices historiques aux États-Unis</h2>
<p>Après la colonisation des territoires nord-américains par les Européens, entamée au début du XVII<sup>e</sup> siècle, et surtout de l’expansion des États-Unis entre 1803 et 1890 (la « conquête de l’Ouest »), on estime à environ 240 000 la population survivante d’Amérindiens (<em>Native Americans</em>) à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Décimés par les maladies européennes, les déplacements forcés, les massacres et les guerres, les Amérindiens sont relocalisés de force dans des réserves, sur des territoires souvent stériles et inhospitaliers, forcés à la sédentarisation, et leurs enfants envoyés dans des écoles gérées d’abord par les communautés religieuses et les paroisses, puis par l’État fédéral états-unien.</p>
<p>Entre les années 1870 et 1970, des dizaines de milliers d’enfants autochtones furent placés dans des pensionnats gérés par l’État fédéral (<em>boarding schools</em>). Comme en Australie et au Canada, les enfants y étaient la plupart du temps placés de force et sans le consentement de leurs parents. L’objectif affiché était de « civiliser » les enfants autochtones afin de permettre leur assimilation dans la société blanche américaine.</p>
<p>Il faudra attendre 1978 et l’<a href="https://www.nicwa.org/what-is-icwa/">Indian Child Welfare Act</a> pour que les Amérindiens puissent retrouver leur droit fondamental à décider de l’éducation de leurs enfants. Comme l’a répété le <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2024/10/25/remarks-by-president-biden-on-the-biden-harris-administrations-record-of-delivering-for-tribal-communities-including-keeping-his-promise-to-make-this-historic-visit-to-indian-country-lavee/">président Biden dans son discours du 25 octobre 2024</a>, cette histoire-là n’est pas enseignée dans les écoles.</p>
<p>Aux États-Unis, le processus de réparation des injustices historiques concernait jusqu’alors les Noirs américains, descendants des millions d’esclaves importés d’Afrique du XVII<sup>e</sup> au XIX<sup>e</sup> siècle, et non les Amérindiens. Il était grand temps de briser le silence assourdissant qui a entouré l’histoire des populations autochtones nord-américaines pendant plus de deux siècles, comme l’a reconnu le président Biden : « Cela aurait dû être fait depuis longtemps. »</p>
<p>À travers le pays apparaissent ainsi les témoignages tant attendus d’un processus de reconnaissance de la face sombre de l’histoire de la conquête de l’Ouest, d’une volonté de réparation, d’une volonté aussi d’en finir avec le mythe du bon cow-boy et du mauvais Indien, créé au XIX<sup>e</sup> siècle et encore très vivace pendant la majeure partie du XX<sup>e</sup> siècle. En témoignent l’exposition sur le massacre de Sand Creek (ré)ouverte fin 2022 au musée de l’histoire du Colorado de Denver, ou la mise à jour, la même année, de la <a href="https://preview.houstonchronicle.com/families/hmns-hall-of-americas-reopens-with-a-focus-on-17466413">section consacrée aux peuples et cultures indigènes du musée d’histoire naturelle de Houston</a>, effectuée en partenariat avec des conseillers issus de tribus amérindiennes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/696420/original/file-20251015-56-orodxf.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/696420/original/file-20251015-56-orodxf.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/696420/original/file-20251015-56-orodxf.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/696420/original/file-20251015-56-orodxf.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/696420/original/file-20251015-56-orodxf.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/696420/original/file-20251015-56-orodxf.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/696420/original/file-20251015-56-orodxf.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Installation de l’exposition sur « The Sand Creek Massacre », History Colorado Museum, 10 novembre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sonia Félix-Naix_</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Un an après : l’histoire états-unienne selon Trump</h2>
<p>Les excuses officielles présentées par Joe Biden posèrent la première pierre d’un processus de reconnaissance des souffrances et injustices imposées aux Amérindiens et de leur place dans l’histoire des États-Unis, participant ainsi à une réécriture globale de l’histoire de la colonisation, une histoire alimentée à la fois par de nouvelles considérations pré- et post-coloniales, une histoire différente de celle, hégémonique, jusqu’alors écrite par les colons européens et leurs descendants.</p>
<p>Mais un an plus tard, l’écriture de l’histoire des États-Unis a pris une nouvelle direction avec l’administration Trump. En effet, dans un <a href="https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/03/restoring-truth-and-sanity-to-american-history/">décret signé le 27 mars 2025 et intitulé « Restoring Truth and sanity to American history »</a> (« Restauration de la vérité et du bon sens dans l’histoire américaine »), le président Trump accuse l’administration Biden d’avoir promu « l’idéologie corrosive » d’un « mouvement révisionniste » qui chercherait à construire une histoire « raciste, sexiste et oppressive » de la nation.</p>
<p>En quelques mois, les pages sombres de l’histoire états-unienne doivent disparaître des sites Internet fédéraux, des monuments et parc nationaux, des grands musées. L’Amérique blanche chrétienne reprend le contrôle sur un récit national qu’elle veut façonner à l’image de ses mythes et en accord avec sa propre version de l’histoire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/265812/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sonia Félix-Naix ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En 2024, Joe Biden présentait des excuses historiques aux peuples autochtones. Aujourd’hui, le retour de Trump à la Maison Blanche fragilise ces avancées.Sonia Félix-Naix, Professeure agrégée d'anglais Membre du CIRPaLL (Centre Interdisciplinaire de Recherche sur les Patrimoines en Lettres et Langues), Université d’AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2656902025-10-20T13:19:30Z2025-10-20T13:19:30ZInformer sur les risques et bénéfices de la migration influence-t-il la décision de migrer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/695416/original/file-20251009-66-s1w7un.jpeg?ixlib=rb-4.1.0&rect=195%2C0%2C877%2C585&q=45&auto=format&w=1050&h=700&fit=crop" /><figcaption><span class="caption">Session de sensibilisation sur les risques et dangers de la migration irrégulière à Douala (Cameroun), juin&nbsp;2022.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://cameroon.un.org/fr/191131-des-migrants-et-anciens-migrants-sensibilises-aux-dangers-de-la-migration-irr%C3%A9guli%C3%A8re#:~:text=Des%20migrants%20et%20anciens%20migrants%20sensibilises%20aux%20dangers%20de%20la%20migration%20irr%C3%A9guli%C3%A8re,-20%20juillet%202022&text=24%20juin%202022-,Ils%20%C3%A9taient%20plus%20de%20120%20migrants%2C%20potentiels%20migrants%20et%20responsables,dangers%20de%20la%20migration%20irr%C3%A9guli%C3%A8re.">Organisation internationale des migrations/Cameroun 2022</a></span></figcaption></figure><p><strong>Une étude quantitative de 2025 réalisée auprès d’un échantillon représentatif de la population résidente en Algérie confirme que les campagnes d’information sur les risques de la migration irrégulière promues par l’Union européenne et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) n’ont qu’un impact très faible sur la propension à émigrer en dehors des voies légales.</strong></p>
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<p>Au printemps dernier, le <a href="https://www.europe-en-france.gouv.fr/fr/fonds-europeens-2021-2027/fonds-asile-migration-integration-fami">fonds « Asile, migration et intégration » (Amif)</a>, créé par l’Union européenne (UE), lançait un <a href="https://www.welcomeurope.com/the-list-of-our-calls-projects/fami-prevention-de-la-migration-irreguliere-par-des-campagnes-de-sensibilisation-et-dinformation-sur-les-risques-de-la-migration-irreguliere-dans-certains-pays-tiers-et-en-europe-2025/">appel à proposition</a> afin de prévenir la migration irrégulière par des campagnes d’information sur les risques liés à ce type de migration.</p>
<p>L’objectif de cet appel doté d’un budget de 10 millions d’euros : </p>
<blockquote>
<p>« Dissuader et prévenir la migration irrégulière en fournissant des informations fiables sur les dangers de la migration irrégulière, sur les voies légales d’accès à l’Europe et sur les possibilités économiques alternatives dans les pays d’origine. »</p>
</blockquote>
<p>Malgré le fait que les chercheurs s’interrogent depuis longtemps sur l’efficacité de ce type de campagne, l’UE, ses États membres mais aussi <a href="https://www.iom.int/fr">l’Organisation internationale pour les migrations</a> (OIM) dépensent, chaque année, des budgets conséquents dans des campagnes de ce genre.</p>
<h2>Des campagnes nombreuses et à l’efficacité douteuse</h2>
<p>Les campagnes d’information ciblant les pays d’origine et de transit des migrants, notamment par le biais d’annonces à la radio et à la télévision, dans les journaux ou sur les réseaux sociaux, sont un outil de dissuasion de la migration très fréquemment utilisé par les gouvernements.</p>
<p>Une caractéristique récurrente de ces campagnes est qu’elles mettent en avant les dangers et risques liés à la migration et évoquent rarement les bénéfices que celle-ci peut procurer ni n’informent sur les modalités légales par lesquelles il est possible de rejoindre l’Europe. Dans ces campagnes, l’usage de dispositifs audiovisuels induisant la peur est également fréquent.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aFZbBAz3VCQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Entre 2015 et 2019, <a href="https://doi.org/10.1080/08865655.2023.2202210">au moins 130 campagnes</a> ont été mises en œuvre, dont 104 soutenues par des gouvernements de l’UE. À titre d’exemple, l’OIM et le ministère italien de l’intérieur ont conduit, entre 2016 et 2023, la campagne <a href="https://www.awaremigrants.org/fr">« Aware Migrants »</a>, qui ciblait 11 pays africains d’émigration et de transit. Cette campagne aurait touché, selon ses organisateurs, plus d’un demi-million d’individus. Plus récemment, en 2025, la Belgique a conduit des <a href="https://www.belganewsagency.eu/belgium-launches-social-media-campaigns-to-deter-asylum-seekers">campagnes visant les demandeurs d’asile camerounais et guinéens</a> transitant par la Bulgarie et la Grèce afin de leur faire savoir que les centres d’accueil du pays sont complets.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/695908/original/file-20251013-56-zcjabj.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/695908/original/file-20251013-56-zcjabj.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=597&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/695908/original/file-20251013-56-zcjabj.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=597&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/695908/original/file-20251013-56-zcjabj.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=597&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/695908/original/file-20251013-56-zcjabj.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/695908/original/file-20251013-56-zcjabj.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/695908/original/file-20251013-56-zcjabj.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=751&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran issue d’une vidéo diffusée par l’Office des étrangers (Belgique).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/shorts/2irc031cjP0">YouTube</a></span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/695909/original/file-20251013-56-hcjfp.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/695909/original/file-20251013-56-hcjfp.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/695909/original/file-20251013-56-hcjfp.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/695909/original/file-20251013-56-hcjfp.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/695909/original/file-20251013-56-hcjfp.png?ixlib=rb-4.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/695909/original/file-20251013-56-hcjfp.png?ixlib=rb-4.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/695909/original/file-20251013-56-hcjfp.png?ixlib=rb-4.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Capture d’écran issue d’une vidéo diffusée par The Migrant Project-Edo/Media Coalition and Awareness to Halt Trafficking. Les propos cités ici sont ceux d’un jeune migrant originaire du Nigeria, Ikechukwu Oseji.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/themigrantprojectedo/videos/1061916612723862">Compte Facebook du Migrant Project- Edo/Media Coalition and Awareness to Halt Trafficking</a></span>
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<p>Les chercheurs qui ont analysé ce type de campagnes identifient trois limites récurrentes inhérentes à cet instrument des politiques migratoires européennes.</p>
<p>D’abord, la recherche qualitative existante (une sur le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1070289X.2013.831350">Cameroun</a>, l’autre sur le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13669877.2018.1517376">Ghana</a>) démontre que, contrairement aux hypothèses des financeurs des campagnes, la plupart des candidats potentiels à la migration dans les pays à revenus faible ou intermédiaire sont plutôt bien informés sur les risques liés à la migration irrégulière. Il n’empêche qu’en dépit de leur connaissance des risques encourus, y compris <a href="https://link.springer.com/article/10.1186/s40176-014-0021-8">celui de perdre la vie</a>, ils sont nombreux à estimer que, vu l’absence de voies légales pour quitter le pays où ils vivent, l’immigration irrégulière est leur seule possibilité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/barcelone-ou-la-mort-au-senegal-des-femmes-et-des-hommes-en-quete-davenir-150146">« Barcelone ou la mort » : au Sénégal, des femmes et des hommes en quête d’avenir</a>
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<p>Ensuite, des <a href="https://meridian.allenpress.com/human-organization/article/71/4/407/72428/Beyond-Kamikaze-Migrants-Risk-Taking-in-West">travaux antérieurs</a> ont déjà montré que les candidats à la migration accordent peu de crédit à la qualité de l’information diffusée dans des campagnes financées par des institutions explicitement motivées par le désir de réduire les flux migratoires. Ces campagnes peinent par conséquent à contrer les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0002764207302474">récits positifs diffusés par d’autres sources</a> – tels les messages véhiculés par les passeurs et par les migrants de même origine déjà établis en Europe – et sont pour cette raison fréquemment présentées par la recherche comme <a href="https://theconversation.com/dissuader-les-candidats-a-la-migration-pourquoi-les-campagnes-de-lue-sont-un-echec-224980">vouées à l’échec</a>.</p>
<p>Enfin, la communauté scientifique dans le champ des études migratoires souligne <a href="https://gmdac.iom.int/sites/g/files/tmzbdl1416/files/documents/evaluating_the_impact.pdf">l’absence d’évaluation systématique</a> de l’impact de ces campagnes et indique que, lorsque des évaluations sont conduites, celles-ci présentent des problèmes de fiabilité. Certains spécialistes s’interrogent également sur le caractère éthique de ces campagnes, qui visent à légitimer des politiques migratoires restrictives, et dont la capacité réelle à réduire la migration irrégulière paraît douteuse.</p>
<h2>Une première évaluation à grande échelle auprès de la population algérienne</h2>
<p>En réponse à ces critiques, <a href="https://hdl.handle.net/10419/324488">notre étude</a> a mis sur pied une expérimentation intégrée à une enquête administrée en ligne auprès d’un panel de 1 206 personnes représentatif de la population résidente en Algérie afin de tester l’impact de certaines informations sur la décision de migrer de façon irrégulière vers l’Europe.</p>
<p>La population sans papiers algérienne est en effet l’une des plus importantes en Europe : selon <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?">Eurostat</a>, parmi les 918 925 personnes en séjour irrégulier en Europe en 2024, près de 60 000 sont des citoyens algériens. Elle constitue aussi le <a href="https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Enforcement_of_immigration_legislation_statistics&action=statexp-seat&lang=fr">premier groupe national en nombre d’ordre de quitter le territoire</a>, émis dans l’UE (plus de 38 000 citoyens algériens concernés en 2024).</p>
<p>Dans cette expérimentation, nous avons testé six messages.</p>
<p>Les deux premiers portent sur les risques liés à la migration : une vignette concerne les dangers de la migration irrégulière et comprend les risques de décès en mer, d’arrestation et d’expulsion du continent européen. La deuxième traite des murs et des grillages érigés en de nombreux points du territoire de l’UE dans le but de contenir l’immigration irrégulière. Chacun de ces messages a été testé dans une version « texte seul » et dans une version où le même texte est accompagné d’une photo d’illustration renforçant le caractère inquiétant du message écrit.</p>
<p>Les deux autres messages, testés uniquement en version « texte seul », concernaient l’accès aux droits des personnes migrantes dans le pays d’immigration, fréquemment présentés dans le débat politique comme des éléments susceptibles d’encourager la migration irrégulière vers l’Europe. À cet effet, une vignette fournissait des informations concernant la possibilité pour les sans-papiers de régulariser leur statut sous certaines conditions dans différents États membres de l’UE. L’autre concernait la possibilité pour les migrants algériens d’accéder à certaines prestations sociales en Europe grâce à l’existence d’accords bilatéraux de sécurité sociale.</p>
<p>Chacun de ces messages a été testé auprès d’une partie de l’échantillon. Les participants exposés à l’un de ces messages tout comme le groupe de contrôle (n’ayant pas reçu de message) ont ensuite répondu à trois questions sur leur désir et intention d’émigrer vers l’Europe, y compris de façon irrégulière.</p>
<p>Au terme de notre analyse, et dans la continuité des travaux principalement qualitatifs réalisés jusqu’ici sur la question, notre étude confirme l’absence d’impact des campagnes d’information. Plus précisément, fournir des informations sur les risques et les bénéfices liés à la migration n’a pas d’impact significatif sur la propension à migrer de façon irrégulière des individus résidant dans les pays à niveau de revenus faible et intermédiaire.</p>
<h2>Impact insignifiant, débat indispensable</h2>
<p>Puisqu’il se confirme que ce type d’information n’a pas d’impact sur la décision de migrer de façon irrégulière, il convient à nouveau d’interroger l’objectif des campagnes d’information menées dans les pays d’origine.</p>
<p>Si leur rôle est uniquement de rassurer les opinions publiques européennes quant à la capacité des États à limiter la migration irrégulière, s’agit-il d’un usage légitime des ressources publiques ? Si, comme cela est fréquemment invoqué, l’objectif est réellement d’informer les candidats à la migration quant à la réalité de l’expérience migratoire, alors l’usage d’informations délibérément incomplètes et inquiétantes sur la migration vers l’Europe pose bien entendu de sérieuses questions éthiques.</p>
<p>Autrement dit, le débat sur les campagnes d’information doit s’inscrire dans un débat plus large sur l’évolution des politiques migratoires en Europe. Comme le réclament la <a href="https://whole-comm.eu/blogs/250-migration-asylum-researchers-oppose-the-new-eu-pact-on-migration/">communauté scientifique</a> et la <a href="https://picum.org/blog/open-letter-eu-human-rights-risks-migration-pact/">société civile organisée</a>, une politique migratoire qui entend permettre uniquement la migration régulière ne peut privilégier à ce point les réponses répressives et dissuasives sans risquer de continuer à produire des politiques migratoires inefficaces et dangereuses.</p>
<p>Si ces campagnes d’informations doivent être poursuivies, il importe qu’elles prennent désormais en compte deux éléments cruciaux jusqu’ici trop souvent passés sous silence. Il s’agit, d’une part, de reconnaître, outre la nécessité de créer de nouvelles voies d’accès légales et sûres vers l’Europe, qu’il existe des modalités légales limitées de migration, dont ces campagnes ne font pas mention. Informer adéquatement sur ces voies légales est un corollaire indispensable au droit de tout individu à quitter son pays, tel que garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme. D’autre part, dans un souci d’offrir une vision réaliste de l’expérience migratoire en Europe, il importe également que ces campagnes reconnaissent que, lorsque les politiques d’inclusion adéquates sont mises en œuvre, l’aspiration des candidats à la migration à une vie meilleure en Europe peut être rencontrée. </p>
<p>Sans prendre ces éléments en considération, ces campagnes sont condamnées à reproduire une vision partielle de l’expérience migratoire en Europe à laquelle les candidats à la migration ne continueront à accorder que peu de crédit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/265690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Lafleur a reçu des financements du FRS-FNRS pour conduire cette recherche. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Abdeslam Marfouk ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une étude 2025 réalisée en Algérie révèle que les campagnes de l’UE sur les dangers de la migration irrégulière n’ont aucun impact sur les candidats.Jean-Michel Lafleur, Associate Director, Centre for Ethnic and Migration Studies / Coordinator of IMISCOE, Université de LiègeAbdeslam Marfouk, Expert en migrations internationales, Université de LiègeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2674482025-10-20T13:19:10Z2025-10-20T13:19:10ZNouveau partenariat Arabie saoudite-Pakistan : quelles conséquences internationales ?<p><strong>Dans un contexte où la protection militaire fournie par les États-Unis peut paraître douteuse, l’Arabie saoudite s’est rapprochée du Pakistan, en signant avec ce grand pays d’Asie doté de l’arme nucléaire un accord de défense aux multiples implications.</strong></p>
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<p>En cas d’attaque contre l’Arabie saoudite, le <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/arabie-saoudite/larabie-saoudite-passe-sous-la-protection-nucleaire-du-pakistan-apres-lattaque-disrael-au-qatar-661edade-9774-11f0-87cf-e619b6e4aa34">Pakistan utilisera son arme nucléaire pour la défendre</a>, en vertu de leur nouveau pacte de défense mutuelle. C’est en tout cas ce que bon nombre d’observateurs ont conclu de l’annonce, le 17 septembre 2025, de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/09/22/l-arabie-saoudite-passe-sous-la-protection-du-parapluie-nucleaire-du-pakistan_6642384_3210.html">signature d’un accord stratégique de haut niveau</a> entre Riyad et Islamabad.</p>
<p>Du fait de ses possibles implications nucléaires, l’accord semble porteur de conséquences régionales et internationales majeures. En réalité, une analyse précise révèle que l’Arabie saoudite ne bénéficiera pas nécessairement du parapluie nucléaire pakistanais
et que cet accord stratégique n’est pas aussi disruptif qu’annoncé.</p>
<h2>Quel lien avec la frappe israélienne sur Doha ?</h2>
<p>L’annonce intervient peu de temps après <a href="https://edition.cnn.com/world/live-news/israel-qatar-attack-09-09-25">l’attaque illicite israélienne sur Doha</a>, officiellement pour assassiner des cadres du Hamas, alors que le Qatar bénéficie d’un accord de défense avec les États-Unis, dont il héberge la plus grande base militaire au Moyen-Orient.</p>
<p>Il serait erroné de croire que l’accord saoudo-pakistanais a été initié par l’agression israélienne contre le Qatar, laissée impunie par les États-Unis, pourtant juridiquement engagés à protéger l’émirat : un pacte de défense mutuelle <a href="https://www.revueconflits.com/the-saudi-arabia-pakistan-agreement-towards-a-new-strategic-balance/">s’initie, se prépare et se matérialise en plusieurs années</a>, et certainement pas en quelques jours.</p>
<p>En revanche, l’attaque israélienne et l’impunité qui s’en est suivie ont assurément accéléré le calendrier de l’annonce dudit accord stratégique, l’Arabie saoudite cherchant certainement à souligner une vérité politique ancienne mais peu connue : Riyad et Islamabad entretiennent une relation stratégique fournie, le Pakistan entraînant depuis plusieurs années déjà l’armée saoudienne, et recevant de la monarchie wahhabite différents soutiens financiers.</p>
<p>Il existe évidemment une proximité religieuse entre les deux États musulmans sunnites. À titre anecdotique, il peut être rappelé ici que les talibans afghans, d’obédience deobandi, école religieuse pakistanaise, avaient vu leur premier émirat reconnu internationalement par de très rares États, dont l’Arabie saoudite.</p>
<p>Cette annonce entre l’Arabie saoudite et le Pakistan vient ainsi mettre en lumière plusieurs dynamiques politiques pré-existantes, mais s’accélérant ostensiblement : la maîtrise de la technologie nucléaire civile et militaire fait l’objet d’une rude compétition au Moyen-Orient, région au sein de laquelle les blocs se reconfigurent.</p>
<h2>Un accord nucléaire défensif, vraiment ?</h2>
<p>La conclusion de l’accord de défense mutuel entre l’Arabie saoudite et le Pakistan est évidemment un événement majeur en soi pour la sécurité internationale, étant donné que le Pakistan possède l’arme nucléaire.</p>
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<p>La doctrine nucléaire pakistanaise est de premier emploi, c’est-à-dire que, contrairement à la plupart des autres États nucléarisés, Islamabad se réserve le droit d’utiliser l’arme nucléaire en premier, et pas nécessairement en représailles face à une première attaque nucléaire. Il faut y ajouter que la formulation retenue à propos dudit accord <a href="https://www.ndtv.com/world-news/pakistan-saudi-arabia-mutual-defence-agreement-saudi-arabia-will-help-pak-if-india-declares-war-khawaja-asif-saudi-pak-nuclear-weapons-9310999">rappelle clairement celle de l’article 5 du traité de Washington établissant l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan)</a>, c’est-à-dire une clause d’assistance mutuelle et de défense collective. En d’autres termes, si le territoire saoudien est attaqué, même par des moyens conventionnels, le Pakistan peut en théorie employer l’arme nucléaire contre l’agresseur. C’est d’ailleurs <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20250922-pakistan-parapluie-nucl%C3%A9aire-arabie-saoudite">ce qu’a affirmé Ali Shihabi</a>, présenté comme un analyste proche de la cour royale saoudienne.</p>
<p>Cependant, seul fait foi le verbe des autorités officielles des deux États, dont le <a href="https://www.spa.gov.sa/en/w2399706">communiqué officiel conjoint</a> ne fait absolument pas mention de l’arme nucléaire pakistanaise. Plus largement, le contenu précis de l’accord n’a pas été révélé publiquement, ce qui tend à remettre en cause les analyses trop rapides selon lesquelles la <a href="https://www.mei.edu/has-pakistan-agreed-use-nuclear-force-defend-saudi-arabia">bombe pakistanaise pourrait être utilisée au bénéfice de l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Le ministre pakistanais de la défense Khawaja Muhammad Asif, a toutefois affirmé que le programme nucléaire de son pays serait <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/09/22/l-arabie-saoudite-passe-sous-la-protection-du-parapluie-nucleaire-du-pakistan_6642384_3210.html">« mis à la disposition de l’Arabie saoudite en cas de besoin »</a>. Nous sommes dans le flou sur ce que recouvre vraiment cette coopération nucléaire : sera-t-elle civile ou militaire ? Le volet précis est volontairement non précisé.</p>
<p>À ce stade, il apparaît donc que cet accord marque effectivement une nouvelle étape nucléaire pour l’Arabie saoudite, engagée dans cette voie depuis longtemps ; mais ce pacte de défense mutuelle n’est ni du même calibre que l’Otan ni une garantie militaire nucléaire pour Riyad.</p>
<h2>Un approfondissement certain de la relation stratégique Riyad-Islamabad</h2>
<p>Si, pour le moment, rien n’indique concrètement que la bombe nucléaire pakistanaise pourrait être utilisée en dehors de la seule défense du territoire national, il n’en reste pas moins que cet accord constitue une avancée majeure dans la relation bilatérale. L’Arabie saoudite marque clairement son souhait de diversifier ses partenariats stratégiques et de <a href="https://time.com/7320057/saudi-pakistan-pact-trump-us/">ne pas se reposer sur le seul partenaire américain</a>.</p>
<p>Riyad, sans nécessairement s’éloigner de Washington, cherche à se rapprocher d’autres acteurs, asiatiques notamment. L’année 2025 a démontré que les États-Unis de Donald Trump alignaient leur politique moyen-orientale sur celle d’Israël : le président états-unien affirme régulièrement qu’en cas d’échec de la stabilisation à Gaza, le premier ministre israélien aura son plein soutien pour <a href="https://www.youtube.com/shorts/12RPNKAMcAc">« finir le travail »</a> ; Washington <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2025/06/22/les-etats-unis-attaquent-l-iran-et-font-basculer-la-guerre-au-moyen-orient-dans-une-incertitude-totale_6615266_3210.html">a attaqué l’Iran</a> dans la foulée de l’agression illicite israélienne du vendredi 13 juin 2025 contre l’Iran, mais, nous l’avons dit, n’a pas réagi lorsque Tel-Aviv a aussi attaqué le Qatar, pourtant allié des États-Unis, Trump se contentant, trois semaines plus tard, de <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20251009-comment-trump-a-contraint-netanyahu-%C3%A0-s-excuser-aupr%C3%A8s-du-qatar-pour-obtenir-un-accord-sur-gaza">contraindre Nétanyahou à téléphoner en sa présence à l’émir du Qatar pour lui présenter ses excuses</a>.</p>
<p>L’Arabie saoudite prend acte du fait que la Maison Blanche donne la priorité à un partenaire au détriment des autres. Elle se rappelle aussi que, lors de sa campagne électorale victorieuse de 2020, Joe Biden avait <a href="https://theconversation.com/biden-once-wanted-to-make-saudi-arabia-a-pariah-so-why-is-he-playing-nice-with-the-kingdoms-repressive-rulers-now-186784">promis de faire du prince héritier Mohammed Ben Salmane un « <em>paria</em> »</a> à la suite de l’assassinat en 2018 du journaliste saoudien Jamal Kashoggi, même s’il avait par la suite <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/16/en-arabie-saoudite-biden-fait-un-check-a-mbs-tout-en-le-mettant-en-garde-contre-la-repression_6134979_3210.html">changé de position et s’était rendu à Riyad en 2022</a>.</p>
<p>Pour autant, il ne faudrait pas voir une rupture complète dans la relation Washington-Riyad. Celle-ci s’inscrit toujours dans le <em>strategic partnership</em> unissant les deux États depuis le <a href="https://shs.cairn.info/histoire-du-monde-contemporain--9782746751095-page-160">pacte de Quincy de 1945</a>, basé sur une équation simple mais fondamentale : l’Arabie saoudite fournit du pétrole et achète massivement les équipements militaires américains (récemment encore, un <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/arabie-saoudite-etats-unis-le-vaste-flou-autour-du-plus-grand-contrat-darmement-de-lhistoire-7TEDJLWROZATDL3KPV7SO64BEY/">contrat d’armement pour 142 milliards de dollars</a> a été signé) ; en contrepartie, les États-Unis protègent l’Arabie saoudite et la monarchie wahhabite à sa tête.</p>
<p>Le Pakistan, quant à lui, renforce son statut de puissance militaire asiatique, mais aussi musulmane, tout en étant tracté vers le jeu moyen-oriental. L’accord peut aussi avoir pour effet de provoquer une embellie économique pakistanaise par des investissements saoudiens, la monarchie wahhabite étant accoutumée à l’équation « sécurité et armes contre financements et contrats ». Cette annonce de pacte de défense mutuelle permet également au Pakistan de réapparaître fort et protecteur par rapport à d’autres acteurs, quand sa propre situation sécuritaire est déjà particulièrement tendue.</p>
<p>Sur son flanc est, des combats sporadiques avaient éclaté en avril-mai 2025 avec le frère ennemi indien dans la région contestée du Jammu-et-Cachemire, faisant craindre le <a href="https://www.crisisgroup.org/asia-pacific/india-pakistan/b185-india-pakistan-avoiding-war-waiting">risque d’une guerre ouverte entre puissances nucléaires</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/inde-pakistan-vers-une-nouvelle-guerre-de-grande-ampleur-256144">Inde-Pakistan : vers une nouvelle guerre de grande ampleur ?</a>
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<p>À l’ouest, le Pakistan voit dorénavant son filleul taliban le combattre ouvertement, <a href="https://www.lopinion.fr/international/tensions-entre-lafghanistan-et-le-pakistan-attention-a-leffet-papillon">Kaboul et Islamabad se renvoyant la responsabilité des récents meurtriers affrontements transfrontaliers</a>.</p>
<p>Et sur son flanc sud-ouest, le Pakistan sait que la région du Sistan-Baloutchistan, à cheval sur le sol iranien, est hautement inflammable d’un point de vue stratégique, Islamabad entretenant une relation ambivalente avec Téhéran.</p>
<h2>L’instauration d’un nouvel ordre sécuritaire régional ?</h2>
<p>L’annonce du nouveau partenariat stratégique entre l’Arabie saoudite et le Pakistan est indubitablement un événement majeur dans les dynamiques sécuritaires régionales et internationales, notamment pour les raisons susmentionnées. Nonobstant, cet accord confirme des dynamiques pré-existantes plus qu’il n’en crée et resserre des liens entre des acteurs qui <a href="https://www.arabnews.com/node/2609156/pakistan">collaboraient déjà dans les secteurs militaire et technologique</a>. Il conforte un lien étroit entre puissances usuellement considérées comme « périphériques » et « intermédiaires », qui cherchent toutes deux à s’éloigner de l’hyperpuissance américaine, mais aussi de ses concurrents globaux (Chine et Russie).</p>
<p>Au-delà de cet accord bilatéral, il faudra suivre de près les perceptions et réactions de deux voisins : l’Iran pour l’Arabie saoudite, l’Inde pour le Pakistan. Téhéran et Riyad sont des rivaux pour l’hégémonie régionale et l’Iran ne saurait voir d’un bon œil un accord stratégique – surtout avec un versant nucléaire – entre deux États l’entourant, même si le président Pezeshkian a salué le pacte, le présentant comme le début de la mise en place d’<a href="https://www.globaltimes.cn/page/202509/1344460.shtml">« un système de sécurité régional »</a>. L’Arabie saoudite doit également <a href="https://www.bbc.com/news/articles/c147gkxyyrmo">ménager son partenaire indien, qui goûte peu ce nouveau rapprochement de Riyad avec Islamabad</a>.</p>
<p>Une puissance internationale peut clairement se réjouir d’un tel accord saoudo-pakistanais : la Chine. Pékin est le premier client du pétrole saoudien et le <a href="https://cnes.fr/geoimage/pakistan-gwadar-un-port-chinois-nouvelles-routes-de-soie-un-baloutchistan-desertique-instable">port pakistanais de Gwadar</a>, dont il a acquis la propriété et où il prévoit d’installer des infrastructures militaires, est le premier point de sa <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/strategie-collier-de-perles-0109200970931.html">stratégie dite du « collier de perles »</a> qui vise à sécuriser ses approvisionnements énergétiques en provenance du golfe Persique. On l’aura compris : les États-Unis voient se bâtir de nouvelles reconfigurations ouest et sud-asiatiques sans eux, et confortant le rival chinois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/267448/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kevan Gafaïti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’accord Riyad-Islamabad est de nature à susciter une certaine inquiétude aussi bien à Téhéran qu’à New Delhi, voire à Washington, traditionnel parrain de ces deux États.Kevan Gafaïti, Enseignant à Sciences Po Paris en Middle East Studies, Président-fondateur de l'Institut des Relations Internationales et de Géopolitique, doctorant en science politique - relations internationales au Centre Thucydide, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.